Publié il y a 1 an -
Mise à jour le 20.02.2024 - Yannick Pons - 5 min - vu 8165 fois
FAIT DU JOUR Le domaine Pastouret racheté par un producteur de bananes
Pascal Ferrier et Michel Pastouret
- Yannick Pons
À Bellegarde, Jeanne et Michel Pastouret ont vendu la propriété qu’ils ont érigée pendant quarante ans. Le domaine Pastouret changera bientôt de nom, mais chut !
Le Domaine Pastouret produit du vin bio AOP Costières de Nîmes depuis 1993.
• Yannick Pons
Partis de zéro
L’histoire de Jeanne et Michel débute en 1981 au cœur du village de Bellegarde. Michel "petit berger" Pastouret, un gars du coin, rencontre Jeanne. À l’âge de 20 ans, alors qu’il travaille pour le gouvernement dans un service voué aux statistiques, il rachète à crédit une petite parcelle de 2 000 mètres carrés que les deux amants plantent en vignes. « J’ai payé quatre millions d’anciens francs (un peu plus de 6 000 euros), empruntés à 13,75 %. Un crédit à taux variable que nous remboursions chaque fin d’année ! », se souvient Michel. Ils avaient visité un domaine et la promesse d’aventure leur plaisait beaucoup.
Ainsi les amoureux inséparables se marient en 1983 et embrassent ensemble ce projet titanesque. Avec pour seule propriété, la Diane de Jeanne et 75 francs sur son compte en banque. Petit à petit, le couple rachète les terrains situés à proximité et le domaine s’agrandit. Un domaine vigneron qui fournit en raisin la cave coopérative de Bellegarde. Parti de zéro, le duo édifie une exploitation familiale devenue aujourd’hui une institution connue et reconnue dans la région, le domaine Pastouret.
De 2 000 à 500 000 m2
Le couple d’exploitants a toujours manifesté un profond respect à l’endroit des hommes mais aussi de la terre. Du début de l’aventure jusqu’à la vente du domaine. Visionnaires et précurseurs, Jeanne et Michel cultivent le sol selon les principes de l’agriculture biologique et demandent le label bio en 1993, qu'ils obtiennent en 1998. Le domaine Pastouret était né. Ils ne livrent plus leur raisin à la cave coopérative à la suite d’une mésentente avec la majorité des vignerons qui ne souhaitent pas se lancer dans le bio.
Leur descendance, Virginie et Mathieu, rejoint l’exploitation. « On s’est mis à faire de l’AOC Costières du Gard dans une cave que nous louions sur le Haut Broussan à Bellegarde et ensuite dans un hangar », raconte Michel. Le vin bio ne se vend pas en France à l’époque alors le domaine Pastouret est distribué à l’étranger via des centrales d’achat comme la Cigogne ou Relais vert. « La France est le dernier pays du monde à avoir démarré dans le vin bio », s’étonne Michel.
De la transmission
Le patriarche ayant atteint l’âge de la retraite, la famille Pastouret décide de vendre. Ils écartent des offres alléchantes faites par des grands groupes, ou des investisseurs représentés par des avocats. L’homme, le terroir et la terre, c’est sacré pour Jeanne et Michel. La transmission aussi, pas question de donner les clés du domaine à n’importe qui. Et puis ils rencontrent Pascal Ferrier et Patrick Aubéry, le patron de la branche agricole du groupe éponyme, au début de l’année. Les deux hommes se déplacent en personne au domaine. Le courant passe dès la première rencontre, si bien que la vente est signée quelques mois plus tard, le 12 juillet 2023.
Le jeune retraité accompagnera les acheteurs dans la prise en main du domaine. Jeanne, elle, reprend la gestion du domaine du Haut-plateau à Manduel. Dix hectares de vignes et deux hectares d’asperges en bio, bien évidemment. Et leur fils Mathieu devient responsable d’exploitation, au domaine Pastouret, qui devrait changer de nom très prochainement.
Producteur de bananes
Pascal Ferrier, ce Varois d’origine, ingénieur agronome de formation, est désormais le directeur du domaine détenu par la société Bellagarda créée pour l’occasion par lui-même et le groupe Aubéry. Après une carrière professionnelle tropicale, l’ingénieur charismatique a commencé sa carrière au Nigéria chez Michelin en tant que responsable de production.
Il a foulé les terres de presque tous les continents. Pascal Ferrier a géré des exploitations d’hévéa, de fleurs coupées, d’ananas, de palmiers, de poivre ou de bananes, notamment à la célèbre Compagnie fruitière. « Patrick Aubéry m’avait donné pour mission d’identifier un endroit où investir dans le monde agricole. J’ai proposé la vigne dans le Sud de la France. Pour moi, le vin bio porte une dimension humaine synonyme de magie et de rêves », lance le baroudeur qui a repéré également un marché infini, orienté vers toute la planète et une certaine sécurité économique. Selon lui, beaucoup de domaines disponibles à la vente sont souvent sur le déclin.
Domaine performant
Le groupe souhaitait acquérir un outil performant dès le départ et ainsi réduire les risques. Vigne, cave, et un marché établi sur une zone abordable financièrement. « La vigne c’est une première pour nous, alors il fallait que ce soit une entreprise qui soit en bonne santé », lance l’homme d’affaires. Les producteurs de fruits tropicaux ont identifié le dynamisme qui caractérise la région, porté par l’appellation des Costières. Ils souhaitent contribuer au développement de cette appellation, de ce terroir.
Le sujet de l’eau
Réchauffement climatique oblige, l’endroit est facilement irrigable par le "petit Rhône" qui coule à proximité. Et cela n’a pas échappé aux investisseurs, à l’heure où l’eau devient une préoccupation fondamentale dans le secteur. Ainsi, dès le mois de janvier, les employés de la Compagnie nationale d'aménagement de la région du Bas Rhône et du Languedoc (BRL), aménageur du réseau hydraulique régional, sont sur le terrain afin d’implanter un réseau d'approvisionnement en eau destiné à l'irrigation des vignes. Le concessionnaire du grand réseau hydraulique, propriété de la région Occitanie /Pyrénées-Méditerranée, instaure des points d’accès à l’eau du Rhône. « La pluviométrie connaît une baisse constante chaque année. Cette diminution accroît le risque de pénurie d'eau pendant les mois d'avril à mai, mettant ainsi en péril la qualité du millésime », indique le fils de Michel, Mathieu Pastouret.
L’adduction de la borne BRL emmènera l’eau du petit Rhône par tuyaux souterrains jusqu’aux parcelles des vignes du domaine. Ensuite, un goutte-à-goutte automatique maîtrisera le risque de sècheresse qui guette les vignes chaque saison.
Clairette de Bellegarde
Accompagné à la veille des vendanges par l’œnologue conseil Jean Natoli, qui a précédemment réalisé un audit, Pascal Ferrier souhaite faire monter la qualité du vin tout en diminuant les rendements. 2 200 hectolitres, c’est l’objectif, pas plus ! Le nouveau patron souhaite s’appuyer sur un terroir qui est déjà reconnu pour sa qualité et élargir la gamme qui aujourd’hui est déclinée en quatre vins. Au mois de janvier, en période d’assemblage, le domaine est en pleine effervescence. « Nous réfléchissons à entrer dans le détail de la sélection des parcelles, modifier le « timing » des vendanges et nous recentrer. Rester en phase avec le marché et le domaine », explique Pascal Ferrier. Sur un socle particulièrement solide, le nouveau propriétaire souhaite créer des vins encore plus ambitieux. Perpétuer l’accomplissement de Jeanne et de Michel. Une gamme de huit vins devrait voir le jour lors du nouveau millésime : rouge, rosé et blanc. Un cépage Carignan vendangé à la main est à l’heure actuelle en phase de macération carbonique dans une cuve. Un autre cépage sera particulièrement mis en lumière, c’est la clairette de Bellegarde, ce cépage rustique, si bien adapté à la sécheresse et aux conditions climatiques méditerranéennes. Six hectares de clairette, trente hectolitres - la plus importante production de la région - seront dédiés à la création d’un vin spécifique élevé en amphore. Un vin blanc haut de gamme. En attendant l’avènement de la clairette, un vin rouge a été assemblé en barrique le 17 janvier. Et cerise sur le gâteau, l’identité de la marque va changer. Le domaine Pastouret devient le domaine Belle d'Argence !
• @DR
Appellation Costières de Nîmes. Vins de la vallée du Rhône.
Le vignoble est couché dans l'ancien lit du Rhône. Il est situé sur la commune de Bellegarde, à 17 km de Nîmes, sur la route départementale 113, en direction d'Arles. Le village, fondé par les Romains qui y plantèrent les premiers ceps de vigne, se blottit au pied des vestiges d'une célèbre tour du XIIe siècle en ruines.