Article réservé aux abonnés
Publié il y a 1 mois - Mise à jour le 15.10.2024 - Sabrina Ranvier - 6 min  - vu 402 fois

FAIT DU JOUR Écoles, collèges, lycées : le combat de la sécurité

Lancés en juillet, les travaux devant l'école Bruguier doivent se terminer en novembre. D'un coût de 460 000 €, ils englobent la construction d'un parvis, d'un parking et d'un bassin de rétention. 

- Sabrina Ranvier

En ce début d’automne, les bruits de travaux remplacent les cris des guetteurs devant l’école Bruguier, au Chemin-Bas-d’Avignon. Des engins de chantier terminent la construction d’un nouveau parvis. Il y a huit mois, un bus rentrant de sortie scolaire s’était retrouvé au milieu d’une fusillade. Les élèves sont-ils en sécurité dans les établissements scolaires ? Dans quelques jours, le 4 novembre, huit adultes dont une Gardoise vont être jugés à Paris pour leur implication dans la mort de l’enseignant Samuel Paty. Il y a un an, le 13 octobre 2023, un autre professeur, Dominique Bernard, a été assassiné dans son lycée d’Arras. Dans ce contexte, Ville, Département, Région et académie font de la sécurité une priorité. Le lycée Jean-Baptiste-Dumas d’Alès vient par exemple de recevoir des boutons d’alerte reliés aux forces de l’ordre. Neuf lycées de l’académie testent ce dispositif. Le Département lance quant à lui un plan d’équipement en caméras pour sécuriser les entrées des collèges. Certains n’ont pas attendu et en possèdent déjà une quarantaine.

Sabrina Ranvier

« Si on s’en va, on leur laisse le territoire. C’est à eux de s’éloigner »

Faut-il délocaliser l’école Bruguier du Chemin-Bas-d’Avignon ? Après la fusillade du 8 février, une autre option a été choisie : augmenter la présence policière et mener des travaux de sécurisation.

Le bruit est sourd, régulier. De temps en temps, des bips aigus l’interrompent. Vendredi 20 septembre, un rouleau compresseur passe et repasse devant l’école Bruguier. Casqués de blanc, vêtus de rouge fluo, quatre hommes prennent des mesures. Une première partie du parvis a pu être livrée pour la rentrée. De temps en temps, des cris d’enfants percent les bruits de chantier. On les entend jouer dans la cour, mais on ne peut pas les voir. La clôture de cette école du Chemin-Bas-d’Avignon n’a pas été réalisée avec un grillage classique mais avec des plaques de tôles perforées. S’élevant à 3 mètres de haut, elles ont été installées début 2021, après qu’un dealer ait traversé la cour de l’école pour fuir un contrôle de police.

En ce vendredi matin, le quartier est calme. Pas de guetteurs sur des chaises à proximité de l’école Bruguier. Aucun « arah » aboyé pour annoncer l’arrivée de la police. Mais, à une centaine de mètres de l’école, un impact de balle sur la porte d’entrée d’un immeuble rappelle que le quartier n’est pas toujours paisible.

Feux d’artifice et coups de feu

« Jusqu’au dernier moment, je me suis demandée si j’allais remettre mes enfants à l’école Bruguier », avoue Claire*. Cette jeune femme à l’allure soignée habite sur les extérieurs du Chemin-Bas-d’Avignon. Même si elle est installée dans une zone « tranquille », elle entend fréquemment des détonations. « En ce moment, les dealers tirent des feux d’artifice un soir sur deux », décrit-t-elle. Mais, le 18 août, c’est le bruit d’une arme à feu qui a brisé le silence. Un homme de 31 ans a été tué rue Hélène-Boucher, à 150 mètres de l’école.

Les coups de feu, le petit garçon de Claire, les imagine tout le temps : quand le tonnerre gronde, quand un feu d’artifice pétarade. Le traumatisme remonte à sa sortie scolaire du 8 février. Le bus ramène les quatre classes devant l’école à 15h50, pile au moment où se déclenchent des échanges de tirs entre trafiquants. Une partie des occupants du car parvient à se réfugier dans l’école. D’autres s’allongent sur le sol du véhicule. Une enseignante, se souvient « de groupes d’individus cagoulés » en train de courir, de coups de feu « nombreux et consécutifs » tirés à l’angle de la rue de l’école. Deux voitures de police arrivent et permettent aux occupants du bus de se confiner dans leurs classes. Il n’y a - heureusement - aucun blessé.

Claire apprend la nouvelle de la fusillade et se précipite à l’école récupérer ses enfants. Lorsqu’elle se présente, tout est « très calme ». Il règne une « ambiance d’après-guerre ». Une maman qui passait en voiture, avec ses trois enfants, au moment des échanges de tir, a reçu une balle perdue dans l’habitacle. Le projectile s’est logé dans l’appuie-tête. « À 10 minutes près, cela aurait pu être moi », souffle Claire. Douze jours plus tard, le 20 février, pendant les vacances, un homme est abattu en soirée, à proximité de l’école, alors que son fils était dans la voiture.

Accidents du travail

Le jour de la rentrée des vacances d’hiver, treize enseignants de l’école Bruguier ne reprennent pas les cours. Ils sont en arrêt maladie. Quasiment tous ont fait une déclaration d’accident de service, l’« accident du travail » version fonction publique. Tous sont remplacés. « Mon fils pleurait le soir, il voulait s’enfuir », se souvient Claire. Le petit parle beaucoup à l’école avec les enseignants, est pris en charge par un psychologue sur place. Une présence policière est assurée aux entrées et sorties. Les enseignants reviennent. Cette école, ils y sont attachés. Ils sont à Bruguier par choix. Ils y travaillent en moyenne depuis dix ans.

Mais à la rentrée de septembre, deux membres de l’équipe ont préféré quitter l’établissement. « La psychologue scolaire qui avait son bureau dans l’école a démissionné, ajoute une enseignante. Cela a été l’évènement de trop ». Dix enfants sur les 320 que comporte le groupe scolaire sont partis. « Les familles ont déménagé en lien avec les évènements du quartier », précise-t-elle.

Si Claire a fait le choix de rester, c’est parce qu’elle ne voulait pas lâcher l’équipe éducative. Cette jeune femme bien insérée, avait au départ scolarisé ses enfants dans le privé, en centre-ville. Pas convaincue, elle a préféré les inscrire à Bruguier, non loin de l’endroit où vit sa mère. « Il y a une équipe extra-extraordinaire, des personnes rares », s’enthousiasme cette jeune femme qui a fait des études. Elle décrit des enseignants proches des familles, qui punissent « de manière juste », qui sont vraiment « dans la réussite des enfants ». Sorties en extérieur, classe dans un parc une après-midi par semaine pour étudier les sciences ou les mathématiques… Elle loue des professeurs qui « essaient au maximum de cultiver » des enfants qui ne sortent pas souvent faute de moyens. « On fait tout pour montrer aux élèves autre chose que les dangers de leur quartier », promet une enseignante.

Présence policière

« Cette école fait partie des établissements prioritaires qui ont fait l’objet la veille de la rentrée d’une réunion en préfecture », indique, pour sa part, Richard Schieven, élu en charge de la Sécurité à la ville de Nîmes. Il assure qu’il y a toujours une présence policière aux entrées et sorties de l’école, matin et après-midi mais aussi après le périscolaire. Il ajoute que la ville a bénéficié du renfort d’unités de forces mobiles pendant six mois pour lutter contre le trafic. « Il y a eu de grosses opérations musclées, des saisies d’armement, de drogue, des centaines de personnes interpellées, énumère-t-il. De nombreuses personnes sont en attente de jugement ».

Claire l’admet, « on voit moins les guetteurs ». Mais elle n’a pas retrouvé la sérénité. Elle aimerait voir plus systématiquement les policiers à l’entrée de Bruguier. Elle préfèrerait même que l’on délocalise école et enseignants comme en juin 2020. Suite à la mort d’un jeune homme du quartier, abattu en soirée, à proximité de l’établissement, le maire de Nîmes avait demandé à ce que l’école soit délocalisée, une semaine au Mas Boulbon, centre de loisirs du sud de la ville.

Délocaliser ? Hors de question, tranche une enseignante : « Si on s’en va, on leur laisse le territoire. C’est à eux de s’éloigner. Les familles ont le droit d’avoir une école à côté de là où elles peuvent se rendre à pied. » Les élus de la ville sont venus sur place le jour de la rentrée de septembre. Tout un symbole. Plusieurs mesures ont été prises pour transformer Bruguier en « sanctuaire ». Un nouveau parvis a été aménagé pour que les élèves entrent par l’arrière et plus face au point de deal. Le passage Bruguier, la ruelle cintrée qui sépare le collège et l’école est fermée. « Ces dernières années, elle était utilisée par les dealers, reconnaît Véronique Gardeur-Bancel, adjointe à l’Éducation à la ville de Nîmes. On mettra des grilles ou elle sera murée, mais elle ne rouvrira pas ». Elle a fait électrifier le portail des enseignants. Plus besoin de descendre de leur voiture pour se garer. « Cela génère du sentiment de sécurité, reconnaît une professeure de l’école. La brigade anti-criminalité tourne. On se sent pris en considération ».

Pour être efficace très vite, un nouveau protocole de communication a été mis en place. « Si le chauffeur de bus avait été informé le 8 février, il ne serait jamais entré dans le quartier », analyse une autre enseignante. Les directeurs des établissements scolaires du quartier, les responsables académiques, les forces de l’ordre, la préfecture, la Ville, sont tous réunis sur un groupe Tchap, messagerie sécurisée de l’État. « Cela permet d’alerter automatiquement avec un fil d’alerte. Tout le monde est prévenu en même temps, explicite Sophie Béjean, la rectrice. Cela permet d’être plus réactif, plus efficace. C’est très apprécié ». En cas de problème, les responsables de l’école ne perdent pas de temps à contacter chaque interlocuteur. Des exercices d’alerte sont aussi réalisés via cette application.

*le prénom a été modifié.

Fin 2020, des dealers traversent la cour de l'école Bruguier pour fuir une opération de police. La Ville investit 40 000 € pour remplacer le grillage par des panneaux métalliques en tôle perforée verts. Ils se dressent à 3 m de haut. En 2023, la mairie sécurise le toit terrasse de la maternelle. • Sabrina Ranvier

EN CHIFFRES

63,7. C’est l’IPS, l’indice de positionnement social de l’école élémentaire Bruguier. Cela signifie qu’elle scolarise des enfants de familles en très grandes difficultés. Pourtant, en 2023, ces élèves ont obtenu des résultats aux évaluations de 6ème correspondant à ceux d’une école ayant un IPS 100. « Ils ont eu les mêmes résultats que des enfants de classes moyennes dont le père et la mère travaillent », décrypte une enseignante.

Depuis avril dernier, l’école Bruguier et les établissements scolaires de l’Est de la ville ont intégré la « cité éducative » de Nîmes. L’État va la doter de 250 000 € annuels.

Sabrina Ranvier

A la une

Voir Plus

En direct

Voir Plus

Studio