Publié il y a 2 ans - Mise à jour le 25.08.2022 - pierre-havez - 3 min  - vu 18036 fois

NÎMES Les habitants du Chemin-Bas pris en otage par des bandes rivales

Au premier plan, une voiture rafistolée après avoir été touchée par des tirs au quartier du Chemin-Bas d'Avignon à Nîmes, jeudi 25 août 2022 (Crédit : PH)

Une semaine après une première série de coups de feu nocturnes, suivie d’un second épisode de tirs fournis, dimanche en pleine journée, les riverains du Portal, au Chemin-Bas d’Avignon oscillent entre peur, désabusement et colère.

Originaire d’Alès, Asmaâ (*) n’a emménagée au Chemin-Bas, avec sa fille, que depuis 4 mois. Mais pour elle, les détonations font déjà partie du décor du quartier. « C’est constamment le feu d’artifice à cause des règlements de comptes entre le Mas de Mingue et le Chemin-Bas d'Avignon. Je ne sors plus. En tant que femme seule, j’essaie d’être discrète, mais j’ai peur pour ma petite, observe la mère d’une fille de 5 ans. Pour elle, je vais essayer de déménager. »

Au petit café extérieur qui jouxte la boulangerie, les anciens semblent tout aussi effrayés. « Si je sors, une cartouche peut m’emporter, et c’est terminé !, proteste Ali (*), 81 ans, attablé devant son café. On ne peut pas vivre normalement. Ici, le soir à 20 heures, tout le monde est rentré chez soi. Et la nuit, soit on ferme les fenêtres et on étouffe de chaleur, soit on les ouvre et on est réveillé par les bruits des motos ou des tirs. »

Permis de tuer

Assis sur une chaise en plastique non loin de l’octogénaire, “Kikim“ renchérit. « C’est presque devenu banal, même si on a toujours peur pour nos enfants, nos nièces ou nos neveux. Personne ne veut devenir une victime collatérale… », abonde-t-il. Tous se souviennent ainsi de l’assassinat en pleine rue, à quelques mètres de là, sur l’avenue De-Lattre-de-Tassigny, du jeune Anis, dans la nuit du 14 au 15 juin 2020. Mais face à l’accélération de la fréquence des épisodes de tirs, le dépit du sexagénaire se mue en colère. « Quand on voit que deux jours après les interpellations, presque tous les suspects ont été relâchés… C’est comme leur donner un permis de tuer en leur disant : “Retournez-y, mais visez mieux la prochaine fois !“, s’emporte-t-il. Hier, une équipe adverse est de nouveau venue enlever un gamin vers 19 heures pour le rosser dans la garrigue avant de le ramener vers deux heures du matin… » Des expéditions punitives devenues monnaie courante : sur son téléphone portable, un commerçant montre une vidéo qu'il a prise devant sa devanture d'un jeune, hagard et titubant, relâché entièrement nu, par ses ravisseurs...

L'immeuble du Portal au Chemin-Bas d'Avignon, où les bandes rivales s'affrontent pour un point de deal. (Photo : PH)

L'emprise des bandes

Presque tous les samedis soir, les riverains du Portal assistent ainsi, impuissants, aux rondes nocturnes de jeunes extérieurs au quartier, visiblement sous cocaïne ou protoxyde d'azote, qui s’achèvent régulièrement le dimanche matin, en tirs d’intimidation. « C’est un beau quartier mais les jeunes y font la loi, regrette un commerçant du Portal, désemparé. Ils bloquent la route avec des containers, ils font ce qu’ils veulent. Ils tirent et nous on est au milieu : on est pris en otage par des gosses ! » L’emprise des bandes est omniprésente sur les riverains du quartier. Un peu plus loin, un père de famille dessine une fermeture éclair sur sa bouche lorsqu’on l’interroge sur la situation. Au Chemin-Bas depuis 17 ans, excédé, il jure à son tour qu’il va déménager, fustigeant l’inaction des pouvoirs publics.

Inaction politique

Nombreux sont en effet les riverains à critiquer le manque de soutien du maire de Nîmes, Jean-Paul Fournier. « Désormais, on voit des jeunes vendeurs âgés d’à peine 8 ans ! Les habitants s’enferment chez eux pour se protéger des balles perdues. Des voitures sont cassées par les tirs et toutes les lumières et les caméras ont été mises hors service, énumère un autre commerçant du Portal. Mais le maire ne s’occupe que du centre-ville et nous délaisse complètement. Il se fout de nous ! » Au même moment, une voiture de la police nationale emprunte lentement l’avenue De-Lattre-de-Tassigny. Hier, suite aux tirs de dimanche, ils sont venus fouiller une nouvelle fois l’immeuble du Portal jusque sur le toit, accompagnés de chiens. Une présence qui soulage bon nombre de riverains, rassurés par les patrouilles quotidiennes. Mais après leur départ, le soir, les habitants n'ont d'autres choix que de refermer leurs volets.

Pierre Havez (avec Charlotte Sauvignac)

* les prénoms ont été modifiés afin de préserver l'anonymat des témoins.

Pierre Havez

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