Publié il y a 5 ans - Mise à jour le 04.03.2019 - thierry-allard - 5 min  - vu 1315 fois

ARAMON L’épicerie sociale change de mains, mais pas de philosophie

Des sourires à la caisse de l'épicerie sociale d'Aramon (Photo : Thierry Allard / Objectif Gard)

C’est une maison de village comme il y en a tant à Aramon, mais ici le rez-de-chaussée accueille un bel exemple de solidarité : l’épicerie sociale de l’association Résurgence solidarité 30, qui vient de passer sous la houlette du Secours populaire français.

La bascule s’est faite officiellement ce vendredi 1er mars. Un soulagement pour Joseph Pronesti, fondateur avec son épouse Magali de l’épicerie solidaire en 2010. « J’ai 65 ans cette année, et j’avais promis à ma femme que je lèverais le pied pour m’occuper de nos petits enfants, je suis dans des associations depuis mes 14 ans », explique cet Italien d’origine, ancien d’EDF. À sa retraite à l’âge de 55 ans après une carrière de « lignard », perché en haut des pylônes, il décide de « donner un peu de temps à (ses) concitoyens », selon sa formule.

L’idée lui trottait dans la tête depuis 2002, et les tragiques inondations qui ont traumatisé Aramon. Son épouse aide alors les sinistrés à se dépatouiller dans les formalités avec leurs assurances, et lui participe en ouvrant grand son carnet d’adresses pour faire venir du matériel et commencer des réparations de fortune. « Et l’alimentation pour les sinistrés était au collège, mais nous nous sommes rendus compte que certains n’allaient pas chercher leur nourriture, ils avaient honte, raconte Joseph Pronesti. Alors nous avons fait des colis, et nous leur avons apportés, ça a été un déclic. » À la retraite, il contacte plusieurs associations et la mairie, en vain. Alors il lance l’épicerie solidaire « tout seuls, on a aménagé le rez-de-chaussée de la maison et mis nos propres deniers. »

« La dignité c’est vraiment primordial »

Le principe est simple : « on paye ce qu’on doit, et on choisit ce qu’on veut, car dans toute relation sociale il faut que les gens conservent leur dignité », affirme-t-il. Dignité, le mot revient très souvent dans la bouche de Joseph Pronesti : « la dignité c’est vraiment primordial », martèle-t-il. « Les gens qui viennent ici sont honnêtes, tous paient leurs courses, personne ne fait de dettes, car ils savent que c’est le seul moyen pour que l’association continue, et qu’ils ont la fierté de payer ce qu’ils doivent », poursuit-il. Ici, Joseph Pronesti promet que « avec 20 euros, une famille de quatre personnes à de quoi manger toute la semaine, des produits hygiéniques, de la lessive et du liquide vaisselle. » Bref, de quoi vivre dignement.

En 2018, l’épicerie sociale a accueilli 809 personnes, soit 330 familles. Des familles d’Aramon, des communes de la Communauté de communes du Pont du Gard et de Terre d’Argence, qui doivent avoir moins de 6,50 euros de reste à vivre par jour et par personne. Un seuil plus que théorique, puisque 99 % des bénéficiaires ont un reste à vivre compris entre zéro et trois euros par jour. Avec si peu, difficile de s’en sortir sans une structure comme l’épicerie sociale. « Il fallait donc que cette action continue, c’était une nécessité », souligne Joseph Pronesti, entouré d’une équipe de bénévoles fidèle et impliquée depuis 2010, une équipe qui bascule petit à petit vers le Secours populaire pour qu’il y ait une continuité malgré le changement de gestionnaire.

« Les gens sont de plus en plus au bord du gouffre »

Du haut de ses neuf ans d’épicerie sociale, Joseph Pronesti soupire quand on lui demande son regard sur l’évolution de la situation des précaires. « La situation empire, malgré tous les efforts qu’on a pu faire, lâche-t-il. Ce n’est pas le nombre de personnes, mais les moyens financiers. Le reste à vivre diminue et continue à diminuer, les gens sont de plus en plus au bord du gouffre. » Ici, beaucoup de familles monoparentales, surtout des femmes, mais peu de retraités. « Les retraités restent cachés, c’est mon grand regret de ne pas avoir réussi à toucher cette population qui n’a peut-être pas osé franchir le pas », admet-il. Quant à l’insertion, son association a signé 23 contrats aidés en tout, « et il y en a qui ont réussi », affirme-t-il. Mais c’est du passé : la suppression de la plupart des contrats aidés par le gouvernement a sonné le glas de cet aspect de l’épicerie solidaire.

Il n’en reste pas moins qu’à l’heure de transmettre la structure, le bilan reste positif pour Joseph Pronesti. « Je ne regrette vraiment pas, on a eu des moments extraordinaires », lance-t-il, avant de se remémorer cette septuagénaire originaire de Domazan : « elle a pleuré quand on lui a donné un morceau de lapin, elle n’avait pas mangé de viande depuis huit mois. » Cette même grand-mère qui sera plus tard tout émue de pouvoir, invitée à manger chez son fils, apporter le dessert grâce à une préparation de gâteau achetée à l’épicerie sociale, et qui remerciera chaudement l’équipe. Il y a aussi eu cette ancienne bénéficiaire qui a retrouvé un travail et qui a promis de partager le champagne, ou ce jeune dont le contrat aidé le temps d’un été a permis de décrocher un job pour financer ses études. « Ce sont des choses comme ça qui nous ont permis de faire face et de continuer malgré tout », note Joseph Pronesti, qui a dû faire face parfois aux quolibets et au manque de moyens, tout en étant en première ligne face à la pauvreté et la précarité.

Alors même s’il va « lever le pied », Joseph Pronesti ne semble pas prêt de s’arrêter : toujours vice-président de la Banque alimentaire du Gard et ardent militant du revenu de base via le Mouvement français pour le revenu de base, il reste un citoyen engagé. Au moins jusqu’à « fin mai début juin, je vais rester un petit peu », confie-t-il.

L’épicerie sociale est au 36, avenue de Nîmes à Aramon. Ouverture tous les vendredis après-midis. Contact : 04 66 03 87 50 et contact-ars30@orange.fr.

Thierry ALLARD

thierry.allard@objectifgard.com

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Résurgence solidarité 30 organise comme chaque année depuis sept ans une Journée de la femme le vendredi 8 mars. Une journée « pour les chouchouter, affirme Joseph Pronesti. Depuis neuf ans, je me suis rendu compte qu’à l’épicerie sociale, les femmes étaient souvent celles qui venaient chercher la nourriture pour leur famille, qu’elle sont très courageuses, alors j’ai voulu leur offrir une journée de bien-être. » Au programme : de la coiffure, du maquillage et de l’esthétique, en collaboration avec des écoles d’Avignon, de la réflexologie plantaire et des massages réalisés par une ancienne bénéficiaire de l’épicerie sociale, et un repas servi à table. « Le message c’est pensez à vous, passez un bon moment, oubliez le quotidien », ajoute Joseph Pronesti. La journée, qui se tiendra à la salle Eugène-Lacroix, est ouverte aux bénéficiaires de l’épicerie sociale orientées par les services du Département et les CCAS de 13 communes partenaires, soit environ 120 personnes chaque année.

Thierry Allard

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