Publié il y a 20 jours - Mise à jour le 29.01.2025 - Propos recueillis par François Desmeures - 6 min  - vu 390 fois

L'INTERVIEW Antoine Lyonnet, président des Prud'hommes d'Alès : "On garde les dossiers dans nos mains moins d'un an"

Président du conseil des Prud'hommes en 2024 et jjsqu'à ce mercredi, Antoine Lyonnet est salarié de la Bambouseraie et syndiqué CFDT

- François Desmeures

L'audience solenelle de rentrée du conseil des Prud'hommes alésien a lieu ce mercredi matin. La fin d'une première année de présidence pour Antoine Lyonnet, syndiqué CFDT, qui laissera sa place à un représentant du collège employeurs. En 2024, les dossiers parvenus au Conseil ont plus que doublé mais le délai de traitement s'est raccourci. Une satisfaction pour celui qui restera vice-président suite à l'audience de rentrée. 

Président du conseil des Prud'hommes en 2024 et jjsqu'à ce mercredi, Antoine Lyonnet est salarié de la Bambouseraie et syndiqué CFDT • François Desmeures

Objectif Gard : Depuis quand êtes-vous élu au conseil des Prud'hommes alésien ?

Antoine Lyonnet : Depuis 2008. C'est mon troisième mandat, parce que le premier a été très long, prorogré, et a duré neuf ou dix ans. Après, j'ai fait un mandat de cinq ans. Et cette fois-ci, un mandat de trois ans qui sera renouvelé l'année prochaine, en janvier. 

Cette fois-ci, c'était votre première présidence. Qu'est-ce que cela change et voit-on les choses différemment ?

C'était quelque chose que je voulais, pour pouvoir m'occuper de la juridiction. Comme président, on est là pour régler les problématiques, rapprocher les points de vue entre les gens, sans parti pris. Il peut y avoir des problématiques de remplacement, de comportement vis-à-vis de la déontologie des conseillers, etc. 

Seize ans, c'est un temps suffisamment long pour assister aux évolutions du marché du travail...

En 2008, lors de mon premier mandat, je n'ai pas vu grand-chose parce que j'étais dans la section agriculture - sans doute une erreur de mon syndicat - ce qui représente environ une affaire par an. Donc, les neuf premières années, je n'étais pas vraiment dans le bain.

Vous avez eu le temps d'observer...

J'ai eu le temps d'observer, oui, mais de loin... Après, j'ai été en "activités diverses", via une nomination par le ministère, ce qui m'arrangeait parce qu'on voit beaucoup plus d'affaires. Et j'ai vraiment commencé à prendre mon rôle de conseiller en 2017. 

Depuis 2017 - notamment à travers les ordonnances Macron - le droit du travail a sensiblement évolué. Est-ce une impression ou y a-t-il une véritable accélération de la transformation du droit du travail ?

La Cour de cassation apporte de nombreuses précisions, et préciser, ce n'est pas si mal. Et puis, il y a eu de nouvelles lois, comme l'encadrement des indemnités mais, désormais, ce n'est plus un sujet : il existe un barême, qu'on appelle le barême Macron, qu'on applique, et puis c'est tout. On a essayé, à un moment, de contourner, de proposer autre chose, mais bon... Ce n'est plus un sujet. 

"Il faut absolument qu'on garde nos effectifs"

Ces barêmes ne limitent-ils pas le champ d'action du conseiller prud'hommal, et donc sa capacité à juger ou sa liberté de jugement ?

Oui, bien sûr. On nous dit "vous devez juger entre tant et tant, selon les années". C'est ne pas nous donner la possibilité d'étudier vraiment un dossier qui est spécifique, car aucun ne se ressemble. Au début, on l'a mal pris. Mais maintenant, on n'a plus trop le choix. 

Et ces ordonnances ont-elles fait baisser le nombre de dossiers que vous voyez passer, en faisant renoncer certains salariés qui se seraient dit que le jeu n'en vaut plus la chandelle ?

Non. Par exemple - ce sont les chiffres que je présenterai lors de l'audience de rentrée - en 2023, on avait 237 affaires. En 2024, on atteint 497 affaires, soit une augmentation de 109 %, en grande partie en raison de dossiers en série comme pour Carrefour, sur une question de primes, ou encore Sanofi, ici aussi pour des questions de primes. En 2023, la durée moyenne d'un dossier, chez nous, était de 13,2 mois. En 2024, c'est 11,8 mois, de la saisine au rendu de décision. On garde donc les dossiers dans nos mains moins d'un an. 

Et ce, malgré l'augmentation des saisines ? Parce que ce sont des problématiques identiques ?

On doit être bon (rires). Ça nécessite surtout d'être très organisés, en collaboration avec le greffe. C'est la raison pour laquelle il faut absolument qu'on garde nos effectifs.

"Nos décisions sont assez peu contestées"

Avec combien de personnes tourne le Conseil ? 

On a un greffier placé, donc qui n'est pas pérenne. Il est déjà à 80 %, et se répartit pour moitié sur les ventes et moitié aux Prud'hommes. Puis, on a deux agents administratifs, l'une à plein temps mais qui fait à moitié les tutelles, et une autre en mi-temps thérapeutique et qui prendra sa retraite en fin d'année. Ça fait court. On souhaite fortement disposer d'un greffier pérenne et que l'agent qui part en retraite soit remplacée, pour garder une qualité et une rapidité de jugement. En matière de rendu, le taux d'appel est d'ailleurs intéressant : 19 %, ce qui n'est pas énorme. C'est donc le signe que nos décisions sont assez peu contestées. 

Depuis 2018, la conjoncture n'a cessé d'évoluer. Avez-vous ressenti ces perturbations économiques au sein du tribunal des Prud'hommes ?

Je ne sais pas si on peut dire des Prud'hommes que c'est un thermomètre de l'économie locale. On a toujours autant de dossiers. Mais le contexte, c'est plutôt le domaine des liquidateurs. Je n'ai pas, ici, une vision de l'économie du bassin avec des dossiers, en fait. Parce que chaque cas est personnel. La constante, c'est que la plupart des dossiers qui arrivent chez nous sont des licenciements. Mais, finalement, assez peu de licenciements économiques : ce sont avant tout des problématiques entre employeur et salarié. 

Le Covid a-t-il été pourvoyeur de conflits plus nombreux entre salariés et employeurs ?

Les affaires, après le Covid, concernaient des gens qui étaient soumis à une obligation vaccinale. Dans le secteur de la santé ou dans les établissements recevant du public, comme nous à la Bambouseraie.

"C'est une gestion paritaire, donc beaucoup de décisions se prennent en commun"

Les jugements, sur ce sujet, ont-ils été délicats ?

Il ne fallait pas se poser de questions autres que le droit : l'établissement dépendait-il exactement de cette règle-là ? Il fallait rester dans les règles, et ne pas s'éparpiller à dire "c'est injuste, parce que lui ou elle travaille dans un bureau", etc. 

Cette obligation vaccinale d'alors a donné lieu à beaucoup de licenciements ?

Quelques-uns, oui. 

La relation entre employeurs et salariés syndiqués, au sein du tribunal paritaire que sont les Prud'hommes, comment la jugez-vous ?

Les relations entre les personnes sont bonnes, au sein du tribunal d'Alès. Déjà, parce que les gens sont formés, ce qui empêche d'avoir des personnes qui s'inscrivent dans la lutte des classes. La formation, c'est la base de tout, pour moi. Avec le vice-président, on a créé de formations pour recadrer à propos du recueil de déontologie, sur des règles de droit, etc. Les juges ont aussi des formations en externe, via leur syndicat, et grâce à l'ENM (École nationale de la magistrature). Il y a des débats, mais on est un conseil qui fonctionne bien et le taux de départage - c'est-à-dire le besoin de faire appel à un juge professionnel - a un peu augmenté mais reste relativement bas. Ce qui veut dire qu'on s'entend pour juger les affaires. Mais on ne défend personne, c'est le rôle des avocats : on tranche, on juge. Il faut rester dans le droit. 

Président, vice-président, qu'est-ce que ça change ?

Pour certaines décisions, le président a le dernier mot. Mais bon, c'est quand même une gestion paritaire, donc beaucoup de décisions se prennent en commun. Et c'est notre cas, il n'y a pas de lutte entre l'un et l'autre. 

Dans une société où les relations paraissent de plus en plus tendues, que ce soit dans la rue ou professionnellement, le conseil des Prud'hommes semble ne pas subir les conséquences de ces tensions...

On doit tous arriver à la même solution, c'est important. Alors, il arrive qu'il y ait des discussions houleuses mais c'est le droit qui nous guide, même si c'est parfois interprétable. Mais ce n'est pas un compromis. Les relations sont relativement bonnes. 

À une époque, la justice paritaire a subi des menaces. Est-ce toujours le cas ? Avez-vous le sentiment que les conseils des Prud'hommes sont menacés ?

Je ne pense pas : lors des dernières nominations, il y a deux ans, on a eu plus de conseillers. Il y avait pourtant trois scénarios : l'un où le tribunal des Prud'hommes d'Alès disparaissait et allait sur Nîmes ; un autre où les deux sections qui comptent le moins d'affaires - agriculture et encadrement - partaient sur Nîmes ; et une troisième solution qui voyait augmenter le nombre de conseillers à Alès. Autant dire, trois hypothèses qui n'avaient strictement rien à voir. Finalement, c'est la troisième solution qui a été retenue, donc on a eu plus de conseillers. 

Vous avez encore le temps d'aller au boulot, avec le temps que prend le tribunal ?

(Sourire) Je dois être environ trois ou quatre jours par sermaine, ici. Cela m'accapare énormément. 

Avez-vous le sentiment que la majeure partie de la population est au courant du travail du tribunal des Prud'hommes et en comprend l'utilité ?

Non. C'est pour ça que, l'an dernier, j'avais fait un discours en insistant sur le Conseil des Prud'hommes hors les murs : dans le cadre de la Nuit du Droit, on est allé présenter notre travail au collège, au lycée, parce que tout ceci est un peu inconnu. Mais j'aimerais bien que les gens connaissent un peu mieux l'institution. 

La désaffection relative des syndicats peut-elle, à terme, poser un problème pour les fonctionnement des cours prud'hommales ?

Chez nous, tous les postes ne sont pas pourvus. Pour un employeur d'une petite boîte, ce n'est pas évident de participer et ce n'est pas la rémunération qui l'attire, parce que le ministère de la justice n'a pas d'argent. Et le boulot de conseiller n'intéresse pas forcément tout le monde. Et puis, il faut se former, prendre du temps, rédiger des jugements, ce n'est pas simple... Ici, au conseil, il y a très peu de gens d'Alès, la plupart viennent de Bagnols et de Nîmes. C'est un vrai job et ça ne rapporte rien... 

Propos recueillis par François Desmeures

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