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Publié il y a 1 an - Mise à jour le 05.09.2022 - pierre-havez - 5 min  - vu 10387 fois

FAIT DU SOIR Alerte aux influenceurs météo

Entre les vigilances officielles de Météo France et la réactivité de certains nouveaux acteurs locaux, les Gardois se retrouvent noyés sous les bulletins météo parfois discordants, comme l’a montré l’épisode orageux avorté de vendredi.  Sur les réseaux sociaux en particulier, la guerre des prévisions fait rage.

Vendredi 2 septembre, Météo France place le département du Gard en vigilance orange pour les orages, en raison d’un phénomène méditerranéen très mobile venu de l’Hérault. Prudente, la préfecture du Gard demande alors aux écoles de fermer leurs portes et appelle les parents d’élèves de tout le département à venir chercher leurs enfants dès 16 heures. Pourtant, à Nîmes, après une courte averse en début d’après-midi, ni précipitation, ni inondation ne viendront gâcher la fin de la journée…

Fondée sur le système de vigilance officiel - jaune, orange, rouge -, créé par Météo France suite aux tempêtes et aux inondations dans l’Aude en 1999, ces décisions peuvent bouleverser la journée les Gardois. Au-delà de la fermeture anticipée des écoles, diverses manifestations ont ainsi dû être annulées dans le département ce week-end. « Sur la région, pour un week-end où quelques touristes trainaient encore, Météo France […] fait le buzz... Conclusion : à Sommières, pas de marché, pas de brocante, une perte pour nos agriculteurs qui ont cueilli la veille et tout emballé », peste ainsi Marco, sur la page Facebook d’un autre prévisionniste local, Météo Languedoc, après l’épisode avorté de ce week-end.

« Oui une vaste connerie d'avoir annulé le marché vu le beau temps, que personnellement j'avais sur la météo agricole de mon Smart phone... », renchérit Jean-Alain. « À force d’alerter et qu’il ne se passe rien ou disons pas plus qu’avant avec de l’eau et de la grêle... il finira que la véritable alerte on ne la prendra pas au sérieux... », conclut Johann, avec fatalisme.

Au-delà d’un certain agacement, ces commentaires laissent poindre une certaine confusion au sein du grand public qui a vu émerger sur les réseaux sociaux de nouveaux acteurs locaux depuis plusieurs années. Très suivis sur Facebook notamment (190 000 abonnés pour la page de Météo Languedoc, 130 000 pour InfOccitanie ou 61 000 pour Météo Gard), ces derniers partagent ainsi désormais leurs propres analyses et recommandations - parfois dissonantes - avant chaque phénomène météo.

Vignette rouge et panneau orange

Vendredi dernier, le site spécialisé Météo Languedoc mettait ainsi en avant le caractère « ordinaire » des orages à venir. « Doit-on craindre une catastrophe ? Probablement pas », rassure-t-il ses abonnés Facebook dès 9 heures du matin. Un discours partagé par Julien Sugier sur les ondes de France Bleu Gard Lozère et sur son site Météo Gard. De son côté, la page Facebook d’InfOccitanie publie en revanche plusieurs messages d’alertes et de prévention à 11h, 12h20 puis à 13h50. « Prudence sur le Lunellois, la Vaunage et le bassin Nîmois : violente cellule orageuse en cours. Grêle, pluies diluviennes et vent violent », prévient ainsi l’un d’eux, sur fond coloré, renforcé par une vignette rouge ou un panneau orange.

Une certaine gravité assumée par Loïc Spadafora. « Cela peut sembler anxiogène pour celui qui n’aura pas vu tomber une goutte de pluie, mais le risque existait bien. La préfète a eu raison de fermer les écoles, par prudence, justifie le prévisionniste, habitué des plateaux de télévision nationaux. Même s’il est rare qu’un phénomène se produise exactement à l’heure et à l’endroit prévu, nous avons joué notre rôle de prévention et de sensibilisation. Il vaut mieux être dans la vigilance, comme nous l’avons été dès le matin, plutôt que dans l’alerte alors qu’il est trop tard. »

Mais plutôt qu’une tendance à l’alarmisme, ce dernier préfère mettre en avant sa réactivité et son ancrage local. « J’essaie toujours de faire une présentation réaliste en m’appuyant sur les remontées de nos lecteurs et sur ma présence sur le terrain, ajoute Loïc Spadafora. Nos images, comme celles des ruissellements importants de ce week-end à Alès, ne sont pas là pour choquer ou faire le buzz. En montrant ce qui se passe en temps réel, elles participent à la culture du risque, en particulier chez les nouveaux Gardois, qui ne sont pas habitués à ces phénomènes. »

Loïc Spadafora, le fondateur du site d'information et de météo InfOccitanie (crédit : Loïc Spadafora)

L'enfant qui criait au loup

Le paysage de la météo gardoise s’est pourtant éclairci depuis plusieurs années. Mais alors que ces nouveaux acteurs s’interdisent désormais de diffuser leurs propres alertes pour ne pas brouiller le message de Météo France, la surenchère de quelques-uns risque toujours, à terme, de nuire à la confiance du grand public dans leurs prévisions. « La tentation de gonfler les titres ou d’amplifier les phénomènes pour faire peur aux gens et générer du clic est dangereuse, pointe Julien Sugier. C’est comme pour l’histoire de l'enfant qui criait au loup d'Ésope : si on laisse entendre que chaque phénomène mérite une alerte, à la fin, les gens n’y croiront plus… » Pour autant, selon le prévisionniste radio, cette concurrence reste une chance pour les Gardois. « L’addition de sites locaux permet de maintenir une météo de proximité alors que les prévisions de Météo France souffrent de la diminution du nombre de prévisionnistes et de l’automatisation de leurs modélisations », ajoute Julien Sugier.

Julien Sugier annonce l'arrivée prochain des alertes infra-départementales permettant aux préfectures de ne pas placer l'intégralité d'un département en alerte si l'épisode météorologique est localisé. (Photo Corentin Migoule)

Vers une  vigilance infra-départementale

Pour s’y retrouver au milieu de ces conseils parfois discordants, la référente de Météo France pour le Languedoc-Roussillon, rappelle de son côté la démarche scientifique de son établissement. « Il n’y a pas de confusion possible si les citoyens font confiance aux services de l'État et des collectivités... et suivent les bulletins de suivi de la Vigilance, les conseils de comportement qui y sont publiés à la fin, ainsi que les consignes qui sont du ressort de la préfecture », assure Florence Vaysse.

Un processus parfois imparfait, en particulier lorsqu’il s’agit d’anticiper des phénomènes aussi imprévisibles, soudains et localisés que des orages. Les fortes inondations du 19 septembre 2020, qui avaient notamment ravagé le village de Valleraugue, avaient par exemple largement dépassé les estimations de Météo France, dont la vigilance était restée bloquée au niveau Orange…  Ce système est d’ailleurs cours d’évolution. Actuellement en phase de test pour les risques avalanche ou vague/ submersion, il devrait prochainement intégrer une vigilance pour le lendemain, mais surtout un maillage infra-départemental, très attendu, qui aurait évité les incohérences de vendredi dernier, et sera très utile, dans le Gard, en cas d’épisodes cévenoles.

La référence ex-Languedoc Roussillon de Météo France, Florence Vaysse (Crédit : DR)

Le fiasco Corse

D’ici-là, au milieu de tous ces acteurs, c’est à la préfecture seule qu’il revient finalement d’alerter les populations ou de prendre des décisions administratives appropriées. « Vendredi, Météo France a annoncé une grosse cellule orageuse entre 17 et 18 heures. Pour éviter les risques routiers, nous avons pris la décision d’anticiper les ramassages scolaires. Finalement, ce phénomène ne s’est pas produit, mais la situation était trop instable pour le savoir », justifie la préfecture.

La sécurité demeure son principal critère. Si cette décision a pu causer des désagréments, ils restent sans commune mesure avec les morts et les blessés potentiels causés par des intempéries sous-estimées, comme le fiasco en Corse l’a prouvé, cet été. « Le 16 août dernier, alors que nous étions placés en vigilance orange pour les orages et les inondations, nous avons recommandé l’évacuation des campings, en pleine saison touristique, rappelle une source préfectorale. L’histoire nous a malheureusement donné raison car le surlendemain, cinq personnes, dont quatre campeurs, trouvaient la mort à cause de la violente tempête qui traversait la Corse… »

Pierre Havez

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