Publié il y a 9 mois - Mise à jour le 02.01.2024 - Anthony Maurin - 5 min  - vu 1504 fois

FAIT DU JOUR Gallargues, la maurelle et le rouge des fromages hollandais...

Voilà l'Edam ! 

La maurelle, plante qui a failli être oubliée mais qui a illuminé l’Europe, est la source d'une belle histoire locale.

L'échangeur de Gallargues (document Vinci autoroutes)

Gallargues-le-Montueux a beau bénéficier d’une situation géographique exceptionnelle, de nos jours, le village de 3 600 âmes est connu par les voyageurs venant du nord de la France ou de l’Europe grâce ou à cause de la sortie d’autoroute menant au rivage méditerranéen. Ici, on voit une présence humaine dès la préhistoire. Bien plus tard, dans l’Antiquité, c’est un habitat de piémont qui s’est implanté à proximité de deux sources qui jouxtent la Via Domitia, reliant Rome à l’Espagne par le pont d’Ambrussum.

Au Moyen Âge et encore de nos jours, Gallargues est une étape du chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle après avoir été sévèrement perturbé par la Réforme et les guerres de religions. Plus récemment, au XIXe siècle, le village a hébergé un poste du réseau national de télégraphie optique Chappe. C’est à peu près toute l’histoire du Gallargues mais...

L’autre culture du rouge…

Connaissez-vous la maurelle ? Appelée aussi tournesol des teinturiers ou croton des teinturiers (Crozophora tinctoria A. Juss de son nom imprononçable) c'est une plante tinctoriale utilisée depuis le Moyen Âge pour fournir des colorations bleues ou violettes. Telle est sa définition.

Chrozophora tinctoria donne ainsi un produit un colorant bleu-violet, le « tournesol » utilisé au Moyen Âge, donc, pour réaliser les manuscrits enluminés. La maurelle s’utilisait aussi comme colorant alimentaire. Cette plante a également servi à la fabrication du papier tournesol, premier indicateur acide-base qui aurait été découvert par Arnaud de Villeneuve.

Cette plante est connue par sa dénomination de croton des teinturiers car elle fut la base de la teinture de tournesol désignant un réactif chimique à base de matière colorante bleue qui a la propriété de virer au rouge en présence d'un acide.

La garrigue (Photo Archives Anthony Maurin).

Dans l'Encyclopédie méthodique de Diderot, il existe un chapitre qui traite de l'« art de la culture et de l'apprêt du tournesol ». C'est ici que l’on apprend que la maurelle vient du village de Gallargues-le-Montueux (Grand-Gallargues) dans le département du Gard en 1760. Il paraît que les implications de la maurelle dans la vie quotidienne des européens était forte, très forte. Forcément la région en a profité. Mais comment cette plante a pu conquérir une vaste partie du monde grâce à ses propriétés spéciales ?

La marelle ou le croton des teinturiers en Français. La maourèta, moureloen ou Faióu ferou en Provençal ou, de manière plus littéraire,  crozophora tinctoria, fleurit en mai et juin et fait partie de la familles des euphorbiacées.

Elle a servi de colorant pour les teinturiers ou les enlumineurs, certes, mais la maurelle a trouvé un autre marché. Un de ceux qui se voient encore aujourd’hui même si la plante n’est plus cultivée dans nos contrées car remplacée par de la chimie pour cet usage devenu industriel.

Ce qui est drôle, rigolo ou cocasse c’est qu’en Europe, en tout cas, seuls les Gallarguois ont exploité cette plante pour autre chose… Aimez-vous les fromages ? La France est le pays du fromage par excellence. C’est certain. Mais dans les rayons des fromageries ou du supermarché d’autres pays sont référencés et avec eux leur production.

Lavande cueillette garrigue  (Photo Archives Anthony Maurin)
Lavande cueillette garrigue (Photo Archives Anthony Maurin)

Prenez les Pays-Bas, la Hollande. Vous connaissez sans aucun doute quelques fromages autochtones. Vous savez, ceux qui sont entourés d’une cire rouge qui vous font de l’œil à 20 mètres. Du XVII au milieu du XIX Gallargues et sa maurelle ont servi à colorer la croûte de l’Edam !

Le vrai Edam vient de la ville d'Edam en Hollande du Nord. Si vous avez déjà vu ce fromage en entier, sachez que la boule qu’il forme était jusqu’à peu enveloppée de paraffine rouge qui lui donnait son aspect typique. Mais avant ça, c’est avec la maurelle que le rouge était obtenu !

Voilà l'Edam ! 

Tombée dans l’oubli pendant plus d’un siècle, ce n’est qu’à l’aube des années 2000 que l’on se souvient de cette plante et de son histoire.

Dans le rouge !

Les fromagers du nord de la France s'en inspirent pour confectionner les premières mimolettes. Le fromage d'édam est alors très populaire en Amérique du Nord, dans le nord de l'Europe, et de nombreux autres pays du monde. Il fallait bien surfer sur la vague pour le pays du fromage… Hélas Gallargues sortira du jeu et sera oublié par la grande histoire de la gastronomie.

Selon Sylvain Olivier, vice-président et maître de conférence à l’université de Nîmes : « Avant Grasse, au XIXe et au XXe siècle, c’était Montpellier la grande ville productrice de parfum et donc il faut s’imaginer qu’autour de Nîmes et de Montpellier, dans les garrigues, on récoltait de la lavande aspic, du romarin, et toute sorte d’autres plantes pour fournir les parfumeurs de Montpellier. » De la garrigue gardoise à Montpellier pour prendre le bateau à Sète et partir plus loin.

Et Sylvain Olivier de continuer lors d’une conférence : « À Gallargues, on s’est fait une spécialité de la collecte du tournesol tinctorial que l’on nomme aussi la maurelle. Mélangé à de l’urine sur des vieux chiffons on obtient une teinture bleue. On vend alors ses chiffons jusqu’aux Pays-Bas où l’on enroule le fromage produit sur place avec ses chiffons teints en bleu et une réaction chimique se produit et la croûte du fromage hollandais devient rouge ! Oui, tout ça, ça vient de Gallargues, au XVIIIe siècle, et autant vous dire que les Gallarguois étaient très jaloux des lieux où ils allaient récolter cette plante. »

Les fromagers hollandais emballaient leurs meules d’Edam ce qui permettait à la croûte du fromage de prendre une teinte rouge-violet. Teinte provoquée par les émanations acides du fromage sur le suc de maurelle alors que la pâte restait blanche. C’est pourquoi l’on retrouve parfois sous le nom de « tête de maure » ce fromage aussi appelé Edam !

On peut aller encore plus loin avec la maurelle et ses restes. Un fois le fromage vendu, il demeure les chiffons imbibés. Qu’en faire ? On les récupère pour leurs sucs et on mélange le tout avec du plâtre ou de la craie pour créer ce que l’on a appelé des « pains de tournesol ».

Surtout vendus en Allemagne ou en Angleterre pour colorer les gelées, liqueurs ou conserves, on pouvait aussi faire rougir la couleur du vin le rendant plus sexy !

Gallargues aurait toujours affirmé être le seul endroit où l'on maîtrise cette technique. Cependant la maurelle, sans doute trop « cueillie », se raréfie au milieu du XIX et l’on ne la collecte plus du tout dans le dernier tiers du siècle.

Coquelicot cueillette garrigue  (Photo Archives Anthony Maurin)
Coquelicot cueillette garrigue (Photo Archives Anthony Maurin)

L’économie de la maurelle à Gallargues est à noter dans « les plantes industrielles » de Gustave Heuzé en 1859, ou dans « le savant du foyer » de Louis Figuier en 1867.

Pourquoi ? Les Gallarguois se sont-ils enrichis avec cette plate ? Non, ou en tout cas on n’en retrouve pas de trace. La maurelle a également bien failli disparaitre avec l’intensité croissante et le surdéveloppement dans la région de la vigne… L’autre rouge !

« Les garrigues ont une histoire. Certaines ont constitué jadis des réservoirs de terres à défricher. Les vestiges bâtis témoignent de l’existence d’abris pour accueillir les hommes, leurs outils et leurs récoltes, ou de murs de délimitation et d’épierrement. Les activités de cueillette ont, elles aussi, été nombreuses et variées. Cependant, de nos jours, les garrigues se transforment, tiraillées entre déprise agraire, mitage urbain et menaces diverses. Les gérer, les protéger, voire en exploiter à nouveau les ressources nécessite de mieux comprendre leur histoire », conclut Sylvain Olivier.

Anthony Maurin

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