Publié il y a 3 ans - Mise à jour le 04.05.2020 - corentin-corger - 6 min  - vu 12128 fois

FAIT DU JOUR Attestation de Remoulins en 1720, un historien en perce le secret

Une attestation de déplacement en 1720 pour se déplacer de Remoulins à Blauzac (Photo Librairie Traces écrites)

Le 22 avril dernier, Jérémie Ferrer-Bartomeu poste la photo d'une attestation authentique de déplacement datant du 4 novembre 1720, durant une épidémie de peste, d'un certain Alexandre Coulomb qui quitte Remoulins pour rejoindre Blauzac. Près de 300 ans après, ce document fait écho à l'actualité que nous analyse ce docteur en histoire, diplômé de l’École des Chartes et enseignant-chercheur à l’université de Neuchâtel en Suisse. 

Objectif Gard : Comment avez-vous découvert ce document ?

Jérémie Ferrer-Bartomeu : Je l'ai trouvé sur un site de vente de vieux papiers, il est parfaitement authentique et appartenait à la Librairie Traces écrites dans le 6e arrondissement de Paris. Je m'intéresse aux écrits politiques pendant les guerres de religion et tout ce qui touche aux papiers politiques. Dans ce formulaire, on retrouve à la fois une écriture manuscrite et imprimée, il y a une forme d'hybridation des deux écritures. Ce document a été vendu 500 € à une dame du Morbilhan, une région peu touchée par le coronavirus et très éloignée du Gard. C'est assez cher pour le marché des vieux papiers mais c'est sans doute lié au contexte et l'intérêt de ce document pour les concitoyens fait écho aux attestations utilisées en France. Hors épidémie de Covid-19, le prix n'aurait pas été le même.

Pourquoi une attestation de déplacement est-elle nécessaire à cette époque ?

Pour deux raisons. D'ordinaire, on ne se déplace pas comme on veut. Les mobilités sont assez encadrées parce que pour aller d'un point A à un point B, il faut passer par le "plat pays", cela correspond à la campagne qui n'est pas très surveillée. À destination, on vous demande d'où vous venez et on n'aime pas les étrangers, c'est-à-dire celui qui vient de la ville voisine. On ne le connaît pas donc par principe on se méfie. Si vous n'êtes pas propriétaire d'une maison ou que vous ne venez pas pour un motif précis, vous n'avez rien à faire dans la ville. On ne circule pas comme on veut. Et puis, il y a le contexte de l'épidémie de peste qui vient de Marseille. Cela entraîne le bouclage de la ville et de surveiller les mobilités avec le Gard, la Provence et les Préalpes pour empêcher que le mal se répande. Il n'y a aucune technologie médicale et la peste est une cause de mortalité importante. Alors les autorités politiques des villes, les consuls, équivalent du conseil municipal d'aujourd'hui, qui ont pour mission au 18e siècle la sécurité sanitaire des habitants, délivrent cette attestation de déplacement.

"Pour discuter de l'approvisionnement alimentaire"

Quelle est la raison de ce déplacement ? 

Apparemment, les consuls de Remoulins envoient un consul, Alexandre Coulomb, pour se déplacer à Blauzac. Si c'est pour une affaire de famille ou un marchand, la mention de la ville n'aurait sans doute pas été précisée. On peut imaginer que c'est par exemple pour discuter de l'approvisionnement alimentaire. L'autre élément, c'est que l'attestation indique qu'il n'y a pas de mal contagieux à Remoulins et donc par hypothèse qu'il n'est pas porteur de la maladie. Même s'il est peu probable qu'il ait été examiné par un médecin. Mais en tout cas la logique est que comme nous n'avons pas de cas chez nous donc on peut envoyer quelqu'un chez vous.

À l'époque, tout le monde peut-il obtenir cette attestation ? 

Étant donné la partie imprimée, on pense que l'attestation est délivrée pour des déplacements exceptionnels mais pas à grande échelle. À la différence d'aujourd'hui, on ne pense pas que tout le monde se balade avec ce document. Les consuls n'ont pas que cela à faire et imprimer des attestations pour tous. D'où l'hypothèse que ce que va faire cet Alexandre Coulomb semble assez important. On remarque qu'il n'est pas décrit précisément. Un homme de taille médiocre, ce qui est ordinaire, avec les cheveux châtains. La description signalétique se met progressivement en place mais l'identification policière arrive davantage au 19e siècle. La présence des armes de la ville de Remoulins donnent un caractère un peu officiel à un document qui semble avoir été fait à peu d'exemplaires quand on observe le manque d'attention sur la maîtrise de l'impression.

Jérémie Ferrer-Bartomeu est l'historien qui a remis sur le devant de la scène cette attestation (Photo DR)

Que risque t-on en 1720 si on brave l'interdiction de sortie ?

Cela peut être très variable, en fonction du contexte. Un conseiller du Parlement d'Aix n'est pas pendu à un arbre. Il y a une forme d'appréciation des forces de sécurité mais bon ça peut aller jusqu'à la mort. Notamment, en période épidémique, pour un vagabond qui vient de Marseille sans aucun papier. Et puis dans les villages, ce contexte entraîne une forme de paranoïa et donc des lynchages, ça s'est déjà vu. Il y a déjà une crainte de se faire détrousser en temps normal alors les réflexes se tendent encore plus, comme en ce moment. La société est bousculée et ça peut devenir très vite compliquée. À l'image du roman "Le Hussard sur le toit" de Jean Giono où l'épidémie de choléra suscite un peu la phobie avec notamment le commissaire de la ville qui perd complètement les pédales.

Ce genre de document existe t-il avant le 18e ?

Oui aux 16e et 17e. Dans votre région et particulièrement au sud de la France, on sait que les épidémies de peste sont régulières avec le grand port de Marseille à proximité. Les navires qui débarquent de l'espace oriental comme l'Empire Ottoman, devenu la Turquie, sont parfois porteurs de la peste ou du choléra. Donc ces attestations sont habituelles et pas seulement à cause des épidémies. Au 17e siècle, vous avez les révoltes paysannes puis vers la fin du siècle et le début du 18e, la guerre des Camisards. Durant ce conflit, il y a une forme d'attestation pour que les "bons catholiques" puissent se déplacer. Donc ça commence à être ancré dans la société, davantage que maintenant. Si vous attrapez la peste, vous avez 75% de chance de mourir donc ça vous donne à peu près une tendance concernant la mentalité de l'époque. Les gens restent chez eux.

"En 2020, cela rassure les gens"

Trois cents ans après l'histoire se répète à nouveau, comment vous l'analysez ?

On peut prendre la question dans l'autre sens. Je poste souvent de vieilles choses sur Twitter, les gens n'en ont absolument rien à faire. Quand j'ai publié l'attestation je ne m'attendais pas du tout à avoir 2 000 retweets et plus de 4 000 likes. D'ailleurs j'ai enlevé les notifications. Pourquoi un tel intérêt ? En 2020, cela rassure les gens. Nos ancêtres ont réagi de cette manière et ils s'en sont sortis. Marseille ne s'est pas effondrée. Ce n'est pas l'apocalypse. Au Moyen-Âge, pour les gens, la peste c'est la fin des temps. Au 18e siècle, la médecine a fait des progrès et on assiste à une forme d'érosion des croyances religieuses. La société contemporaine se dit qu'en fait elle est habituée et qu'elle va s'en remettre. Ce n'est pas une situation totalement inédite pour l'humanité et pour la France.

On imagine néanmoins, même pour les spécialistes, que cela resterait dans les livres d'histoire et n'allait plus se reproduire...

En effet, on semblait un peu à l'abri. On voit en tout cas que l'on utilise les mêmes réflexes. Outre l'Italie, peu de pays ont mis en place une attestation de déplacement comme en France. C'est assez révélateur du caractère étatique et du rapport avec les gens en terme d'autorité. En Suisse, ça ne viendrait même pas à l'idée du Conseil fédéral de s'auto-confiner, peut-être parce que la population est plus disciplinée. Cela illustre un contrôle important du peuple notamment sur celui du sud de la France. Sous l'état royal que ce soit sous Louis XIV ou la Régence, cette population n'est pas très bien considérée à cause des révoltes. C'est une forme de domination dans la grande lutte de Paris contre les périphéries.

Fallait-il une attestation pour se déplacer dans la partie nord et autour de Paris ? 

Non, il est très peu probable que vous ayez besoin d'une attestation pour vous déplacer de Paris jusqu'à Charenton. C'est vraiment localisé. Et d'ailleurs cela rappelle la carte du déconfinement avec les départements en vert et d'autres en rouge avec une territorialisation concernant le déplacement. C'est sans doute ce que le conseil royal avait imaginé. A priori ce n'est pas bien parti pour les Bouches-du-Rhône, même si pour le coup Paris est en rouge.

Propos recueillis par Corentin Corger

Corentin Corger

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