LE DOSSIER La double vie de Jacques, Stéphane, Lou, Luna et Agnès (fin)

Lou Addou et Luna Zerti, étudiantes, assurent des maraudes depuis 10 ans.
- Sabrina Ranvier(Suite et fin de nos articles publiés à 7h et 10h) Luna et Lou, 19 ans, jonglent entre études et petit boulot. Mais il y a des rendez-vous qu’elles ne ratent jamais : les maraudes des copains de Minuscule.
Lou et Luna, 19 ans et 10 ans de maraude
Le matin, Lou Addou file en bus à Nîmes suivre les cours de deuxième année de droit à l’université. L’après-midi, de 16h à 19h, elle travaille à la boulangerie de son village, Meynes… Luna Zerti est inscrite en BTS en gestion des entreprises. Elle partage son temps entre une entreprise à Beaucaire et des cours à Avignon. Entre les deux, elle promène les chiens de la SPA de Beaucaire. Mais, quoi qu’il advienne, les deux amies de 19 ans, trouvent toujours un créneau pour une maraude avec les copains de Minuscule. Et cela fait dix ans que cela dure. « Elles n’en ont quasiment jamais loupé », assure Lysiane Assénat, maman de Luna et présidente de l’association.
L’histoire commence alors que Luna a 8 ans. La famille est invitée à un mariage à Montfrin. La mariée propose d’aller distribuer les restes du repas aux sans-abri nîmois. Luna suit. « Elle a partagé son sandwich avec un monsieur qui n’avait pas de moyens financiers », se souvient sa mère. Au retour, la petite réclame de monter une association pour refaire des maraudes. "Les copains de Minuscule" voient officiellement le jour en mai 2013. Minuscule, c’est le surnom que Joe l’indien, un SDF tahitien baroudeur, avait donné à Luna. « Quand il l’avait vue dans la rue, il lui avait dit : "Qu’est-ce que tu fais là minuscule ?" et il m’avait engueulée : "Tu n’as pas honte d’emmener ta fille de 8 ans dans la rue. Va au cinéma. Moi aussi j’ai une fille de 8 ans." Même pas peur. Un grand sourire éclaire le visage de Lysiane à ce souvenir.
L’association compte une vingtaine de membres. Le noyau dur est formé par six personnes dont Sandra Abbou, la mère de Luna. Elle a autorisé sa fille à rejoindre les maraudes lorsqu’elle avait 9 ans.
« On se détestait quand on était petites », éclatent de rire les deux jeunes filles. Pourquoi font-elles les maraudes ? Quand on les interroge, elles fournissent en stéréo la même réponse. Elles n’ont pas d’explication, cela leur semble juste « tellement naturel ». Luna se souvient d’une maman hébergée à l’Adejo. Elle avait trois enfants dont un qui avait à l’époque le même âge qu’elle. Des petits à qui l’association avait offert des jouets. « Tu te souviens de cette femme qui fouillait dans les poubelles derrière Monoprix ? », interroge Lou. « Oh oui », répond son amie. C’était une dame bien mise qui avait un logement mais plus assez de moyens pour manger. « Elle était très propre sur elle, très soignée, elle voulait des vêtements verts », décrit Lou.
« Elle avait un peu de mal avec nous mais on envoyait les enfants et cela passait bien », renchérit Lysiane, employée à la MSA d’Avignon. En maraude, les filles tracent devant. Elles proposent dans un pichet thermo de la soupe, des boissons chaudes. Elles sont accompagnées par Amor, ancien SDF volubile, qu’elles ont aidé et qui a intégré la bande. C’est lui, qui une semaine avant les maraudes, passe voir ses anciens compagnons de rue pour lister ce dont ils ont besoin. L’équipe des copains de Minuscule récupère des dons en nature et achète les équipements introuvables comme par exemple ces chaussures pointure 47 réclamées par Olaf, ex-légionnaire qui vit dans la rue.
L’an dernier, en mai, Lou et Luna ont tenu un stand de sensibilisation au lycée de Millau. Dans le local installé à côté de la mairie de Montfrin, de gigantesques sacs à carreaux sont remplis de chaussures de randonnée, de polaires, de sous-pulls… C’est le stock de la grande maraude de Noël du 23 décembre. « On ne peut pas la louper celle-là », assurent Lou et Luna. La date est bloquée sur leur calendrier tout comme celle de la mission humanitaire qu’elles effectueront en septembre dans un orphelinat de Marrakech.