Publié il y a 1 an - Mise à jour le 01.02.2023 - Thierry Allard - 4 min  - vu 708 fois

FAIT DU SOIR Faut-il produire plus d’uranium enrichi chez Orano Tricastin ?

Vue d'Orano Tricastin

- Photo : Crespeau / Orano

La question, ici grossièrement résumée, est posée dans le cadre d’une concertation préalable organisée sour l’égide de la Commission nationale du débat public (CNDP) jusqu’au 9 avril.

La CNDP, autorité indépendante, a nommé trois garants, l’équivalent, pour le dire vite, des commissaires enquêteurs lors des enquêtes publiques. L’idée est, conformément à la Charte de l’environnement annexée à la Constitution, de permettre à tout un chacun « d’exercer son droit individuel à être informé et à participer aux décisions concernant les grands projets », note Etienne Ballan, un des trois garants de la CNDP.

Car de grand projet, il en est question ici. Il s’agit rien de moins que d’un projet d’extension de l’usine Georges-Besse 2, une usine d’enrichissement de l’uranium située sur le site Orano Tricastin. Car l’uranium doit être enrichi de l’un de ses isotopes, le 235, ce qui le rendra fissile. Pour l’enrichir, on fait passer l’uranium à l’état gazeux, puis on utilise des centrifugeuses qui permettent de trier les isotopes pour ensuite garder ceux qu’on souhaite. À la fin du processus, l’uranium, transformé sous forme de pastilles de dioxyde d’uranium, compte de 3 à 5 % d’isotopes 235, contre moins de 1 % à l’état naturel.

Voilà pour la théorie, maintenant la pratique. Dans le monde, très peu d’entreprises savent enrichir l’uranium. « Il y a quatre acteurs dans le monde, deux à l’Est, et deux à l’Ouest, pose le directeur d’Orano Tricastin François Lurin. À l’Est, nous avons Rosatom, en Russie, qui représente 43 % du marché mondial, et CNNC, en Chine, pour 13 % du marché, mais qui ne produit que pour son marché domestique. Et à l’Ouest, il y a Urenco, qui compte 3 usines en Europe et une aux États-Unis, pour 31 % du marché mondial, et Orano, ici à Tricastin, pour 12 %. »

Se passer de l’uranium enrichi russe

Les données du marché sont donc celles-là, avec une forte dépendance de l’Europe et des États-Unis envers la Russie. « S’il n’y avait pas eu le conflit Russo-Ukrainien, nous ne serions pas là à vous parler de ce projet », résume François Lurin. Car même si des tensions entre les États-Unis et la Russie s’étaient déjà faites jour avant la guerre, depuis les choses ont changé. Désormais, européens et américains veulent réduire au maximum leur dépendance à la Russie, qui les fournit respectivement à hauteur de 31 % et 28 % en uranium enrichi.

Pour ce faire, il faut donc produire plus en Europe. « Des électriciens américains et européens ont d’ores et déjà pris contact avec nous », affirme le directeur du site. Or, concernant Orano, « nos usines de Tricastin tournent déjà à pleine capacité, 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, avec un taux de rendement de plus de 99 % », explique François Lurin. Actuellement, Orano Tricastin produit 7,5 millions d’Unités de travail de séparation (UTS), soit l’équivalent de la consommation de 90 millions de foyers. Le but, avec le projet d’extension qui ajouterait quatre modules aux quatorze mis en service entre 2011 et 2016, est de monter à 11 millions d’UTS. Et ce le plus vite possible : « L’objectif est de commencer à produire en milieu d’année 2028, avec une pleine capacité atteinte mi-2030 », avance Frédéric Bernasconi, directeur du projet pour Orano.

Schéma de l'usine Georges-Besse 2 et son extension • Orano

Cela suppose « un premier coup de pioche en septembre 2024 », ajoute-t-il, reconnaissant qu’il « ne faut pas perdre de temps, nous devons être bons du premier coup. » Pour y parvenir, le géant du nucléaire a adopté une stratégie : « Celle du copier/coller de l’usine existante construite récemment, avec un procédé très fiable, maîtrisé », explique Frédéric Bernasconi. Le tout sachant que les 20 000 mètres carrés nécessaires, au nord de Georges-Besse 2, sont disponibles, et que les sols nécessaires avaient déjà été préparés au cas-où. En tout, il faudra entre 1,3 et 1,7 milliard d’euros d’investissement pour concrétiser le projet.

Mais nous n’en sommes pas là. « La décision concernant le projet n’est pas encore prise », affirme François Lurin, qui estime qu’elle le sera par les grands chefs d’Orano d’ici cet été. Pour l’heure, Orano en est à consulter ses clients et à les sonder sur un engagement sur quinze ans, histoire d’amortir l’investissement nécessaire.

Le garant de la CNDP Denis Cuveiller, le directeur d'Orano Tricastin François Lurin, le chef de projet Christophe Mei et le directeur du projet Frédéric Bernasconi, devant le site où serait réalisée l'extension de l'usine Georges-Besse 2 • Photo : Thierry Allard

Concerner le grand public

C’est donc bien sur un projet que le grand public est désormais appelé à se prononcer par la CNDP, « le plus en amont possible », note Etienne Ballan, l’un des trois garants du débat. L’idée est de « garantir au public la sincérité et la complétude de l’information, le droit de participer, et le fait de rendre compte », précise-t-il. C’est directement à la CNDP qu’échoit le rôle de rendre compte de la concertation, avec pour Orano une obligation de répondre aux questions posées.

La CNDP a déjà commencé à travailler, en consultant les protagonistes sur le territoire. « Lors de cette concertation préalable, nous avons retenu que la plupart des personnes rencontrées sont très favorables au projet, on sent le poids économique du nucléaire sur le territoire », explique Denis Cuvillier, un des trois garants. Les craintes émanent plutôt à ce stade « d’associations militantes contre le nucléaire, qui craignent une concentration des activités », ajoute-t-il. Il en ressort également que le grand public ne sait pas toujours ce qui se passe derrière les hautes grilles du site nucléaire. Et pire, « ce qui nous a fait le plus peur, c’est qu’on a senti que le grand public ne se sentait que peu concerné par ce qui se passe sur le site », note Denis Cuvillier.

Denis Cuveiller (au premier plan) est un des trois garants de la concertation conduite par la CNDP • Photo : Thierry Allard

Le défi sera donc de le faire participer le plus largement possible à la concertation, et ce aussi « au-delà du périmètre rapproché du site », estime la CNDP. « Le public a le droit de s’informer et de participer, de débattre », résume Isabelle Barthe, la troisième garante de la Commission. Ça commence aujourd’hui, sur le site Internet dédié ouvert par Orano (voir ci-dessous). Plusieurs réunions publiques seront organisées, la première le 7 février à Montélimar (Drôme), ainsi que des rencontres de proximité et des visites de site.

Que se passerait-il si le résultat de la concertation était défavorable au projet ? Si Orano aura l’obligation de répondre aux questions posées par la CNDP, in fine l’opérateur pourrait passer outre. « Mais ce serait dangereux pour le projet », estime Denis Cuvillier. Orano préfère dire que dans pareil cas, elle ferait évoluer son projet avant l’enquête publique qui se déroulerait en 2024.

Pour aller plus loin

Toutes les informations concernant le projet et la concertation sont ici.

Thierry Allard

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