FAIT DU JOUR Transition écologique et festivals, comment les concilier ?
Dans les manifestations, on voit fleurir les toilettes sèches, écocups, totebags et autres totems affichés par les festivals en guise de symboles de développement durable. Bien qu'économe en eau ou réutilisables, sont-ils si vertueux que cela ? Ne représentent-ils pas seulement la face visible de l'iceberg dissimulant les plus grands impacts environnementaux de ces rassemblements ? Certains organisateurs ont pris conscience qu'ils allaient devoir fournir plus d'efforts.
Concevoir l'écologie, non plus comme une contrainte, mais comme une anticipation des nouveaux risques environnementaux. C'est par ce prisme que des organisateurs de festivals ont choisi d'aborder la question des dérèglements climatiques. Canicule, risque incendie, risque inondation... Tous ces dangers, particulièrement prégnants dans le Gard, impactent directement les spectateurs et les conditions d'accueil sur les événements. Et ils sont amenés à devenir de plus en plus fréquents, au point que certains assureurs ne veulent plus suivre par crainte des tumultes de la météo.
Face à ce constat, on peut observer des prises de conscience fortes mais pas encore généralisées, à tous les niveaux, comme l'explique David Irle, Nîmois et consultant en transition écologique spécialisé dans le secteur culturel : "On a des publics qui ne veulent plus aller dans des festivals où il y a de mauvaises pratiques, certains artistes ne veulent plus cautionner certains modes de fonctionnement et les organisateurs en ont marre de faire les choses à l'ancienne." Au niveau institutionnel aussi, des signaux forts sont envoyés : l'année dernière, le ministère de la Culture a signé une charte de développement durable des festivals.
Le festival, un terrain d'expérimentation éphémère du durable
En parallèle, nous nous trouvons dans une année charnière après deux saisons où la culture a été malmenée par les restrictions sanitaires. Se pose alors la question : comment créer un bel événement viable économiquement tout en conciliant les enjeux écologiques ? Pas si facile d'y répondre... Mais la dimension éphémère du festival se prête bien à l'expérimentation : "Un des problèmes que l'on rencontre avec la transition écologique, c'est qu'il faut transformer des habitudes qui sont très ancrées. C'est plus facile de le faire sur un événement ponctuel que de l'appliquer au quotidien", raisonne David Irle.
Parfois, cette volonté peut se heurter aux traditions. Dans certains cadres où la culture taurine est très présente, l'idée de davantage "végétaliser" les assiettes "peut générer de grosses tensions, on est obligé d'y aller doucement et d'expliquer. Mais c'est très sain d'amener du débat, de la donnée scientifique, dans une approche non-culpabilisante", pointe le Nîmois.
Il a coécrit un essai intitulé "Décarboner la culture", sorti en octobre 2021, dans lequel il esquisse quelques pistes que pourrait emprunter le monde culturel pour mieux respecter les défis écologiques. Plus ils sont gros, plus ils sont difficiles à relever car ce sont en réalité les moins visibles. "La partie scène, scénographie, vaisselle, oui ça génère des impacts. Mais ce ne sont pas les plus gros. Les plus importants sont indirects et cachés. Entre autres, comment les publics se rendent au festival ? Pour mettre un ordre de grandeur : quand 5 000 personnes se déplacent en faisant 200 km en voiture, ça a beaucoup plus d'impacts que d'utiliser des gobelets en plastique", témoigne David Irle.
La mobilité des publics : le point le plus impactant pour l'environnement
Les mobilités des publics constituent la question névralgique du problème. Il reste compliqué à résoudre car tout organisateur souhaite que les spectateurs viennent et ne veut pas imposer des contraintes supplémentaires et décourageantes. Mais se rendre en "festoch" de manière plus soutenable, sans trop dépenser, c'est quand même mieux... "Dans le Gard qui est un département assez rural, ça génère de gros challenges. Il faut une réflexion globale des collectivités, notamment sur les mobilités exceptionnelles, en mettant en place des navettes à des horaires adoptées", poursuit l'éco-conseiller nîmois. Il ajoute : "Pourquoi ne pas s'appuyer sur les événements pour valoriser les investissements du Département en matière de mobilité durable. À côté de Jazz à Junas, il y a une belle voie verte. Si une trentaine de spectateurs viennent à vélo, la piste est mise en avant et il y a une belle réduction d'impact compensant la venue d'un artiste anglais par exemple."
À Sumène, l’association "Les Elvis Platinés", qui organise les Transes cévenoles, est également reconnue parmi les "Assos durables" par convention avec le SYMTOMA Aigoual-Cévennes-Vidourle. Les bénévoles réfléchissent à renforcer le covoiturage. À Villeneuve en Scène, qui se tient en juillet tous les ans, on a bien avancé sur la question en favorisant les spectateurs locaux avec des tarifs réduits pour les habitants de l'Agglomération du Grand Avignon ou encore en faisant la promotion de la navette fluviale gratuite entre Avignon et Villeneuve.
Que ce soit Villeneuve en Scène ou les Transes cévenoles, ils sont tous deux suivis par Élémen'terre. Basée à Toulouse, cette association est en train de mettre en place un label "événement éco-responsable" qui rayonnerait sur toute l'Occitanie. Tous les événements culturels, sportifs ou de loisirs de la région pourront souscrire à cette démarche, répartie en trois niveaux. Pour se hisser sur la première marche, il faut obligatoirement répondre à neuf enjeux (*) et à minimum douze engagements facultatifs.
Un nouveau festival à Aramon vise le zéro déchets
Une première expérimentation du label est lancée pour cet été 2022 sur une dizaine d'événements. Parmi eux, le festival Emergences qui déroulera sa première édition à Aramon du 9 au 11 septembre. Il est créé par Sabine Chatel, productrice de musique depuis 30 ans et native du village en bord de Rhône. Elle a souhaité lancé ces trois journées sur le thème de l'eau, vingt ans après les inondations de 2002. "À l'époque, pas un journaliste n'avait évoqué les effets du dérèglement climatique. Tout le monde parlait de phénomène exceptionnel", se remémore-t-elle. Elle a donc à coeur de proposer un festival en cohérence avec ses valeurs écologiques dans le fond comme dans la forme.
C'est pourquoi, elle s'est lancée dans ce processus de labellisation : "Ce concept m'a aidé. Il me montre aussi tout ce que je pourrai encore faire. Il dessine un petit peu un modèle des festivals de demain." Pour cette première édition, elle veut favoriser le covoiturage et vise le zéro déchets : même pas d'écocups, de totebags, ou de stylos estampillés du logo du festival. Ce dernier sera installé au coeur du village et pas dans un site dédié. Pour éviter les emballages usagés, il n'y aura pas de food-trucks, mais les festivaliers pourront se restaurer dans les bars et restaurants de la commune, et faire travailler le local. "Il n'y a pas d'hôtel à Aramon mais on effectue un recensement de tous les Airbnb aux alentours", poursuit Sabine Chatel. Et de poursuivre : "Il y a une idée d'éducation, d'exemplarité afin que les habitants du territoire intègrent petit à petit ces gestes dans leur quotidien."
Est-ce que certains gros festivals vont être contraints de redimensionner leur jauge à l'avenir ? Est-ce que les micro-festivals parviendront à perdurer en suivant ces nouvelles mesures ? Au-delà des questions d'échelle, il y a la dimension de soutien des collectivités. La Région Occitanie est d'ailleurs en train de plancher sur une "éco-conditionnalité" du versement des subventions.
Marie Meunier
Les neufs enjeux identifiés dans la charte Élémen'terre sont : structurer sa démarche et progresser; respecter le site d'accueil; réduire au minimum l'impact des déplacements (éco-mobilité), limiter sa consommation de ressources (sobriété); manger durable; tendre vers le zéro déchet: favoriser l'accueil de tous les publics (accessibilité et non-discriminations); embarquer les publics dans la transition écologique (mobilisation); numérique responsable.