FAIT DU SOIR Une vie au fil de l'eau à bord d'une péniche centenaire à Villeneuve-lez-Avignon
39m de long sur 5 m de large pour 170 tonnes. Telles sont les mensurations du "Hasard", une péniche centenaire aux couleurs rouge, blanche et noire. Elle a accosté depuis le début de l'année, aux côtés de six autres bateaux, le long du chemin du vieux Moulin à Villeneuve-lez-Avignon.
À son bord : Jean-Marie Pape, Avignonnais de naissance, et qui a choisi de passer du côté gardois du Rhône après 17 ans sur les berges de l'île de la Barthelasse. "J'ai déménagé de ville, changé de département, de région en 45 minutes sans faire un seul carton", plaisante-t-il. Cette vie au fil de l'eau, il ne l'échangerait pour rien au monde. Il n'a pas hésité à vendre maison et voilier pour s'offrir ce rêve : "Mon seul regret, c'est de n'avoir pas franchi le cap avant. Je travaille au SAMU. Le soir, quand je rentre et que je franchis la passerelle, je passe dans un autre monde."
Il est vrai qu'un air de vacances souffle sur la péniche "Le Hasard". Sur le pont, Jean-Marie Pape a installé une belle table abritée du soleil ardent, mais aussi une piscine et un potager. Dans les cales, est aménagée plus d'une centaine de mètres carrés habitables inondés de la lumière traversant les hublots et les toits en baie vitrée. De l'autre côté du bateau, on trouve deux autres chambres indépendantes louées comme chambres d'hôtes. "On a essayé de garder au maximum l'apparence d'origine", assure le Villeneuvois. Et le concept plaît au point que les deux couches affichent complet toute l'année.
Coulée en 1940 mais jamais sombrée
Si la péniche sert aujourd'hui d'habitation, cela n'a pas toujours été le cas. Jean-Marie Pape s'est toujours montré curieux de connaître l'histoire de son bateau. Après un appel sur les réseaux sociaux, il a fini par entrer en contact avec une vieille dame de Compiègne. Une certaine Nelly Cornelis qui fut dans le temps propriétaire de la péniche avec son mari Joseph. Elle lui a conté les origines de sa maison sur l'eau.
Au départ, "Le Hasard" se prénommait "Le Paysan". L'embarcation a été fabriquée en 1920 par le chantier Baasrode en Belgique. Elle servait à charrier des marchandises. Pas encore équipée de moteur, elle était halée par les chevaux encordés sur les canaux du plat pays. C'est en 1926 que la péniche est vendue à la famille Cornelis composée de quatre enfants.
Quatorze ans plus tard, "Le Hasard" est saisi par les alliés lors de la Seconde Guerre mondiale. Mais au moment de la débâcle, le bateau est coulé en juin 1940 par les alliés dans la gare d'eau de La Bassée, dans le Nord. "Ils ne voulaient pas que les Allemands le récupèrent et fondent son acier pour en faire des armes ou l'utilisent pour transporter leurs munitions", raconte Jean-Marie Pape. Ce n'est qu'en 1946 que la péniche est renflouée et motorisée par Joseph Cornelis, le dernier de la fratrie. Il se mariera des années plus tard avec Nelly, fille d'une grande famille française de mariniers.
Quelques escapades entre 8 et 10 km sur le Rhône
Ils travailleront à bord jusque dans les années 80, mais à ce moment-là, le transport fluvial n'a plus vraiment le vent en poupe. Ils cessent leur activité, lui se reconvertit en pilote de bateau-mouche à la Capitale et elle est employée à la sous-préfecture de Compiègne. Pendant ce temps, le bateau, délaissé, reste à quai. Mais le hasard fait bien les choses. Un couple parisien a un coup de coeur partagé pour la péniche et souhaite vivre à son bord. Ils projettent de descendre dans le sud, profiter du climat plus favorable le temps des travaux d'aménagement. Finalement, le bateau ne quittera jamais les bras du Rhône et le ponton de l'île de la Barthelasse jusqu'à ce début d'année 2021. Entre temps, il est passé entre les mains de Jean-Marie Pape qui y vit paisiblement avec sa femme, son chat, son chien et son perroquet.
Ce dernier bichonne la coque en fer sur laquelle se heurtent les effets du temps et les vagues. Au point que "Le Hasard" ne fait pas du tout son âge. Dotée de deux moteurs, la péniche quitte parfois son emplacement et sa vue imprenable sur le Mont Ventoux pour voyager sur le Rhône, pilotée par son heureux propriétaire. Mais jamais à plus de 10 km/h. Ce qui laisse le temps de voir défiler le paysage et de profiter de chaque instant.
Marie Meunier
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