MARTIGNARGUES "La loi Duplomb ne répond en rien à la problématique de la majeure partie des agriculteurs"

Simon Le Berre est porte-parole de la Confédération paysanne du Gard
- François DesmeuresLa semaine dernière, la Confédération paysanne du Gard s'opposait à la tentative de contre-pétition de la FNSEA - auquel la section gardoise invite à participer - en soutien à la loi Duplomb. Vigneron à Martignargues et Ners, le porte-parole de la Conf' gardoise, Simon Le Berre, explique pourquoi son syndicat s'oppose à cette loi et souligne sa convergence avec certains agriculteurs gardois de la FDSEA. Pour la Confédération paysanne, la rémunération des paysans reste le nerf de la guerre, quand le syndicat dénonce une loi taillée pour l'agro-industrie. Entretien.
Objectif Gard : La Confédération paysanne a réagi, par communiqué, à la demande de participation de la FDSEA (fédération départementale des syndicats d'exploitants agricoles) gardoise à une pétition nationale. Qu'est-ce qui vous choque dans cette action du syndicat majoritaire et, plus largement, dans la loi Duplomb ?
Simon Le Berre : Ce qui nous choque dans cette pétition, c'est de continuer à opposer des idéaux qui, pour nous, sont semblables. On continue d'opposer agriculture et écologie, alors que pour nous c'est une aberration : on fait tous la même chose et on a tous le même respect pour la nature. Ce qui nous choque dans cette loi Duplomb, concrètement, c'est qu'elle ne répond en rien à la problématique de la majeure partie des paysans et des agriculteurs qui vivent sur le terrain. Elle ne répond qu'à une minorité d'oligarques de l'agro-industrie, qui ont des relations avec les dirigeants de la FNSEA qui, eux-mêmes, ont des relations avec les membres du Gouvernement et de l'exécutif. Ils font donc une loi adaptée à leurs nécessités économiques, mais qui ne répond en rien à la réalité du terrain, et c'est vraiment dérangeant.
Ce que vous appelez leur "nécessité économique", c'est de travailler pour l'exportation ?
Exactement. De répondre à des problématiques internationales, à des cours à l'export qui sont variables et fluctuants, de devoir maximiser leurs marges, de devoir posséder des élevages de plus en plus gros, avoir des productions de plus en plus intensives, avec des coûts maîtrisés, du numérique, de l'industriel... Ce n'est vraiment pas le profil de l'agriculteur type en France, en fait. Nous, on est sur le terrain, on voit la taille des exploitations et le modèle du paysan lambda. Le modèle de loi Duplomb et aussi censé prendre en compte le renouvellement des générations. Ce n'est pas uniquement une simplification, mais aussi penser à l'avenir et aux paysans qu'on veut installer demain. Aujourd'hui, je ne connais pas un jeune qui souhaite s'installer en agriculture sur un modèle comme ça. Ceux qui viennent me voir rêvent de transformation, de vente directe et de lien au sol. Si on veut penser à comment nourrir la population nationale, cette loi ne répond en rien à ces objectifs.
"Quand je vois du poulet à 4€ le kilo en supermarché, je me demande comment ça peut arriver sur le territoire"
Mais si on ne s'intéresse plus aux exportations agricoles, ne risque-t-on pas de laisser du monde sur le bord de la route ?
C'est évident. Mais ce qui est embêtant dans cette loi, c'est que l'argument principal - et M. Laurent Duplomb le répète sans arrêt - c'est de mettre les agriculteurs français à la même échelle que nos voisins européens. Nous, on appelle cela un nivellement par le bas : plutôt que de demander à nos voisins de faire un effort et d'atteindre une agriculture aussi vertueuse que la nôtre, on vient dépouiller la nôtre. On va aller jusqu'où comme ça ? Ensuite, on va demander aux agriculteurs européens de se mettre au niveau des Néo-Zélandais, puis de l'Amérique latine... Petit à petit, on va défaire toute la structure environnementale et sociale qu'on a mise en place avec notre agriculture.
Pour la Confédération paysanne, le but de l'agriculture est avant tout de nourrir sa propre population et de ne pas être un motif de balance commerciale ?
On est ici, avant tout, pour fournir une alimentation saine à notre population. Si on doit exporter certains produits, ou travailler avec le reste du monde, c'est peut-être parce que le consommateur français n'a pas pris conscience ou n'a pas les moyens de se payer cette alimentation qualitative. On le voit dans les supermarchés, avec des prix défiant toute concurrence sur lesquels le producteur français ne peut pas s'aligner, ce n'est pas possible. Quand je vois du poulet à 4 € le kilo en supermarché, je me demande comment ça peut arriver sur le territoire. On demande la mise en place de prix-planchers à nos frontières, de manière à ce que ce genre de produits, qui ne répondent à nos normes, ne puissent pas rentrer à un prix inférieur à tant... Mais on va nous dire que c'est la loi du marché... On propose, donc, aussi une Sécurité sociale de l'alimentation pour apporter au consommateur une enveloppe qui permettrait de se nourrir sainement, avec des produits de qualité, faits sur place.
"Ce qui me choque le plus, c'est le décalage entre des agriculteurs syndiqués de la FDSEA gardoise (...) et la réponse de leurs propres dirigeants syndicaux, qui n'est pas du tout adaptée à leurs valeurs"
Il y a une vingtaine d'années, la demande de bloquer aux frontières des produits traités avec des pesticides interdits en France émanait en premier lieu de la FDSEA. Aujourd'hui, le syndicat majoritaire soutient plutôt un alignement. Qu'est-ce qui a changé, selon vous ?
Je ne sais pas du tout. Même à la Coordination rurale, qui se prétend proche des petits paysans... Alors que nous insistons, dans les réunions nationales, pour des prix rémunérateurs aux frontières, on se rend compte que la Coordination rurale, avec la FNSEA, militent pour de plus en plus de libéralisme et de "déréglulation". Est-ce que les dirigeants de ces syndicats ont des entreprises qui rapportent dans ce fonctionnement-là ? Je n'ai pas la réponse. Mais ce qui me choque le plus, c'est le décalage entre des agriculteurs syndiqués de la FDSEA gardoise, qui prônent les mêmes valeurs que nous et attendent une gestion de ces inégalités aux frontières, et la réponse de leurs propres dirigeants syndicaux, qui n'est pas du tout adaptée à leurs valeurs.
Vous en discutez avec des gens de la FDSEA gardoise ?
Moi, j'en discute régulièrement avec David Sève (président de la FDSEA du Gard, NDLR), avec Mickaël Fabre, qui est élu à la chambre, et même avec Magali Saumade (présidente de la Chambre d'agriculture). J'ai relu un article sur Magali Saumade, il y a quelque temps dans Objectif Gard qui, on le comprend, n'est pas forcément très satisfaite de la loi Duplomb, car on sait que ses valeurs sont pour une consommation locale, une transformation et une valorisation en vente directe. Je pense que comme nous, à la Confédération paysanne, elle est contre l'importation de produits qui ne correspondent pas aux normes françaises. Que le Gouvernement continue à envisager des traités, comme le Mercosur, qui vont encore ramener sur le territoire des produits encore plus loin de nos normes, on ne comprend plus.
"Ouvrir un bidon avec un pictogramme "cancérigène", ça ne fait plaisir à personne"
Vous attendiez-vous à un tel succès de la pétition en opposition à la loi Duplomb ?
Je pense qu'on est habitué à voir la société civile en adéquation avec nos valeurs, avec une envie de plus d'agriculture vertueuse. Mais il faut arrêter d'être extrémiste : aujourd'hui, si mon voisin en agriculture conventionnelle traite et pratique une agriculture intensive, ce n'est pas par plaisir. Je ne connais personne qui se lève le matin et se lave les mains dans un bac de produits phytosanitaire parce qu'il en adore l'odeur. Ces gens utilisent des produits dangereux pour la santé, et avant tout pour les agriculteurs. Ouvrir un bidon avec un pictogramme "cancérigène", ça ne fait plaisir à personne. Ils le font pour des contraintes économiques, pour se verser le moindre salaire qu'ils parviennent à toucher, ils ont l'obligation d'utiliser ces produits-là. Mais personne ne prend plaisir à polluer, à s'empoisonner, à détruire des espèces. Si on joue sur des leviers importants, c'est-à-dire le revenu, on peut amener tout le monde dans le bon sens. La pétition montre juste que le consommateur, même s'il n'en a pas toujours les moyens, attend des produits de qualité et sains.
La loi Duplomb prévoit aussi de faciliter le stockage d'eau à vocation agricole. Dans les Cévennes, à part le projet de Rochegude, on parle plutôt de retenues collinaires que de bassines. Quelle est la position de la Confédération paysanne sur le sujet, alors que le réchauffement climatique nécessite une irrigation plus importante ?
J'en parlais avec un collègue, viticulteur à Saint-Maurice-de-Cazevieille, quelqu'un de sensé et encarté FDSEA depuis son grand-père. Aujourd'hui, il prône la même chose que nous, c'est-à-dire stocker l'eau avec des petites retenues, des petits bassins gérés à l'échelle de quelques parcelles ou d'une ferme. On est tous pour, parce qu'on est dans un département avec une tension hydrique importante et des pluviométries précises et courtes sur une année. Faire une gestion, comme il se faisait dans les Cévennes pendant des siècles, on est tous d'accord. Mais ça s'est traduit, dans la loi, par le fait de pouvoir contourner des études environnementales pour construire des méga-bassines qui servent à irriguer du maïs, de la vigne, des semences... On est dans l'incompréhension totale. Ici, on est en pleine crise viticole, il y a du vin partout, on ne sait pas ce qu'on va faire de la prochaine vendange...
À l'Assemblée nationale, le texte de la loi Duplomb sera redébattu, mais sans vote. Qu'en attendez-vous réellement ?
L'Assemblée est dans une impasse. Si la loi avait la chance d'y retourner, je n'en attendrais pas grand-chose. J'aimerais que la loi soit définitivement mise aux oubliettes afin de retravailler, avec les présidents des chambres d'agriculture départementales et régionales, à des choses concrètes pour les territoires. Cette loi répond à quelque chose d'absurde, sans capter la réalité du terrain. Tant qu'on ne prendra pas des décisions sur le revenu des agriculteurs et la rémunération en prix et en stabilité dans le temps... Le banquier nous demande des prévisionnels sur 15 ans, alors qu'aujourd'hui, le marché varie parfois du tout au tout en six mois ou en un an !