Publié il y a 1 an - Mise à jour le 08.03.2023 - François Desmeures - 4 min  - vu 2311 fois

FAIT DU JOUR Priorité du premier quinquennat Macron, elle ne gagne que 848 € par mois

Sandrine Auriel est acompagnante d'élèves en situation de handicap sur une école de Bagard et une de Boisset-et-Gaujac

- (photo François Desmeures)

Si l'inclusion scolaire est citée dès 2013 dans un texte législatif, elle devient une "priorité du quinquennat" dans le discours de politique générale du Premier ministre Édouard Philippe, en juillet 2017. Cinq ans et demi plus tard, les accompagnants d'élèves en situation de handicap sont une réalité dans les classes mais aussi une priorité bien maltraitée, qui ne parvient pas à joindre les deux bouts et à qui des moyens sont enlevés alors que les besoins augmentent.

Sandrine Auriel est acompagnante d'élèves en situation de handicap sur une école de Bagard et une de Boisset-et-Gaujac • (photo François Desmeures)

Ils - ou plutôt elles, à 90 % -  sont environ 1 700 dans le Gard, dont près de 1 000 se sont incrites sous la bannière du Collectif gardois des AESH (accompagnants des élèves en situation de handicap). L'inclusion scolaire, priorité du premier quiquennat donc, est devenue une évidence dans les écoles. Pourtant, les petites mains de cette oeuvre sont loin d'avoir obtenu la même reconnaissance. Fin janvier, la députée du parti majoritaire, Claire Guichard, définissait ainsi les femmes qui ont choisi d'être AESH, "des mères qui ont arrêté de travailler à une époque pour s'occuper de leurs enfants. Elles choisissent ce statut pour avoir les mercredis, les vacances scolaires et elles assument, c'est un choix". Une phrase qui n'a pas fini de choquer les intéressées. Pour qui la notion de choix est bien éloignée du principe de réalité. 

À cheval sur les écoles de Bagard et Boisset-et-Gaujac, Sandrine Auriel est l'une de celles qui devrait assumer son choix, selon Claire Guichard. La députée ne dit pas, en revanche, si Sandrine Auriel doit assumer aussi les choix de sa hiérarchie, qui décide que les AESH seront désormais liées à un PIAL (Pôle inclusif d'accompagnement localisé) au lieu d'être nommées sur une école. "C'est un nouveau fonctionnement dans la gestion de l'inclusion scolaire : un établissement en regroupe plusieurs, témoigne Sandrine Auriel. Ainsi, on peut piocher dans un vivier d'AESH compris dans le PIAL." 

Nommés sur un territoire, les AESH sont appelés à faire des kilomètres

Un vivier qui, en conséquence, attend de savoir où il sera nommé. Et à qui, mécaniquement, on a ajouté des kilomètres : Bagard, à titre d'exemple, est dans le même PIAL que Saint-André-de-Valborgne. Deux villages distants de près de 45 kilomètres. "On a obtenu une audience avec le Dasen (directeur académique des services de l'Éducation nationale, NDLR) sur le sujet de l'inflation, relate Sandrine Auriel. Il nous a répondu que le propre des AESH, c'était la mobilité. Or, les défraiements kilométriques sont vraiment des cas particuliers et ils mettent des mois à arriver."

Sans défraiement - mais heureusement les deux villages où elle travaille sont proches - Sandrine gagne 848 € par mois, pour 24 heures de travail hebdomadaire. Un temps de travail qui ne peut pas augmenter. "Même quand les besoins augmentent sur une école, on met plusieurs AESH de 24 heures, sans s'adresser à celle en poste." La "logique" administrative s'allie à la raison comptable pour déshumaniser un métier qui repose avant tout, justement, sur l'humain. "En 2018, un rappport de la cour des comptes a souligné qu'il y avait trop d'accompagnements individuels par rapport aux accompagnements mutualisés. Donc, on suit deux ou trois enfants au moins, constate Sandrine Auriel. Mais si leurs troubles sont différents, ça devient très compliqué." 

"Aujourd'hui, l'évolution se fait sans mettre de moyens"

L'année 2018 a donc été celle de la mutualisation à outrance, alors même que la priorité quinquennale avait été énoncée. De la réduction de l'accompagnement également. "Les enfants qui étaient à douze heures sont passés à six heures. Avant, l'Éducation nationale était obligée de se plier au nombre d'heures données par la Maison départementale des personnes handicapées (MDPH). Avec la mutualisation, en fait, il n'y a plus de questions d'heures. Dans l'Aude, ils en sont à trois heures par semaine. En 2005, la loi qui instaurait un droit à la scolarité a été un vrai tournant, reconnaît Sandrine Auriel. Aujourd'hui, l'évolution se fait sans mettre de moyens. Plus ça va et plus ça se détricote."

Et avant même ce détricotage, les moyens se révèlent insuffisants : le Gard dispose de 1 700 AESH... quand la MDPH produit 8 100 notifications de besoin... "Chez les enfants qui ont subi une humiliation - comme des dyslexiques à qui on a fait faire des pages d'écriture - il y a un manque de confiance, il faut du temps pour s'apprivoiser. Et dans les troubles, chacun a sa singularité. Ce qui semble se profiler, redoute Sandrine Auriel, c'est l'arrivée d'AESH privés, directement embauchés par les parents via une association. S'il y a un contrat avec l'Éducation nationale, le directeur d'école ne pourra même pas s'y opposer." Ce qui pourrait créer, au sein même de la classe, une discrimination dans l'enseignement.

"Quand on est précaire, on prend tout de plein fouet. On mange ce qu'on peut ; on s'habille comme on peut ; et les enfants sont les premiers impactés."

Et la dégradation des conditions de travail va de pair avec celle du service rendu aux enfants. "AESH est une mission, résume Sandrine Auriel, ce n'est pas un vrai métier, avec un statut et une reconnaissance. Le seul bagage demandé, c'est le bac. Et on manque cruellement de formation : quand on est embauchées, six à huit mois après la prise de poste, on a soixante heures de formation. Et puis, quand on est précaire, on prend tout de plein fouet. On mange ce qu'on peut ; on s'habille comme on peut ; et les enfants sont les premiers impactés." Les AESH font aussi face à des pathologies qui relèvent d'établissements spécialisés, comme des instituts médico-éducatif (IME) ou des instituts thérapeutiques éducatifs et pédagogiques (ITEP). "On a ainsi une recrudescence d'enfants, avec des troubles du comportement qui explosent. Sur Alès, l'ITEP ne prend pas les enfants de moins de 12 ans. Mais c'est trop tard !"

"On revendique de vivre de notre travail, réclame simplement Sandrine Auriel, qui échange régulièrement avec le collectif AESH du Gard. Sans nous, l'inclusion scolaire ne tient pas." Et sans salaire décent, le travail n'est qu'une charge. En plein débat sur la réforme des retraites, Sandrine Auriel voit aussi se profiler une pension famélique. Le collectif a eu l'occasion de rencontrer des élus, "qui ont produit des lettres ouvertes pour dénoncer la situation". Sans que celle-ci ne change.

Finalement, la députée Claire Guichard n'avait pas si tort que ça. Sauf qu'au lieu d'exprimer la réalité des travailleurs AESH, elle a énoncé la façon dont la majorité et le Gouvernement les considère. Et la représentation parlementaire n'est pas en reste : si une proposition de loi émanant de la Gauche a tenté de titulariser les AESH, elle a été balayée par la majorité présidentielle et le reste de la Droite. Au Sénat, le rapport Longuet a jugé "intenable" la croissance du budget de l'école inclusive, tandis que la chambre haute adoptait un amendement visant à l'achat de matériel informatique pour aider les enfants handicapés. Les AESH ont compris, de cette adoption, qu'on souhaite les remplacer par du numérique. Depuis, aucun membre de la majorité n'est venu contester cette interprétation. 

François Desmeures

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