Publié il y a 1 h - Mise à jour le 26.09.2025 - Anthony Maurin - 7 min  - vu 340 fois

FAIT DU SOIR Une Pagès se tourne…

Pâtisserie salon de thé Pagès Nîmes (Photo Anthony Maurin)

L'ancienne boîte est à voir au Musée de la Romanité (c'est vrai !), voici l'actuel écrin des Caladons (Photo Anthony Maurin)

Le salon de thé et pâtisserie Pagès, rue Régale à Nîmes, va fermer ses portes en fin de semaine…

Pâtisserie salon de thé Pagès Nîmes (Photo Anthony Maurin)
L'ancienne boîte est à voir au Musée de la Romanité (c'est vrai !), voici l'actuel écrin des Caladons (Photo Anthony Maurin)

« On en a vu passer ! » C’est une page qui se tourne. Une page bien écrite, sans ratures. Une page que l’on pouvait lire dans les mille-feuilles à la groseille, spécialité de la maison. Quelques belles lignes d’une vie d’artisan et de commerçant, à l’ancienne, écrites dans une échoppe tout aussi désuète et surannée, mais tellement personnelle et respectueuse de son petit monde.

Cette histoire, c’est celle de Domi et Jérôme. Mais cette histoire, c’est un peu la nôtre aussi ! Il faut dire que le couple fait partie des meubles de Nîmes, plus encore, des murs de la cité des Antonin.

Pour le pâtissier au grand cœur, Jérôme : « On n’arrive pas encore à réaliser, je crois que Domi a raison quand elle me dit que c’est quand on aura fini qu’on va commencer à se rendre compte et à accepter. C’est la fin d’une vie professionnelle et plus et encore… »

Rappelons que l’établissement sous le patronyme Pagès existe depuis 1960, mais bien avant ça, il y a une centaine d’années, c’était déjà une pâtisserie ! « Trois pâtisseries étaient ici avant que mon père prenne la relève. En tout, cela fait 110 ans qu’un pâtissier est installé ici. » Domi regrette cependant de ne pas avoir eu de photo de cette traversée temporelle, surtout des prédécesseurs de sa belle-famille.

Pâtisserie salon de thé Pagès Nîmes (Photo Anthony Maurin)
Jérôme et Domi Pagès (Photo Anthony Maurin)

Ici, les anecdotes prouvent cette profonde connaissance du microcosme nîmois. Politiques, chefs d’entreprise, avocats, commerçants, jeunes ou plus âgés, les clients sont souvent des habitués. Pagès, c’est un peu le refuge réconfortant de certains, le lieu de toutes les rencontres pour d’autres ou simplement une bonne adresse où l’on peut manger tranquillement de bonnes choses faites avec le cœur et les tripes. Mais Pagès, c’est un supplément d’âme.

Le matin, quand les clients sont réunis et qu’ils boivent le café, ça déconne, ça ne se prend pas la tête, ça parle de tout et de rien, ça cascaille comme seuls les Nîmois savent le faire, dans les règles d’un art qui n’existe déjà presque plus.

Pâtisserie salon de thé Pagès Nîmes (Photo Anthony Maurin)
Une pâtisserie d'époque qui a su garder une ambiance spéciale et très appréciée (Photo Anthony Maurin)

« On a vécu de belles ferias, les gens se donnaient rendez-vous ici pour être au calme et pour parler des toros. D’autres restaient ici avant de partir faire la fête, certains se reposaient un peu et quand des gens du sud-ouest venaient, parfois, ils venaient avec leur foie gras ! »

Face à la librairie Teissier, libraire centenaire, existe donc ce petit salon de thé qui fait bien plus que ça et où l’on ne boit presque pas de thé. Un sol en damier granité, des murs d’une couleur rose un peu délavée par les années passées, un plafond décrépi, quelques moulures peintes et décorées et des vitres sur lesquelles de vieilles fresques donnent les marqueurs du coin aux touristes.

Pâtisserie salon de thé Pagès Nîmes (Photo Anthony Maurin)
Une fougasse et des petits pâtés accompagnés d'un café... Le top à Nîmes (Photo Anthony Maurin)

La Tour Magne, le palmier, le crocodile, chevaux et taureaux camarguais, nymphée de la Fontaine… Tout y est, de la photo historique de la petite épicerie tenue par la famille Pagès derrière la mairie à celle de Manolo Vanegas, maestro vénézuélien apprécié par les commerçants.

C’est aussi, rue Régale, un régal pour les papilles. « La rue Régale, c’est là où l’on se régale ! », lance Domi. Et il en faut pour tenir cette accroche au fil des années. C’est Jérôme qui prend la parole : « Il ne faut jamais baisser les bras. Il faut de la ténacité, surtout, et de la rigueur. Il faut se tenir tous les jours à tes horaires, c’est une grosse rigueur. C’est une grosse habitude à prendre, mais ça devient une bonne routine. » Et Domi de suivre : « Et l’amour du métier et du commerce ! On a toujours eu la tête là-dedans, même en vacances… »

Pâtisserie salon de thé Pagès Nîmes (Photo Anthony Maurin)
La pâtisserie et le salon de thé version Pagès à Nîmes (Photo Anthony Maurin)

Maintenant, où se portent les pensées des Pagès ? « On ne réalise pas encore ! Pour l’instant, je ne sais pas trop… On va se poser et se reposer un peu, évacuer un peu tout ça et puis, au fil du temps, on prendra nos nouvelles habitudes, ça nous permettra de revoir les collègues qui sont aussi à la retraite. » Domi, native de la Creuse, aimerait aussi aller voir sa famille et des clients, en France comme à l’étranger, attendent le couple pour partager quelques bons moments en rab.

« Un commerce comme le nôtre, quand on le tient bien, est un fil à la patte, c’est vrai car on ne peut jamais vraiment prévoir ! » Évidemment, l’ingratitude du métier de bouche est importante mais quelques bons aspects viennent en gommer les parties plus négatives. « Nous avons toujours instauré un climat d’amitié, nous n’avons jamais considéré nos clients comme du tiroir-caisse ! Il s’est créé des liens naturels, on rendait des services, on gardait des gosses que l’on a vu grandir et qui reviennent avec leurs enfants… »

Pâtisserie salon de thé Pagès Nîmes (Photo Anthony Maurin)
Les Caladons... (Photo Anthony Maurin)

Ici, les habitués ont une place de choix. Certains même ont leur table attitrée, en été, mais aussi en hiver ! « Si quelqu’un se met à leur place, ils peuvent faire la gueule ! »

Domi sait qui prend quoi, ici, le service est sur mesure. Entre les habitués et les touristes, on ne s’ennuie pas. « Je n’ai pas à me plaindre car je n’ai pas de mauvais souvenirs et pourtant j’en ai vu passer ! J’ai eu de très bons clients, parfois même je gardais les valises de gens qui étaient de passage, on a pas mal de gens qui nous ont laissé leur adresse pour qu’on aille les voir en Espagne ou en Martinique quand on sera à la retraite… »

Mais, pour Domi, le plus beau des souvenirs est celui d’un pitchounet qu’elle a vu grandir et qui revient simplement lui dire bonjour et prendre une cafétou. « Ça fait chaud au cœur ! », confirme Jérôme.

Ici, il ne fallait pas chercher le wifi, là, nous étions connectés les uns aux autres car le couple a toujours su recevoir ses clients. Si Jérôme est souvent derrière, dans l’atelier pour préparer les gourmandises, il vient aussi en boutique pour filer la main à Domi, boire un petit sirop avec les clients et se reposer au frais. Sinon, quand personne ne l’écoute, en vrai Nîmois, il râle… « Râler… Je râle beaucoup ! Mais comme je fais beaucoup de préparations différentes, je ne me lasse pas ! Je passe du sucré au salé, de la forêt noire à la fougasse en passant par les Caladons ou au Saint-Honoré, les petits pâtés et le mille-feuille à la groseille ! Je n’ai pas vraiment la même routine. »

Pâtisserie salon de thé Pagès Nîmes (Photo Anthony Maurin)
À gauche de l'escalier, l'atelier de fabrication qui donne sur la cour intérieure (Photo Anthony Maurin)

Tout à coup, depuis la rue, le facteur tend une enveloppe et c’est la confirmation. « Tiens ! Voilà pourquoi nous sommes à la retraite… On comprend mieux… » Domi ouvre une enveloppe concernant la campagne antigrippe qui concerne les plus de 65 ans !

Ici, pas besoin de rester le nez dans son téléphone ou son écran d’ordi, on parle, on blague, on refait le monde, on déguste la vie de la meilleure manière qui soit. Chez les Pagès, on mange bien car tout est fait maison.

Certains clients, aujourd’hui expatriés, font venir le mille-feuille à eux. Le couple en a laissé partir jusqu’aux USA !

Fougasses aux grattons d’oie ou de canard, viennoiseries, tartelettes, barquettes gourmandes au marron, meringue, petits pâtés nîmois, brioche. Et les Caladons évidemment.

Chez les Pagès, on est reçu dans les règles de l’art. Un savoir-faire qui se perd... Quoi qu’il en soit, commerçant, c’est presque une vocation. « Il faut aimer ce qu’on fait, aimer partager et faire plaisir. Il y a des gens qui ne sont pas faits pour du commerce, mon fils par exemple ! »

Pâtisserie salon de thé Pagès Nîmes (Photo Anthony Maurin)
Les Pagès au boulot lors de la dernière feria des Vendanges 2025 à Nîmes (Photo Anthony Maurin)

Domi, elle, c’est autre chose. « J’ai appris avec ma belle-mère ! Au début, j'étais très timide, ça m’a aidé… (rire) ! » Et Jérôme de lui rappeler sa progression en calcul mental. « C’est vrai ! Il faut aimer le commerce, ça ne s’improvise pas. Mais on a toujours tenu à la qualité de nos produits. Ma farine, je la trouve meilleure que certaines, même si le prix est un peu plus élevé, on s’y retrouve. »

Ici, par de cookie, brownie, hot-dog, burger ou pancake… « Non ! Je ne sais pas faire, ça comme le snacking, ça n’est pas de notre génération. Je n’ai rien contre mais je suis pâtissier avant tout. Maintenant, tout le monde fait tout. » Et du coup, rien de bien.

Chez les Pagès, les gourmands avaient droit à leur petit paradis. « Les viennoiseries, les barquettes au marron qui voyagent bien, le mille-feuille à la groseille sur commande pour se démarquer du mille-feuille classique, et le Caladon. Je ne l’ai pas inventé, le Caladon a été créé par des pâtissiers nîmois dans les années 1950 pour faire un peu de la concurrence au croquant de chez Villaret ! On en vendait pas mal alors ça ne devait pas être mauvais… D’ailleurs et en en parlant, ils sont au four et il faut que j’aille les sortir ! »

Pâtisserie salon de thé Pagès Nîmes (Photo Anthony Maurin)
Chaque habitué avait sa place quasi réservée, certains préfèrent être visibles en terrasse quand d'autres avouent passer du temps près du radiateur (Photo Anthony Maurin)

Un dernier mot pour les clients d’hier et d’aujourd’hui avant de retourner dans l’arrière-boutique ? Pour Jérôme, un vif regard dans le rétro mais la vie continue. « Dans toute ma carrière, je n’ai viré qu’un seul client mais il nous gonflait vraiment ! C’est le seul. Je me rappelle la pâtisserie à l’époque de mon père, on était gamin et avec les copains, on partait au Gardon. L’atelier n’a pas trop bougé, le matériel a duré dans le temps car il était de meilleure qualité que ce qu’il est maintenant. Mon four a traversé les âges, il a peut-être 80 ans ! »

C’est avec un regard joyeux, mais humide que le couple va tourner la page et clore ainsi un chapitre entier d’une vie au service de l’autre et du plaisir de partager. Les Pagès s’en vont et avec eux, pas seulement la recette du Caladon. Avec eux part un lieu repère de la ville. C’est une échoppe emblématique au savoir-faire qualitatif qui baisse le rideau mais qui aura ouvert bon nombre d’yeux sur la manière de tenir un commerce en centre-ville.

Pâtisserie salon de thé Pagès Nîmes (Photo Anthony Maurin)
Chez les Pagès on faisait... (Photo Anthony Maurin)

Oui, on ne dure pas dans le temps si on n’aime pas ce que l’on fait et si on le fait mal. Les Pagès vont manquer aux habitués, aux gourmands en quête de saveurs locales et aux curieux qui se plaisaient à se prendre en photo dans cette petite boutique hors du temps. Pour tout cela, madame, monsieur, merci !

Pâtisserie et salon de thé Pagès, 14 rue Régale 30 000 Nîmes.

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