L'INTERVIEW Anepou, artiste couturier : « Ces tapisseries sont très fragiles, parce qu’elles ne tiennent qu’à un fil »

Anepou
- Photo Yannick PonsJeudi 22 mai, Daniel-Jean Valade présentait la dernière exposition de la série textiles au Muséum d’histoire naturelle, Issus d’Afrique. Aux côtés de collections du musée, d’une vitrine imaginée par les élèves de l'école Saint-Vincent (arts appliqués), et de pagnes issus d’une collection personnelle, Anepou présente des véritables bijoux de tissus bariolés. Entretien.
L’exposition est l’occasion de parcourir l’histoire du textile en Afrique. Pagnes et vanneries, techniques de tissage, de coloration et d’impression… Ces tissus africains sont utilisés de plus en plus en tapisseries et en haute couture.
Objectif Gard Anepou, c’est votre nom d’artiste, mais qui êtes-vous ?
Anepou : Je m'appelle Christophe Daubie. Pourquoi je m'appelle Anepou ? Parce qu'Anepou c'était le dieu de la mort dans la mythologie égyptienne. Et en fait, c'était lui qui était en charge des bandelettes et du travail du tissu pour ce qui concerne les momies avant leur départ vers l’éternité. Et c’est un peu ce que je fais dans ma création.
Quel est votre processus de création et le lien avec Anepou ?
Mon principe, mon processus, c’est de déconstruire pour reconstruire. C’est-à-dire que je prends des tissus que je détruis, je tire les fils, je les déconstruis complètement et je recrée à partir de ces fils. Je détruis le tissu et je les fais renaître sous une autre forme. Avec une ambition d’éternité. Sauf qu’il n’y a pas de continuité dans mes créations parce que je considère que, de toute façon, ces tissus-là doivent être redéfaits si c’est nécessaire. C’est un peu ça l’éternité.
Vous parlez de vêtements récupérés, comment procédez-vous concrètement ?
J’achète des trucs qui sont jetés, des machins, des tissus, des vêtements usagés, des pagnes… Derrière ma démarche, il y a de l’économie circulaire parce que je recycle. Je retire le fil, je refais des bobines, je refais tout. Tout est manuel. Je tisse à la machine, ou à la main. Je fais des bandes, et ces bandes sont assemblées à la main. Je les confectionne avec une machine, mais j’ai un processus bien spécial. Je fais ma trame à la machine. Je recrée des vêtements.
Votre travail évoque un ancrage africain par ces couleurs bigarrées. Est-ce conscient ?
Je suis né en Afrique. Donc, j’ai une fibre africaine et moi, je suis africain. À partir de ces tissus, je les ai déconstruits pour reconstruire des tissus à tendance africaine. On retrouve les couleurs de l’Afrique : les couleurs de la latérite, les couleurs de la terre, le vert aussi, le rouge. J’ai détruit des pagnes africains pour les réintégrer dans mes tapisseries. Ce sont des morceaux de pagnes africains que j’ai découpés en bandelettes. Je les ai assemblés à ma manière. J’ai retissé. Je les ai entremêlées avec mes fils.
Que cherchez-vous à exprimer à travers cette exposition ici à Nîmes ?
Moi, ce que j’ai voulu montrer, c’est la fragilité de la vie, en fait. On dit que la vie ne tient qu’à un fil. Ces tapisseries sont très fragiles, parce qu’elles ne tiennent qu’à un fil. Et elles sont d’autant plus fragiles que si on tire un fil, on va de nouveau les détruire. Et la vie, qu'est-ce que c'est ? La vie, c’est un éternel renouvellement. Ces fils, c’est notre expérience, nos bonheurs, nos joies, nos malheurs. Et avec tout ça, on tisse quelque chose qui nous façonne, et c’est notre vie propre. C’est ce que je veux : cette transparence. Voir la trame. Que ce soit en recto verso, on voit mon geste. On voit toute la trame.
« Issus d’Afrique » du 23 mai au 16 novembre au Muséum d’Histoire naturelle – Nîmes.