Publié il y a 9 mois - Mise à jour le 02.01.2024 - Yannick Pons - 5 min  - vu 1388 fois

FAIT DU SOIR Dorian Friakh, l’homme qui murmurait à l’oreille des taureaux

Dorian s'est donné pour objectif, à court et moyen terme, de réunir manadiers
et raseteurs

- Yannick Pons

Rien ne le prédestinait à embrasser la bouvine, pourtant Dorian ''Chamaco'' Friakh fait aujourd’hui partie de la jeune génération et de l’avenir des raseteurs français. Cet article est issu du numéro 69 du magazine Objectif Gard paru en mars 2023.

À l’âge de neuf ans, il débarque de Grenoble (Isère) avec sa famille et tombe amoureux de la tradition taurine camarguaise, un soir de juin, à la féria des étangs de Pérols, au 1 rue de la Guette. Il s’en souvient comme si c’était hier. C’est à cette période que Robert Michel, de la manade de Fangouse, le prend sous son aile et sur son char. Dès qu’il a un moment, le jeune garçon passe son temps sur les chars et fait le guardianou. Puis il s’essaye au "toro piscine" dans les arènes. Il s’imprègne chaque jour du sable clair de Camargue qu’il foule et qu’il chérit. Sa passion évolue de façon exponentielle et, le bac en poche, il devient raseteur. « Aujourd’hui, grâce aux taureaux, je me sens vivre. Au point que je n’envisage pas ma vie sans eux. Ils ont forgé mon identité, donné un sens à ma vie et m’ont permis de me construire », raconte-t-il.

À l'entraînement, crochet en main, il travaille sa longueur de courses • Yannick Pons

Happé par les taureaux

C’est à Saint-Laurent d’Aigouze, derrière le somptueux mas du grand Bordes que la scène se déroule chaque jour. À l’abri des regards, en suivant un petit chemin escarpé à travers les ronces, dans un écrin secret de Camargue, Dorian nourrit les taureaux de l’éleveur Renaud Vinuesa. Quatre imposants cornus, Garibaldi, Albigeois, Serpico et Gauvain, paissent paisiblement dans un champ vert, dans un décor à couper le souffle. Loin des arènes et des attaques récentes à l’endroit du monde taurin.

Le jeune homme approche de très près la puissance de ces animaux afin de les nourrir. Parfois, ils mangent dans sa main. « J’aime être seul ici avec eux. Cela me permet de me retrouver et puis de les comprendre, de communier avec eux », confie Dorian. « Tout ce que je fais dans ma vie c’est axé autour du taureau, afin de mieux le connaître quand je suis en piste face à lui », ajoute le raseteur. Son credo c’est de ne faire qu’un avec le taureau, d’arriver toujours à en trouver un qui lui ressemble, promesse de connaître de grands moments, notamment au Trophée des As où les grands taureaux défient les grands raseteurs.

Enfants de pays

C’est l’histoire d’enfants du pays, de Camargue. En 2016, l’engouement était important autour de la bouvine. Ils étaient une quinzaine de gamins absorbés par ces traditions taurines, sur la terre de leur pays. « On rasetait tellement au ''toro piscine'' que finalement on nous a sorti un toro d’abrivado que l’on a raseté. Il y avait encore la piscine au milieu des arènes », lance Dorian. De fait, à Pérols, porte d’or de la Camargue, une école taurine a été créée. Les gamins sont allés apprendre à l’école taurine de Mauguio.

Antoine ''Manadé'', Corentin, Milan, Dorian... Ils ont effectué leurs classes ensemble. « J’étais le dernier à monter en cornes nues. Nous étions affamés. On a participé à 93 courses cette année-là », explique le jeune raseteur. Tous n’ont pas fini raseteur, Dorian Esteve a fait revenir la corrida dans les arènes de Pérols. Aujourd’hui ils sont encore sept à courir en cornes nues.

En posant la main sur son front, il mobilise toute la puissance du taureau • Yannick Pons

Raseteur faut rêver

Lors des compétitions, revêtu de la tenue blanche traditionnelle, le raseteur, à l'aide d'un crochet, doit collecter des attributs fixés sur la tête du taureau. C’est de la course libre et du spectacle. Un face-à-face sans concession avec un animal d’une demie tonne, extrêmement puissant. Chaque attribut (cocarde, les glands) collecté rapporte des points ce qui permet d'établir un classement à la fin de l’année. Le championnat de France s'étire du 9 avril jusqu’à début octobre.

Camacho - le surnom de Dorian - n’est pas grand, mais trapu. Il est plus à l’aise lors des rasets courts, des courses courtes. De toute façon, son truc c’est d’être au plus près de la bête, la sentir, lui parler. Il travaille sur l’allongement de son raset afin d’être plus à l’aise dans les grandes arènes. À l'entraînement, dans les arènes de Pérols, Freddy, le tourneur, attire le taureau pour le placer face au jeune raseteur, qui attend le bon moment pour s'élancer.

Le taureau est amené à l’endroit choisi. Camacho pose la main sur son front. Il utilise sa puissance pour crocheter puis tourne autour de lui. Le taureau se retrouve presque à l’arrêt. Le raseteur se faufile derrière les barrières. Le meilleur moment pour Dorian, ce sont les heures qui précèdent la course. Une sensation unique, celle des gladiateurs des temps modernes. « Dès que je suis dans l’arène, je me sens bien, heureux. Pour vivre, j’ai besoin d’être conscient de la mort. Lorsque je n’ai pas ça, je ne suis l’ombre que de moi-même », confie le Camarguais.

Liberté, égalité, fraternité

Voilà trois valeurs qui définissent à merveille le monde des traditions camarguaises. « Ce sont les piliers de notre pays. Nous sommes tous libres d’y prendre part, égaux face aux taureaux et unis par la passion. Alors pourquoi vouloir nous en empêcher ? », digresse le jeune homme. Les moments fraternels, il les retrouve au rugby qu’il pratique aussi régulièrement. On ne rentre pas aux vestiaires sans avoir tout donné et on communie ensemble. Le raffut c’est le même geste que poser la main sur la tête du taureau. Égaux face au taureau, un face-à-face nu, sans fards ni paillettes : « Notre corps c’est notre cape. »

Le raseteur vit autour du taureau. Ce moment où il nourrit ces animaux est intense et rare. • Yannick Pons

La mort dans la peau

Face au taureau, l’homme risque sa peau. C’est un des sports les plus extrêmes du monde. L’année dernière Kévin et Enzo, inhumés à Sommières, ont été tués dans une arène. « Quoi de plus beau que de mourir de sa passion. C’est mieux que dans un accident de voiture », confie Dorian. L’instant du raset est préparé depuis des années et lorsque le raseteur se jette dans l’arène, il y a le petit ce moment d’incertitude notamment par rapport à la réaction du taureau. Et ce moment implique la présence de la mort qui provoque justement cette explosion d’adrénaline.

La Camargue à vélo

Pour ce jeune raseteur d’avenir, cette saison aura débuté le 25 mars à Mauguio, à l’endroit exact et quasiment un an jour pour jour après ce coup de corne de Maripeu (un taureau de la manade Lafon) qui lui a transpercé le mollet contre la barrière, lui provoquant également une entorse au genou. Ce qui ne l’a pas empêché de clore sa saison à la 15e place du championnat de France Avenir. Ensuite ce sera le Printemps des royales à Saint-Laurent-d’Aigouze, le Gland d’or à Montfrin, avec l'objectif de participer à la Cocarde d’or que tous les raseteurs veulent réussir.

Particulièrement investi dans sa pratique, Dorian Friakh souhaite unir manadiers et raseteurs. À partir du 14 janvier, il ira à à vélo parcourir 454 kilomètres à la rencontre d'une vingtaine d'éleveurs camarguais qui ont remporté le mythique trophée du ''Biou d’or'' (meilleur taureau de l’année du Trophée des As, NDLR) afin de poser les bases d’une réflexion sur l’avenir des courses camarguaises en compagnie d'un autre raseteur, son ami Milan Boukharta. Loin des débats polémiques des militants animalistes abolitionnistes qui voudraient voir s'éteindre cette bouvine qu'il a dans le cœur. 

Yannick Pons

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