Publié il y a 10 mois - Mise à jour le 03.12.2023 - Marie Meunier - 4 min  - vu 980 fois

L'INTERVIEW Patrice Prat, ex-maire de Laudun-l'Ardoise : la crue de 2003 a été "un vrai traumatisme pour la population"

L'ancien député et maire de Laudun-l'Ardoise, Patrice Prat.

- photo d'archives Thierry Allard

Il y a 20 ans tout pile, le 3 décembre 2003, le Rhône connaît une importante crue, engendrant des inondations de grande ampleur. Sur la rive droite, le hameau de L'Ardoise n'a pas été épargné. Patrice Prat, qui était maire à ce moment-là, se remémore ce jour qui l'a énormément marqué.

Objectif Gard : Quels souvenirs gardez-vous de cette journée du 3 décembre 2003 ? Est-ce que vous vous attendiez à une telle crue ?

Patrice Prat : Personne n'imaginait qu'il se produise de telles inondations. De mémoire d'Ardoisiens, ils n'avaient jamais connu cela. Pourtant j'ai peut-être eu une sorte d'instinct à ce moment-là que je ne saurais expliquer. Quelques heures avant les alertes données par l'État, j'ai demandé l'évacuation de L'Ardoise. Ça a été heureux de faire ainsi. Si j'avais dû attendre les alertes officielles et de convaincre tout le monde, on aurait évacué dans le courant de la nuit avec tous les risques encourus. On a donc évacué dès la fin de la matinée, je pressentais que quelque chose de grave allait se dérouler.

Comment s'est organisée l'évacuation ?

On a dépêché nos équipes sur place. Pourtant à l'époque, les Ardoisiens n'étaient pas convaincus qu'il fallait quitter leur domicile. Pour eux, il n'y avait pas de risque majeur. J'ai un peu forcé la marche et amené des familles à mettre à l'abri leur véhicule, à trouver où dormir... On a organisé un hébergement d'urgence au Forum, le couchage, les repas, la présence de secours, de médecins... 

Il y avait beaucoup de familles ?

Oui, plusieurs dizaines. Après, la surverse a eu lieu et les derniers récalcitrants ont fini par quitter les lieux. On a mis à l'abri tout le monde à temps. Sur les points les plus importants, on avait jusqu'à 3 mètres d'eau. Je suis passé en zodiac sur le toit de la maison où j'ai vécu pendant 15 ans. Il n'y avait plus que les antennes qui dépassaient de certains toits. L'eau inondait aussi les premiers étages. Ça a été un vrai traumatisme pour la population.

Les inondations à l'Ardoise le 3 décembre 2003 • Photo MaxPPP

Pour vous aussi, on imagine ?

Oui, je pense que j'ai eu un contre-coup après cet événement. J'avais été choqué de voir mon village sous les eaux et de secourir des familles qui m'avaient tenu dans leur bras quand j'étais petit. Là, c'était moi qui les consolais, qui étais à leur côté dans cette épreuve. Les rôles se sont inversés. 

Le hameau a dû être profondément marqué...

Je pense que L'Ardoise ne s'en est jamais vraiment relevée. D'autant plus que six mois après, il y a eu un deuxième choc : la fermeture de l'usine ArcelorMittal. On a subi coup sur coup une catastrophe naturelle et un choc économique. Le L'Ardoise d'aujourd'hui n'est plus du tout celui d'hier. La population s'est sensiblement renouvelée, la précarité s'est installée. 

Surtout qu'en 2002, il y avait déjà eu des inondations...

Oui, il y avait eu des inondations à moindre mesure et par ruissellement. Ce n'était pas les mêmes caractéristiques. Là, avec la crue du Rhône, tout le village a été impacté, sauf quelques îlots un peu plus en hauteur. (...) C'est comme une sorte de cuvette. Il a fallu faire venir des pompes d'Allemagne pour évacuer à gros débit les eaux qui étaient stockées dans le hameau et qui avaient complètement noyé les habitations. Ça a duré plusieurs semaines. Pendant ce temps, il a fallu héberger les gens, alors on a fait venir des bungalows que la Mairie a pris en charge. Tout était dévasté chez eux et il fallait que les experts, que les assurances passent. 

Les inondations à l'Ardoise le 3 décembre 2003 • Photo MaxPPP

Vous rappelez-vous dans quel état d'esprit vous étiez au moment de la crise ?

J'étais totalement investi. Je ne me posais pas de questions. On n'avait pas de temps à perdre. J'ai fait du 24/24h pendant des jours. J'avais pris beaucoup sur moi pour ne pas me laisser emporter par mes propres émotions.

En plus, il y a 20 ans, on n'avait peut-être pas les mêmes moyens, pas les mêmes outils de prédiction que l'on a maintenant ?

Figurez-vous qu'après les inondations de 2002, on a été l'une des premières communes de France à se doter de l'outil Prédict. C'est quelque chose que je connais depuis des années.

Pendant cette crue 2003, les habitations ont été impactées mais aussi la zone industrielle. Quels dégâts avaient été recensés ?

L'impact dans le tissu économique a été extrêmement important. On a failli perdre un des fleurons de notre zone industrielle, qui est Owens Corning Fiberglas. Ils ont frôlé la catastrophe puisqu'ils avaient des fours en fonctionnement et qu'ils ne devaient surtout pas être en contact avec l'eau qui était en train d'arriver sur le site. Ça a été un vrai danger qui pouvait à tout moment provoquer une explosion. Il a fallu évacuer les salariés, sécuriser le site. Mais toutes les TPE et PME autour ont aussi été touchées. 

Les conséquences de cette inondation se ressentent encore aujourd'hui ?

Sur l'ancien site d'ArcelorMittal, on voit bien qu'on empêche toute revitalisation. Il avait fallu endiguer le site d'Owens Corning sinon ils menaçaient de quitter L'Ardoise. Même aujourd'hui, le développement économique est freiné avec des restrictions d'urbanisme. Cela soulève un problème pour les entreprises qui souhaitent croître sur place

Comment avez-vous organisé l'après-inondation ?

On a eu le concours du 1er REG (Régiment étranger de génie) pour assurer une sécurité des lieux. Il a été un maillon solide dans cette grande chaîne de solidarité qu'on avait organisé pour gérer au mieux cette situation de crise. (...) J'ai eu des élus très mobilisés, des agents qui n'ont pas compté leur temps et leur énergie... Des bénévoles nous ont prêté main forte. (...) Certaines familles sont ensuite revenues dans leur habitation qui ont été restaurées. D'autres ont tellement été traumatisées qu'elles ont revendu leur bien et sont parties. Il y a aussi eu beaucoup de décès à la suite de ces évènements, notamment dans des générations plus âgées, qui je pense, ont été très choquées par ce qu'il s'était passé. 

Marie Meunier

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