FAIT DU JOUR Le cardinal de Bernis, Lumière qui a fait évoluer la diplomatie
Un cardinal ? Pourquoi parler d’un bonnet rouge car de manière générale leur vie n’est jamais trépidante ? Celui du jour a une vie longue de près de 80 ans qu’il a vécu au XVIIIe et qui a fait de lui selon ses contemporains : le roi de Rome.
« Je suis né sensible à l'excès. Ma situation m'humiliait, j'en dévorais l'amertume ; mais je savais bien qu'un visage triste intéresse peu de temps et fatigue bientôt. J'eus donc la force de garder mes chagrins pour moi, et de ne faire briller aux yeux des autres que mon imagination et ma gaieté. » Ces mots sont de François-Joachim de Pierre de Bernis, cardinal de Bernis. Poète aux idéaux politiques marqués, homme d’État et fin diplomate, le cardinal (1715-1794) était quand même assez spécial.
Grand homme parmi les plus grands
Poète naturaliste et homme d’Église, ami des papes, de Voltaire, de Montesquieu mais aussi protégé de la marquise de Pompadour, chantre de la nature et amoureux des beaux-arts, modèle des ambassadeurs et artisan de la révolution diplomatique, le cardinal de Bernis incarne à lui seul la singularité du XVIIIe siècle.
Pour planter le décor, autant suivre les lignes de Stendhal qui écrit dans ses Promenades dans Rome une chose étonnante. Selon lui : « On parle encore à Rome du cardinal de Bernis, ce souvenir est l’un des plus imposants qu’aient conservés les vieillards de ce pays. » À en croire l’écrivain, cet homme aurait donc laissé, plus de trente ans après sa disparition, un souvenir digne de ceux qui laissent une trace immuable à travers les temps ! Une figure héroïque…
Et pour cause car on ne le dira jamais assez, le cardinal de Bernis fut l’un des rares très grands noms de la fin XVIIIe siècle. Poète de la nature, du terroir et du sol natal, il est aussi poète de l’amour. Durant tout le XIXe siècle, certains liront et liront encore ses écrits, disant même qu’il était l’instigateur du naturalisme. Ce sont ses poésies qui lui ont permis d’entrer à l’Académie française à l’âge, très jeune, de 29 ans en 1744. C’est après qu’il a eu une carrière dans l’Église. Il arrête la poésie au bout de 15 ans pour entrer en politique et devient cardinal en 1758.
Ce n’est pas à Rome mais à Venise qu’il débute dans le métier d’ambassadeur. Ami et confident de la marquise de Pompadour, c’est par elle qu’il se rapproche du roi Louis XV. Envoyé à Venise, il n’a rien à y perdre et peut, au pire, être oublié. Là-bas, il peaufine la diplomatie qui fera sa force. Il observe, comprend, prépare, se prépare. Les amoureux de la Sérénissime y viennent, le rencontrent et tombent sous son charme. C’est donc Bernis mais avant tout la France qui se fait un nom et une image.
La grandeur de la France
Le cardinal écrira d’ailleurs : « Il arrive tous les jours un grand nombre de seigneurs allemands, génois, anglais, pour la fête de l'Ascension. Ma maison est le rendez-vous général. Je fais de mon mieux et même plus que je puis faire pour bien recevoir les étrangers qui, ce me semble, doivent être parfaitement bien accueillis par les ministres qui réfléchissent. »
Mais à cette époque, on a souvent parlé d’un cardinal de Bernis navigant en eaux troubles… Libertin, il côtoyait le célèbre Casanova qu’il employait comme espion. D’abord à Venise, donc vers 1750, puis à Rome où il a tenu la plus longue ambassade de l’histoire de France sur les bords du Tibre plus de 25 ans durant, le cardinal de Bernis a aussi connu une grande carrière d’homme d’état. Il ne faut pas oublier qu'il a traversé avec panache le siècle des Lumières, celui des grands qui ont fait changer le monde.
En 1756 alors que la guerre de sept ans se fait jour, le cardinal de Bernis désire ardemment faire la paix et éviter un conflit qui, selon lui, amoindrirait le futur rôle politique de la France dans le monde si elle perd cette guerre inutile. Bernis devient quand même ministre des Affaires étrangères au début de la guerre avant d’être exilé parce qu’il préfère la paix.
Alliée à l’Autriche, la France, perd, évidemment. Mais elle perd plus que sa domination, elle perdra le monde au profit des Anglais et des Allemands qui poursuivront leurs percées mondialistes. La France sera contrainte d’oublier ses colonies et devra faire une croix sur le nord de l’Amérique… Sortie plus qu’affaiblie par une telle défaite, la position stratégique de la France décline et son aura internationale aussi.
La gastronomie et l'écoute
Un seul homme se dresse et redresse la barre du pays, le cardinal de Bernis qui fera croire, au moins le temps de son ambassade romaine, en une France qui n’a pas troqué sa grandeur et ses idées contre l’austérité de la défaite. Le Gardois découvre la Rome dite du grand tour. À cette époque, les personnes lettrées voyagent et découvrent le monde. Un passage à Rome est obligatoire et quand on y est, autant passer par l’ambassade française.
C’est d’ailleurs bel et bien le cardinal de Bernis et non le grand Talleyrand qui a inventé la cuisine diplomatique… En effet, alors que le cardinal fait les belles heures de la France en Italie, qu’il fait connaître les délices gastronomiques au plus grand nombre et qu’il fait de sa maison romaine une vitrine de la France, ses visiteurs se régalent d’observer et forcément de déguster. Talleyrand de passage à Rome (car il a voulu devenir cardinal) a dû passer chez notre bon gardois et a, plus tard dans le temps, perpétué cette grande idée.
Mais retour à la politique pure et dure… Le cardinal de Bernis a donc permis le renversement des alliances de 1756 qui enterra la rivalité entre la France et l’Autriche des Habsbourg, un conflit qui secouait l’Europe depuis Charles Quint.
Pour en parler plus en profondeur, les auteurs ont puisé parmi les sources plus intimes, moins officielles, de ses confrères ambassadeurs et diplomates. En effet tout ce beau monde se parlait et s’écrivait beaucoup. La parole était libre, la quête d’une diplomatie plus intelligente aussi.
À Rome avant tout cela il avait participé en tant que cardinal à l’élection du nouveau pape successeur de Clément XIII, mort le 2 février 1769. Arrivé à Rome le 21 mars, notre bon cardinal entre en conclave avec la mission de faire élire un pape qui puisse mettre fin au bras de fer entre la papauté et les couronnes française et espagnole, en acceptant de supprimer l’ordre des Jésuites, rien que cela.
Un nouveau pape grâce à lui !
Il favorise ainsi le ralliement autour de la figure du franciscain Ganganelli, élu pape le 19 mai 1769 sous le nom de Clément XIV ! Missions réussies pour Bernis qui fait montre d’habileté et d’intelligence. Et vous savez quoi ? Au fil des années, il devient « le roi de Rome » et ouvre l’auberge de la France, son ambassade, au carrefour de l’Europe qui est Rome.
Arrive la période de la Révolution. Avec toute l’expérience et l’expertise qui sont siennes, on aurait pu croire que le cardinal prendrait les devants. Médiateurs hors pair, fidèle à la monarchie, cardinal et ami des libres-penseurs, Bernis refuse la présidence de l’ordre du clergé aux États généraux. Il demeure à Rome jusqu’à sa mort en 1794, dans sa 80e année.
Un livre pour tout comprendre
CC
- fait du jour
- cardinal de Bernis
- siècle des Lumières Nîmes
- François-Joachim de Pierre de Bernis
- Ambassadeur Rome
Gard
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