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Publié il y a 1 an - Mise à jour le 26.06.2022 - pierre-havez - 4 min  - vu 1324 fois

AU PALAIS « Vous avez tous les deux allègrement menti au tribunal »

Palais de justice Nîmes 8-9-2020 (photo Norman Jardin)

Palais de justice de Nîmes (photo Norman Jardin)

Petite et menue, la victime semble mal à l’aise à la barre du tribunal judiciaire de Nîmes, jeudi 23 juin 2022. Après avoir dénoncé à la police des violences avec un couteau de la part de son mari lors d’une banale dispute, Somia avait en effet finalement déjà refusé de porter plainte contre Mohammed.

Un revirement qui incite le président de l’audience correctionnelle à débuter son interrogatoire par la femme du boulanger de Villeneuves-les-Avignon. Contre toute évidence, celle-ci revient sur les faits, allant jusqu’à prétendre s’être elle-même frappée avec un gros caillou au visage. « Je l’ai provoqué en lui disant frappe-moi si t’es homme car je suis extrêmement jalouse et possessive, assure-t-elle, d’une petite voix. Il serait incapable de me faire du mal… » 

« Vous décrédibilisez la parole de toutes les femmes victimes de violences »

Consterné, le juge la regarde d’un air sévère. « Vous vous rendez compte de la gravité de vos propos. Outre le fait que votre dénonciation calomnieuse peut relever d’un délit, vous avez envoyé votre mari innocent en prison, vous portez la responsabilité de la culpabilité du juge qui l’a envoyé en détention provisoire jusqu’à ce procès et vous avez instrumentalité la Justice et fait perdre un temps précieux au Procureur de la République et à moi-même, tonne Olivier Sabin. Mais surtout, vous décrédibilisez la parole de toutes les femmes victimes de violences conjugales, alors que celles-ci hésitent déjà à porter plainte et à signaler ces faits par peur que leurs témoignages ne soit pas pris en compte ! C’est très grave… »

La quadragénaire semble vaciller sous les remontrances du juge, mais tient bon. Divers éléments prouvent en effet les violences de son mari. Le procureur de la République en fait une première démonstration. Tendant un chiffon à la victime, il lui demande de mimer comment elle s’est elle-même blessée. Celle-ci se cogne durement à plusieurs reprises le côté gauche du visage au niveau de l’œil. « Quand on se donne un coup au visage, ça touche d’abord la pommette et l’arcade sourcilière et seulement ensuite l’œil. Mais vous il n’y a que l’œil qui ait été touché. Dans ce cas, cela ne peut provenir que d’un coup de coude, ou d’un coup de poing, rien d’autre ! Il vous a donc bien frappé ! », conclut Eric Maurel, en se rasseyant.

Le rapport médical fait également état de marques de défense sur les bras de Somia, contredisant sa version. « L’expert médical n’est ni un policier, ni un juge, vous comprenez », pointe encore le juge Olivier Sabin. Mais surtout, la caméra de surveillance de la villa familiale a aussi filmé une scène où on voit Mohammed porter un violent coup à Somia, la faisant chuter au sol.

« Elle me suit par derrière, elle m’insulte, elle me provoque ! »

Niant toujours avoir frappé son épouse, le boulanger tente de réagir lors du visionnage de la scène. « Regardez ! Vous la voyez bien ramasser une pierre ? », intervient Mohammed. Mais le juge n’est pas dupe. « Sauf que les blessures constatées sur votre femme ont été reçues la veille, riposte Olivier Sabin. En outre, la menace de cette pierre ne justifie pas non plus vos coups en riposte. Vous avez prétendu ne l’avoir jamais frappé, or on voit bien que ce n’est pas vrai. »

Mohammed fait un pas en arrière. « Elle me suit par derrière, elle m’insulte, elle me provoque en me disant de la frapper si je suis un homme !, se justifie-t-il. J’essaie simplement de lui faire peur, je lui donne juste un coup de coude, et elle a glissé par terre… » Las de ces mensonges, le procureur le confond à son tour. « Vous êtes un menteur monsieur. Votre bras se déplie entièrement sur ces images. Vous la frappez avec votre main ou votre poing, et d’une telle violence qu’elle chute au sol ! », l’accable Eric Maurel.

« Vous prenez un risque énorme… »

Somia reprend la parole afin d’expliquer sa déposition initiale. « J’ai eu peur que quelque chose arrive. Mais depuis il ne s’est jamais rien passé, répète-t-elle. Je ne me sens pas bien par rapport à mon mari et aux enfants. Ce weekend, j’ai rempli la piscine et les enfants m’ont dit “c’est dommage que papa ne soit pas là pour jouer avec nous !“ » Mohammed se passe la main sur les yeux.

Le procureur la regarde. « Vous prenez un risque énorme. Si jamais le tribunal vous suit et innocente votre époux, vous ne pourrez plus jamais porter plainte car on ne vous croira plus. En êtes-vous bien consciente ? », l’avertit-il solennellement. La femme hoche la tête.

Eric Maurel lance ses réquisitions. « Madame, vous êtes intelligente, mais vous avez en face de vous des professionnels qui savent lire entre les lignes. Vous avez tous les deux allègrement menti au tribunal. Vous ne voulez pas qu’il soit condamné malgré les preuves, soit. Mais ensuite, s’il rentre à la maison et qu’il recommence devant vos enfants ? Vous le laisserez alors les traumatiser… En voulant absolument le protéger, vous ne les protégez ni eux, ni vous, développe le magistrat. Nous pouvons comprendre vos mensonges à cause du quotidien, de la vie, des enfants, de votre entreprise, ou de votre maison. Vous n’êtes pas la première à agir comme ça, mais on n’est pas obligé de vous croire. » Pour donner du sens à sa peine, le procureur réclame 2 mois de prison ferme contre la mari violent.

Son avocate revient sur l’histoire de la libération des femmes jusqu’au mouvement MeToo. « Nous sommes arrivés dans l’excès inverse car aujourd’hui, on poursuit et on condamne sévèrement de manière systématique. Or, la Justice doit trouver un juste milieu. Notre bonne conscience collective ne doit pas oublier la volonté de cette famille de rester ensemble. », pointe Khadija Aoudia. Mohammed est condamné à un an d’emprisonnement, dont 4 mois ferme. Il restera en détention encore quelques semaines avant de retrouver sa famille.

Pierre Havez

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