L'INTERVIEW Régis Bayle, président du Pays viganais : "La prochaine étape, c'est la grève de l'urbanisme"

Le président du Pays viganais, Régis Bayle, lors du congrès des maires, ce jeudi à Alès
- François DesmeuresLa préoccupation est répétée depuis longtemps, mais cette fois-ci le texte est frontal : le Pays viganais a adopté une motion, début avril, qui cible l'accumulation des règles et des portés à connaissance - accusées de bloquer toute initiative en matière d'urbanisme - et leur application par les services de l'État, jugée pointilleuse. Le président du Pays viganais, Régis Bayle, s'en explique et menace la préfecture de ne plus traiter les demandes de permis de construire, ce qui revient à les accorder de manière tacite. Entretien.
Objectif Gard : Le Pays viganais a adopté à l'unanimité, début avril, une motion qui s'attaque aux règles d'urbanisme et à leur mise en application par les services de l'État. Qu'est-ce qui bloque ?
Régis Bayle : C'est avant tout le ZAN (ou Zéro artificialisation nette, contenue dans la loi Climat et résilience, qui réduit de moitié les surfaces constructibles pour les dix années suivantes par rapport aux 15 années précédentes, NDLR). On en parle, mais un aspect de la problématique me semble avoir échappé à tout le monde concernant la ruralité. Sur la philosophie du ZAN, les élus du Pays viganais ne sont pas contre. Vouloir limiter l'artificialisation des sols, on n'est pas contre. Mais, appliquer approximativement la même règle au monde urbain et à la ruralité... Quand on sait que nous, dans les dix dernières années, on n'a pas urbanisé grand-chose, et qu'on nous demande, en plus, de le diviser par deux et de l'annuler ; et qu'en même temps, on ne peut pas reconquérir le bâti existant, c'est une condamnation à mort du territoire. Si on rajoute les portés à connaissance feux et chutes de blocs, le plan de prévention du risque inondation, la loi ZAN, on ne peut plus rien faire en Pays viganais. Pour moi, c'est une condamnation à mort du territoire à un moment où les premiers recensements post-Covid montrent qu'on a une forte augmentation de la population. Même le bourg-centre du Vigan, qui perdait de la population depuis 50 ans, en regagne.
"Appliquer les mêmes majorations de taxe d'habitation que dans les stations de tourisme pour les résidences secondaires"
Vous parlez de reconquête de l'existant... Votre motion appelle notamment à décorréler taxe foncière et taxe d'habitation, afin de limiter les résidences secondaires...
Les résidences secondaires, c'est le grand sujet. Je viens d'interpeller les sénateurs là-dessus. Le ZAN doit marcher sur ses deux pattes : il y a une patte qui arrête d'artificialiser. L'autre patte, qui doit aller avec, c'est qu'on favorise la reconquête du bâti existant. À Arrigas, dans ma commune, il y a 58 % de résidences secondaires. 58 % ! Dans le Pays viganais, il y a 15 communes sur 21 où les résidences secondaires représentent plus de 40 % du parc de logement. Or, aujourd'hui, on n'a aucun moyen pour régler ce problème. Parce que, comme on n'est pas une station de tourisme, je ne peux pas augmenter la taxe d'habitation - qui ne touche que les résidents secondaires - dans des proportions différentes que la taxe foncière. Donc, si j'augmente la taxe d'habitation, je dois augmenter la taxe foncière. Et je pénalise les résidents à l'année. Il faut qu'on puisse faire une décorrélation et - ce que je propose aux sénateurs - qu'on puisse, dans toutes les communes rurales où plus de 30 % du parc immobilier est en résidence secondaire, appliquer les mêmes majorations de taxe d'habitation que dans les stations de tourisme. Et là, on règle, à mon avis, une bonne partie du problème.
Les problèmes que vous évoquez sont soulignés depuis longtemps. Pourquoi une motion maintenant ?
Parce qu'avec la construction du PLUi (plan local d'urbanisme intercommunal), on le touche du doigt très concrètement. Et parce que notre territoire est, à mon avis, unique à l'échelle du département en matière de stratification de contraintes qui fait - je me répète - que c'est une condamnation à mort, on ne peut plus rien faire. Les élus se demandent même, clairement, si cela vaut le coup de continuer le PLUi. Le faire, si c'est pour négocier des miettes avec la DDTM (Direction départementale des territoires et de la mer), ce n'est pas la peine. Une autre règle est sortie récemment, c'est le permis de défricher. Aujourd'hui, on a plein de permis qui sont bloqués par ça. Ce n'est pas un porté à connaissance, c'est opposable. Si la DDTM dit "non", ça bloque le permis. La DDTM considère que, si une parcelle est naturelle, on ne peut plus défricher, c'est sanctuarisé. Mais il faut regarder les cartes postales anciennes d'il y a 100 ans... On constate que, dans les Cévennes, à cause de l'exode rural, de la déprise agricole, en un siècle, la couverture forestière a explosé. Ce qui pose aussi des problèmes de risque incendie, parce que c'est de la "mauvaise" forêt et de la friche. Pour nous, ces terres qui n'étaient pas forestières et le sont devenues, ce n'est pas de la vraie forêt, mais du territoire agricole qui a été abandonné. On veut le reconquérir aujourd'hui, car l'un des objectifs de notre PLUi est de remettre des terres à l'agriculture. On a un plan alimentaire territorial et une volonté forte de développer l'agriculture. Mais, même là-dessus, on nous bloque. On demande que ce permis de défricher soit rétrogradé au rang de simple porté à connaissance et que ce ne soit plus opposable.
"Il y a de la colère chez les gens"
En attendant, le PLUi est bloqué ?
Non, on va le continuer. Ce n'est pas qu'un document d'urbanisme, mais aussi de planification stratégique, de traduction dans l'espace de notre projet de territoire. On ne va pas l'arrêter. Par contre, je l'ai dit au préfet le 8 mai, quand je l'ai croisé à Lanuéjols : si cette fois-ci, nous ne sommes pas entendus sur le ZAN, les portés à connaissance ou le permis de défricher, bref si rien ne bouge, la prochaine étape que je proposerai aux maires du Pays viganais, c'est la grève de l'urbanisme. Les maires en ont marre. J'ai fait ma carte communale, à Arrigas, en 2014, avec des parcelles constructibles. Entre-temps, l'État a sorti tous les portés à connaissance. Des gens ont eu des successions, ont donné leur terrain à leur enfant en leur disant qu'il est constructible. Les services de l'État passent par là, ajoutent le porté à connaissance "glissement de terrain", et celui-ci n'est plus constructible. Vous vous rendez compte du drame ? Il y a de la colère chez les gens. Et après, on s'étonne qu'ils votent pour l'extrême-droite ! Je me pose même la question de l'État de droit : comment se fait-il que des réglementations puissent l'emporter, de manière rétroactive, sur un document factuel comme une carte communale, validée par la signature du préfet ? Il faudrait poser une question de constitutionnalité.
Grève de l'urbanisme, qu'est-ce que cela veut dire ?
Que les maires vont accuser réception des demandes de permis, on ne les transmettra plus à notre service instructeur. Donc, le délai d'instruction va s'écouler et il y aura une vague de permis tacites qui vont arriver au contrôle de légalité à la préfecture. Déjà qu'ils n'arrivent pas à les traiter aujourd'hui, je vous laisse imaginer... J'ai prévenu le préfet.
"Je n'incrimine pas les fonctionnaires de l'État, qui font leur travail. Mais il faut arrêter de rajouter des complications."
Avez-vous reçu une réaction de la part de la préfecture depuis l'adoption de cette motion ?
Le préfet a un peu répondu, lors de l'assemblée générale des maires : on va recevoir, dans la semaine, un courrier de sa part qui, finalement, modifie complètement le prisme d'interprétation des portés à connaissance. Le dernier mot sera quand même laissé aux maires. J'attends de voir, quand même, concrètement comment la DDTM et les services instructeurs, dans les intercommunalités, vont l'interpréter. J'attends de voir pour croire… Je pense que le préfet est conscient du problème. Et je n'incrimine pas les fonctionnaires de l'État, qui font leur travail. Mais il faut arrêter de rajouter des complications. Le directeur adjoint de la DDTM, que nous avons rencontré il y a quelques mois, nous a montré une carte de France avec deux départements en rouge : le Gard et l'Aude. En nous disant : "Ce sont les deux départements qui, depuis 30 ans, ont eu le plus d'arrêtés de catastrophes naturelles." Donc, en clair, on vous embête plus qu'ailleurs parce que vous avez coûté très cher à l'État et aux compagnies d'assurance. Voilà. Je peux l'entendre : le 19 septembre 2020, à Valleraugue, on a vu ce qu'il s'est passé. Mais on demande - comme on l'a mis dans la motion - de passer d'un principe de précaution à un principe d'adaptation. Il ne suffit pas de nous dire "Non, niet", mais plutôt "on vous accompagne pour trouver les solutions qui vont permettre, quand même, qu'on fasse quelque chose à cet endroit, mais en sécurisant les gens". Sans nous imposer, pour autant, une étude à 40 000 € pour réviser le porté à connaissance. C'est inentendable, car aujourd'hui, c'est presque sur chaque projet qu'il faudrait une étude à 40 000 €...