Publié il y a 17 jours - Mise à jour le 06.05.2025 - François Desmeures - 5 min  - vu 871 fois

ANDUZE Agression à caractère antisémite : le prévenu derrière les barreaux pour un an

La victime de l'agression en discussion avec Me Corine Serfati. À gauche, la maire d'Anduze, Geneviève Blanc, venue assister à l'audience. 

- François Desmeures

Six jours après l'agression survenue dans les ruelles d'Anduze, l'homme qui s'était attaqué à un autre de 70 ans qui portait une kippa, en le traitant de "Sale juif !" à de multiples reprises tout en le ruant de coups de pied, reste sous les verrous pour un an. Le procureur de la République a globalement été entendu, lui qui a lancé "La société ne vous pardonne pas". En face, la défense a plaidé la bipolarité du prévenu et un cocktail défaillant, entre traitement suspendu depuis huit jours, prise de psychotropes et fort taux d'alcool.

La victime de l'agression en discussion avec Me Corine Serfati. À gauche, la maire d'Anduze, Geneviève Blanc, venue assister à l'audience.  • François Desmeures

Il garde le silence avant l'audience, se montrera plus détendu ensuite. Dans un treillis militaire - héritage de ses années dans la Légion étrangère - kippa sur la tête et tsitsits le long du pantalon, âgé de 70 ans, la victime de l'agression du 30 avril dans une ruelle du centre-ville d'Anduze s'avance pour déposer, main droite le long du corps. Elle tremble quand il parle, tandis que sa main gauche tient la tige d'un micro qui s'est déjà échappé durant ses réponses aux questions. Il le dira à la sortie, il n'a pas été à l'aise pour parler devant le tribunal. Ses mains gauche et droite se sont finalement jointes, tandis qu'il répondait à la présidente, Cécile Baessa, et le tremblement a cessé. Avant lui, son agresseur du 30 avril s'était exprimé sur les faits (relire ici).

"Fils de pute. Ah mais, en plus, t'es juif !" Les insultes ont plu, d'après plusieurs témoins (dont aucun n'était appelé à la barre ce lundi), après que la victime eut refusé un euro au prévenu, qui souhaitait racheter une bière après deux premières pintes. Une bonne trentaine de "Sale juif !" auraient été hurlés, sous des coups de pied répétés et après que le prévenu avait mis la victime au sol. L'intervention des témoins a heureusement pu mettre fin à la scène. 

Le prévenu de 45 ans est finalement appréhendé chez lui, à 9h30 du matin, le 1er mai. Il est alcoolisé, à hauteur de 0,7 g/l de sang et apparaît positif à la cocaïne. "Le jour des faits, j'étais en rupture de traitement", avance le prévenu, qui dit se souvenir d'avoir interpellé quelqu'un mais être trop confus sur la suite. Quand la présidente l'interroge sur les violences, "je ne me souviens pas, avance le prévenu. Je pense que je me suis retourné, que j'ai voulu lui mettre une claque (...) Je reconnais parce que beaucoup de choses ont été dites et écrites. Mais je me souviens pas."

Il revient sur "une phrase malheureuse que j'ai pu avoir pour ce monsieur", estimant avoir "pété un plomb, perdu le contrôle". Pour expliquer l'attaque antisémite, il se demande si elle ne vient pas de l'expression populaire sur fond raciste, qui assimilerait juif à "radin". "Mais je n'ai rien de personnel contre quelque communauté que ce soit", poursuit-il, tout en reconnaissant qu'il "s'agit d'antisémitisme"

"J'avais besoin de m'en prendre à quelqu'un, plutôt qu'à moi-même. J'aurais peut être fait la même chose contre une femme, un hindou, un musulman..."

Le prévenu

"C'est un préjugé utilisé bêtement, c'est juste de la bêtise. J'avais besoin de m'en prendre à quelqu'un, plutôt qu'à moi-même. J'aurais peut être fait la même chose contre une femme, un hindou, un musulman..." Diagnostiqué bipolaire depuis 20 ans, celui qui fut recueilli par la communauté protestante Thimotée d'Anduze dit avoir été en rupture de traitement depuis 14 jours et peiner à obtenir des rendez-vous psychiatriques et médicaux pour renouveler ses ordonnances sécurisées. "La deuxième fois que je suis allé aux urgences de l'hôpital, on m'a dit que c'était la dernière fois qu'on m'aidait." 

"Pensez-vous que votre absence de traitement vous dédouanne de cela ?", interroge la présidente. "Je ne pense pas", reprend le prévenu, qui invoque "un parcours de vie très difficile" et "un degré de schizophrénie de 3 ou 4". Plus tard, à l'avocate du Bureau national de vigilance contre l’antisémitisme (BNVCA), Me Corine Serfati, il dira aussi qu'il n'éprouve "aucune satisfaction, à part de la honte et du mépris pour moi-même", et demandera à la victime de le pardonner. "Et si vous n'aviez pas été stoppé ?", interroge le procureur de la République, Abdelkrim Grini. "Je pense que je serais parti..."

"Comment vous sentez-vous ?" demande ensuite la présidente à la victime, après qu'il a livré sa version des faits. "Pas trop bien, répond l'homme qui vit à Anduze depuis 1982. Mes chats m'ont consolé, ils se sont occupés de moi", sourit-il, alors que c'est justement en ressortant pour nourrir un chat errant que la victime a croisé son agresseur. Physiquement, il n'a pas de lésion. Mais on le sent mentalement hagard. Il explique hésiter à remettre sa kippa, désormais. Mais a franchi le pas au tribunal.

"Jusqu'à quand cette haine manifestée à l'égard du peuple juif ?"

Me Corine Serfati

"Je suis prêt à pardonner s'il demande pardon et qu'il change de comportement. S'il le veut, il peut changer. Et qu'il se repente." Les excuses sont bien présentées. Mais l'audience se poursuit. "Cela ne s'appelle pas un pétage de plomb, entame Me Serfati pour les parties civiles, mais un délire antisémite." Et l'acte est remis dans le contexte de la hausse des cas du même genre, surtout depuis les attentats du Hamas du 7 octobre 2023. 

"Jusqu'à quand cette haine manifestée à l'égard du peuple juif ?", poursuit l'avocate. Celui de la LICRA (ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme), Me Maxime Rosier, rappelle les chiffres : "+ 192% de faits antisémites au premier trimestre 2024, par rapport à l'année précédente", l'antisémitisme représentant "76% des actes délictuels fondés sur la religion". Nordine Tria, avocat de la victime, dénonce, de la part du prévenu, un "manque de courage : vous êtes capable d'asséner des coups, mais pas capable de reconnaître 'Oui je l'ai fait parce qu'il était juif, je vais m'amender'."

"Je ne pardonne pas et je n'excuse pas, la société ne vous pardonne pas et ne vous excuse pas"

Abdelkrim Grini, procureur de la République

"La dignité se respecte, quelle que soit votre profession, origine, couleur de peau, pays ou communauté", assène le procureur de la République, Abdelkrim Grini, qui a tenu à s'emparer de l'affaire alors qu'il n'était pas de permanence.  Lui qui a récemment été victime du racisme décomplexé, qui a lié son nom à l'auteur du meurtre de la mosquée de Trescol à La Grand'Combe, poursuit : "Cela fait plus de 40 ans que je combats le racisme et l'antisémitisme. Et je sais combien cela peut faire mal (...) Je m'incline devant votre douleur." 

Le procureur dénonce des "déclarations à géométrie variable, le prévenu ne se souvient pas quand ça l'arrange (...) Je ne pardonne pas et je n'excuse pas, la société ne vous pardonne pas et ne vous excuse pas", lance Abdelkrim Grini à l'homme assis dans le box, lui reprochant de "se cacher derrière votre bipolarité et votre alcoolisme" et demandant trois ans d'emprisonnement, avec un an de sursis et une obligation de soins. 

"Il n'y a rien, dans les perquisitions faites à son domicile, qui démontre le racisme"

Me Camille Monestier

Me Camille Monestier plaide, pour son client, la "décompensation (...) l'épisode de délire" et, dans ce contexte, "l'absence de résistance à la frustration, comme tous les psychotiques". Et rebondit sur les propos du procureur : "Il aurait mieux valu qu'une autre personne du Parquet" traite l'affaire, pour éviter qu'elle ne soit "traitée par passion, pour en faire le procès du racisme. Il n'y a rien, dans les perquisitions faites à son domicile, qui démontre le racisme". Pour l'avocate, le fait que le prévenu ait délivré du "Sale juif" à une autre personne intervenue sur la scène, prouve l'absence d'intention antisémite initiale. Avant de demander au tribunal de "garder la tête froide (...) trois ans de prison, c'est particulièrement lourd par rapport à son parcours". 

Le prévenu écope finalement de deux ans d'emprisonnement, dont un avec sursis probatoire pendant deux ans. Il reste en détention après les quelques jours d'incarcération préventive. Il est condamné à indemniser les parties civiles, une provision de 1 000 € est prévue. Et devra verser 1€ symbolique aux cinq associations qui s'étaient porté partie civile. Il lui ets interdit d'entrer en contact avec la victime et ne pourra pas reparaître à Anduze avant deux années. Expliquant son jugement au prévenu, Cécile Baessa a insisté sur le fait que le caractère antisémite et la prise d'alcool avaient été retenus comme circonstances aggravantes. 

François Desmeures

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