Nîmes n’est pas une cité inconnue pour l’Inrap. Elle fut de celles qui offrirent, aux débuts de l’aventure de l’institution, de belles heures à l’Inrap. Connaissant fort bien son histoire et ce passé scientifique, Dominique Garcia regarde attentivement les actions menées par la Ville et ses partenaires. Avant toute chose, n’hésitez pas à aller voir ce lien qui vous expliquera dans les détails ce que l’Inrap fait de ce patrimoine nîmois exceptionnel.
Nîmes a senti le besoin d’ouvrir un dialogue pluridisciplinaire à partir de son exemple. Ville d’art et d’histoire, de patrimoine inscrit à l’Unesco, enorgueillissons-nous que la cité des Antonin joue aux côtés de calibres supérieurs. C’est aussi pourquoi elle a pu organiser un colloque intitulé « Partager la restauration de l’amphithéâtre romain de Nîmes ».
Pour le président de l’Institut national de recherches archéologiques préventives, Dominique Garcia : « C’est un objet d'étude qui pourrait paraître simple. Quand on fait de l'archéologie antique et qu’on travaille sur les amphithéâtres, ça pourrait paraître un petit peu suranné, or, le travail qui est fait à Nîmes depuis quelques années, et le colloque l'a bien montré, est quelque chose d'original. »
Ouvert au monde, pourtant, les colloques de ce calibre sont trop rares. « Il y avait à la fois des archéologues, des professionnels du tourisme, des maîtres d'ouvrages publics et privés, les monuments historiques, l'Unesco… Personne ne disait exactement la même chose, mais tout se complétait au bénéfice de ce monument singulier ! »
Cet événement devait rassembler experts et gestionnaires de monuments de plusieurs pays pour échanger autour des enjeux techniques, méthodologiques et patrimoniaux liés à la conservation des amphithéâtres romains encore en usage.
Étaient donc concernés, le Colisée de Rome, Italie (Unesco) et les amphithéâtres de Vérone, Italie (Unesco), de Pula, Croatie, (liste indicative), d’El Jem, Tunisie, (Unesco), de Tarragone, Espagne, (Unesco) et d’Arles, France, (Unesco).
« Deux journées agréables et intéressantes. Il y avait des questions, des réponses et de l’écoute. Il y a eu cette volonté de restaurer l'amphithéâtre pour le faire vivre par un système original. La plupart du temps, quand on restaure un monument historique, c'est pour le figer, pour le cristalliser, pour le fossiliser. Là, c'est une restauration qui est faite pour le rendre utile et même, de manière un peu paradoxale, pour l'adapter à des situations actuelles comme les problèmes des personnes à mobilité réduites, faire rentrer des camions pour les taureaux, mettre des assises correctes pour les gens tout en le gardant efficace, fonctionnel et économiquement rentable. »
L’objectif de ce colloque était ainsi de partager les acquis techniques, méthodologiques et scientifiques de la restauration de l’amphithéâtre de Nîmes en cours et programmée jusqu’en 2040. Comme le dit Dominique Garcia, c’est aussi en profitant de cette approche que le monument perdure. Car à Nîmes, des travaux sont certes faits mais les archéologues peuvent encore bosser ! Ici et là, on les voit à l’œuvre, documentant l’édifice, ses abords, ses souterrains, pour la connaissance d’aujourd’hui et de demain.
Et pourtant l’amphithéâtre n’est pas classé à l’Unesco Est-ce un problème ? Pas du tout, le président de l’Inrap voit la Maison Carrée comme un phare qui éclaire le reste du bâti antique (et pas que) nîmois.
À Nîmes, il y a aussi une volonté forte : celle de travailler ensemble. Il faut dire que les gènes doivent parler. Au carrefour de la Méditerranée, mais sur le continent, entre Provence et Languedoc, Camargue et Cévennes, Nîmes a toujours eu les points cardinaux à l’œil même si la cité est parfois hermétique comme un cercueil plombé. « Il y a une synergie vraiment originale, tout le monde travaille ensemble et c'était intéressant, d'autant plus que l'autre moitié d'une partie du colloque était une ouverture vers la Méditerranée. On a pu voir ce qui se fait à Rome, ce qui n’est pas rien, voir ce qui se fait en Espagne, voir ce qui se fait en Tunisie, voir ce qui se fait en Croatie... Et donc il n’y avait pas un enfermement, ça, c’est enrichissant. »
Pour restaurer un tel édifice il faut, hélas, en avoir les raisons. Nombreux sont les amphithéâtres en ruines ou à peine lisibles. Nîmes détonne. « C'est comment valoriser le patrimoine dans les deux sens du terme ! Le valoriser dans le sens de le partager, et valoriser en lui donnant de la valeur, c'est-à-dire en le rendant utile à la société, utile aux différentes activités. »
Arles a aussi ses arènes. Un peu plus anciennes, un peu moins bien conservées mais relativement comparables et étonnamment similaires sur certains aspects. Pourtant, Nîmes et Arles diffèrent. Et les autres encore plus ! Quelles sont les particularités de l'amphithéâtre nîmois aujourd'hui ?
« Pour la Tunisie, il n’y a pas de spectacle, comme la plupart des monuments historiques en France. En Espagne, ce qu'on a vu était intéressant. Ils l'exploitent également mais il n’y a pas d'études en profondeur du monument, on le prend comme une image, tel qu'il est, pas comme à Nîmes avec les travaux de Richard Pellé et des équipes de l'Inrap qui ont permis d'étudier, par exemple, la salle cruciforme ! À Rome, pour de nombreux évènements, il s’y passe des choses, mais le monument est figé. »
Pour Arles, la problématique est différente. On y voit des spectacles mais pas les grandes stars qui viennent avec des scènes dignes d’un Stade de France. Ici, impossible de manœuvrer, même pour arriver sur site. « Sur les arènes d’Arles, on voit un peu plus le passé médiéval avec les fameuses tours mais, et je n’y avais pas pensé, c’est l'accès à l’amphithéâtre qui est bien plus compliqué ! Pour les spectacles, ce que j'ai appris, c'est que ça coûtait plus que ça ne rapportait. »
Ces rencontres préfiguraient la création d’un réseau d’échange international portant aussi sur les usages et les pratiques de gestion de ces amphithéâtres romains ouverts aux publics et toujours en exercice comme lieu de spectacles.
Du diagnostic jusqu’à sa mise en œuvre, le chantier de restauration interroge sur l’authenticité et l’intégrité patrimoniale d’un monument au regard des usages contemporains, de sa gestion et de sa conservation.
Il en plaisante volontiers avec un bon mot, le comparant au bateau de Thésée, mais Dominique Garcia est conscient que l’amphithéâtre Nîmois est une sorte d’ovni. Surtout pour les archéologues ! Ainsi, la vie passée du monument est mieux connue que jamais et est documentée pour faciliter ses usages actuels.
« À Nîmes, c'est l'ensemble des actions qu'on peut mener qui sont visibles. On rend les choses utiles et obligatoires la compréhension de l’amphithéâtre ancien. Un petit peu comme si vous achetiez une vieille maison et que vous voulez la refaire à neuf. Vous êtes obligé de tenir compte des portés, de l'épaisseur des murs, du machin pour faire passer l'eau...Il y a quand même beaucoup d'argent qui est mis ! »
Pour un peu de légèreté en gardant à l’esprit que l’argent est nécessaire pour faire vivre et non survivre l’amphithéâtre, la preuve la plus poignante est conservée sous la piste. Sur un mur, une plaque de l’époque de la construction. Dessus, quelques lettres latines. « T. Crispius Reburrus Fecit » Reburrus… Quel clin d’œil ! « Reburrus, en Gaulois Ro-burro, « le très fier », est sans doute le Nîmois qui a donné à l'amphithéâtre de Nîmes la salle cruciforme placée sous la piste. C'est un Gaulois, enfin, c'est quelqu'un d'origine gauloise, qui a mis des pépettes ! Dans la tradition, il y a son surnom et son surnom, c'est un surnom gaulois d’une famille qui devait s'appeler, ou qu'on avait surnommé, « le très fier » ! »
La restauration du monument (2009-2034), est accompagnée d’un suivi archéologique des travaux mené par l’Inrap, en partenariat avec la Ville de Nîmes, sur la façade de l’édifice, les gradins conservés dans la partie sommitale du monument ainsi que les zones dites d’arrachement, détruites au Moyen Âge.
Un autre volet du projet porte sur une étude approfondie de la cavea et des galeries elliptiques internes, dans le but de mettre hors d’eau et de protéger la structure interne du bâtiment. C’est sur ces deux thématiques que portait le colloque « Partager la restauration de l’amphithéâtre romain de Nîmes ».
Dernier questionnement sur l’état du patrimoine français actuel. Est-il en danger ? Si un tremblement de terre, un incendie ou une tornade passent, que restera-t-il à part des pierres inertes et insensées au sol si les archéologues ne peuvent pas consigner notre passé ? Le patrimoine est-il là pour l’éternité ?
« Je trouve que la restitution par l'étude est plus qu’importante. Un monument n'est pas quelque chose qui sera éternel, l'éternité, c'est du vocabulaire religieux, ce n'est pas du vocabulaire de profane. S’il n’y a pas une étude faite avant, que faire ? Pour moi, il n’y a que la restitution par l'étude qui permet la conservation. J'étais hier dans une grotte ornée, mais dans dix générations, qu’en restera-t-il ? Quand on a les moyens, et c'est le cas à Nîmes mais pas partout, quand il y a des spécialistes, et c'est le cas à Nîmes mais pas partout, on pourra transmettre ce patrimoine, c'est important ! »
Donc, il faut trouver de nouveaux « très fier » ou faire de ce monument le réceptacle des humeurs nîmoises comme il l’a toujours été dans le passé. Dominique Garcia, sans heurter les pensées et les croyances rappelle simplement un fait.
« Il y a 80 000 lieux de culte dont la gestion incombe aux communes. Cela coûte très cher. Aujourd’hui, il y a de moins en moins de monde qui y va et de très nombreuses pourraient être désacralisées. On peut imaginer y mener des études, faire des doubles numériques puis réaffecter ces endroits à d’autres usages. »
On a donc pu en savoir plus sur l’amphithéâtre de Nîmes grâce à un état des lieux d’avant la restauration, des diagnostics et un suivi par les services de l’État. Idem sur le chantier de restauration qui est programmé sur 30 ans. Archéologue connaissant par cœur nos arènes, Richard Pellé, via l’Inrap, a quant à lui évoqué l’amphithéâtre comme étant un chantier archéologique Inrap qui a encore de l’avenir.
Cette manifestation était organisée par la Ville de Nîmes avec le soutien du ministère de la Culture, Mission Patrimoine mondial et le concours de la Fondation internationale des Monuments romains de Nîmes et de l’INRAP.