Publié il y a 2 mois - Mise à jour le 25.02.2024 - Anthony Maurin - 5 min  - vu 184 fois

GARD Relisez du Léo Larguier !

Léo Larguier 

Léo Larguier 

Deux rééditions d'œuvres de Léo Larguier, La curiosité et les curieux et Les dimanches de la rue Jacob sont disponibles aux éditions Plein Chant.  

Plaque naissance sur le mur de la maison natale de Léo Larguier
Plaque naissance sur le mur de la maison natale de Léo Larguier

Après Léo Larguier en quelques images qui apparaît comme le parfait complément à Léo Larguier, la volupté du rêve, tous deux signés Alain Artus, voici deux ouvrages réédités par les éditions Plein Chant. Pour en savoir plus sur le Gardois Léo Larguier, c’est par ici.

Deux ouvrages signés Léo Larguier

La curiosité et les curieux de Léo Larguier (1878-1950) débat des gens singuliers que sont les « curieux », confrérie à laquelle il appartint. Les dimanches de la rue Jacob est un livre qui décrit les rassemblements de trois amis « chineurs » autour de bons repas pour évoquer leur passion commune et échanger leurs trouvailles, leurs espérances de découvrir un jour un improbable oiseau rare.

D’abord, la curiosité. Écrivain oublié et à redécouvrir Léo Larguier fut l’un des rares auteurs à décrire et encourager la recherche des « curiosités » : peintures, livres ou objets, vestiges d’un passé laissé-pour-compte, chez les brocanteurs, sur les marchés aux puces et dans les salles de ventes. Il prolonge ici les travaux d’Edmond Bonnaffé dont un livre précédent avait présenté l’étude de ce phénomène depuis l’antiquité romaine jusqu’à la veille de la Révolution. Ces « curieux » sont habités de la même folle passion que les pourvoyeurs des musées. Il plaide pour la démocratisation de la « chine » et la recherche de la beauté sous ses formes les plus humbles, qui n’en sont pas moins porteuses de sens, pas moins parlantes ni moins riches en éclairages sur notre histoire la plus lointaine, sur nos racines. Et il fait cela fait dans une belle langue, fleurie, poétique, vivante, propre à susciter bien des vocations.

La maison natale de Léo Larguier à La Grand-Combe
La maison natale de Léo Larguier à La Grand-Combe.

Dans Mes vingts ans et moi, paru en 1944, il donna, entre autres, ce long passage écrit avant la guerre. « Je n’aime que mon siècle natal ; je suis un homme des [années] 1800 ; ma jeunesse fut celle d’un étudiant sous Louis-Philippe ou Napoléon III. Jusqu’à quarante-cinq ans j’ai écrit à la clarté d’une lampe à pétrole qui existe encore dans un de ces recoins où l’on oublie sous la poussière les choses que l’on ne se décide pas à jeter et qui sont les accessoires abandon- nés d’une époque disparue. »

« La jeunesse actuelle [1939], avec sa turbulence, son irrespect, son goût exagéré des exercices physiques ne me choque pas outre mesure parce qu’elle est la jeunesse, mais moi qui, à vingt ans, avais le vague christianisme de Lamartine, l’idéalisme de Lamennais et de Michelet, je sais, hélas ! ce que cache d’angoisse et d’incertitude le tumulte de ces enfants qui me tiennent pour un vieil homme, fiers de ce qui m’importune et ne sachant comment s’arranger pour vivre dans ce siècle qui en est presque à son milieu et où l’on ne trouverait d’un peu solides que les ruines du mien. Ce qui désole mes semblables me ravit. »

Léo Larguier rappelle qu’il adore l’hiver, les journées courtes, le ciel gris, la pluie aux vitres et croit que nul n’a jamais été plus seul qu’il ne peut l’être. Le passé a sur lui un tel pouvoir que la vieillesse commençante qui navre les humains ne lui déplaît pas.

Plus tard dans le même ouvrage, il poursuit. « Cher XIXe siècle qui s’acheva, selon l’almanach, quand j’entrai dans ma vingt et unième année, mais qui, en réalité, dura jusqu’en 1914. Je le quittai le 1er août ; j’en sortis dans un vieux fiacre dont le cheval semblait fourbu et dont le cocher, avec son haut chapeau de cuir verni, avait l’air d’un croque-mort. Il descendit la rue Soufflot où j’habitais alors et me conduisit à la gare de Lyon, avec mon bagage de soldat, au déclin doré de cette admirable et tragique journée d’été... »

Quand il revint en 1919, au début de l’hiver, une époque nouvelle commençait. Ribote et tumulte pouvaient paraître naturels dans la joie de la paix retrouvée qu’à l’époque, tout le monde croyait définitive, après ces quatre inhumaines années.

Le manuscrit de Leo Larguier de "Mes 20 ans et Moi"
Le manuscrit de Leo Larguier de "Mes 20 ans et Moi."

« Ce n’était, hélas, que le désordre d’un temps qui a perdu ses dieux [...] et qui ne connaît pas ceux qu’il adorera. Ayant gardé ceux de mon siècle natal, j’avais deux refuges : la poésie et l’amour des choses anciennes... »

Cette profession de foi va dans le sens de ce livre piquant qui est un peu un manuel historique et pratique de « l’amateur de petites resssources ».

Les dimanches de la rue Jacob

Les dimanches de la rue Jacob rassemblent trois amis « chineurs » autour de bons repas pour évoquer leur passion commune et échanger leurs trouvailles, leurs espérances de découvrir un jour un improbable oiseau rare. Ils évoquent aussi leurs coups de cœur littéraires et l’un d’eux fait la lecture de ses travaux en cours de composition. Amour de la beauté partagé entre des gens simples et sans histoire que Larguier rend attachants en leur faisant transmettre un savoir soutenu par une érudition de bon aloi qui ressuscite les charmes oubliés d’un passé pas si lointain, demeuré vivant à leurs yeux.

Léo Larguier a fait son tour du monde en 80 livres. Ce monde, ainsi qu’il l’expose, a été pour lui plus ou moins réduit au temps de sa jeunesse, avant la Grande Guerre où il est entré à 36 ans. De retour à 41 ans il s’est lancé dans une nouvelle période de son œuvre, qui avait été inaugurée par huit livres de poésie et de théâtre. Cette nouvelle époque verra, entre autres, la parution d’excellents ouvrages sur la peinture, le vieux Paris, l’antiquaille et la bouquinerie, avec une tendresse particulière pour la chine en plein vent, les boutiques négligées des brocanteurs, les cafés voisins d’habitués ou proches des salles de ventes, et pour les fameux « amateurs de petites ressources », ainsi que Larguier se définissait lui-même.

Léo Larguier, son buste devant le lycée Léo Larguier à La Grand-Combe (photo Wikicommuns).
Léo Larguier, son buste devant le lycée Léo Larguier à La Grand-Combe (photo Wikicommuns).

Léo Larguier a accumulé principalement un très grand nombre d’ouvrages et de tableaux anciens. Après sa mort, une première vente de livres a eu lieu en 1951. Sa fille avait conservé telles les collections de la rue Saint-Benoît où il habitait, mais suite à son propre décès, une seconde vente, plus « généraliste » s’est tenue en 2006.

Les catalogues de ces ventes montrent, de la part de Larguier, des choix pertinents dans les domaines littéraires et artistiques qui étaient les siens. Les quelques photographies prises dans son intérieur, ou les reproductions du second catalogue, représen- tent des rayonnages de livres anciens bien reliés, des objets, des meubles et des tableaux de belle qualité. Larguier n’avait certes pas fait d’acquisitions de premier plan. Il achetait en fonction de moyens restreints. Mais il y a des œuvres de second choix d’un grand intérêt, qui souvent ne sont ainsi classées que par la méconnaissance générale qui les recouvre et par les « cotes » qu’elles n’atteignent pas.

La plaque en hommage à Léo Larguier au 5 rue Saint-Benoît à Paris dans le 6e
La plaque en hommage à Léo Larguier au 5 rue Saint-Benoît à Paris dans le 6e

Celles-là sont la chance des chineurs modestes et il est arrivé bien souvent que, des années après leur achat, elles se hissent au premier rang. Il en fut presque ainsi, par exemple, pour la reconnaissance du paysagiste Georges Michel (1763-1843) dont Larguier rechercha les travaux, en identifia un bon nombre et en établit la nomenclature agrémentée d’une biographie bienveillante qui rend cet artiste attachant. On pense à Thoré-Bürger, critique d’art du XIXe siècle, qui « inventa » Vermeer. Si le peintre est chez Larguier moins illustre, la démarche est la même.

Côté livres, Larguier possédait nombre d’éditions originales d’auteurs anciens ou célèbres. Mais sa vie ne fut pas si facile qu’elle peut apparaître. Il dut s’astreindre longtemps à des travaux alimentaires, et seule son élection à l’Académie Goncourt, en 1936, put lui offrir pour un temps, dans les dernières années de sa vie, une plus large audience en tant qu’écrivain...

Léo Larguier, de l’Académie Goncourt, La curiosité et les curieux, 176pages, 16 bois gravés de Nick-Petrelli, 12 illustrations, notice biographique, bibliographie. Prix public à 18 euros.

Léo Larguier, Les dimanches de la rue Jacob, 192 pages, 12 illustrations, notice, bibliographie. Prix public à 18 euros.

Anthony Maurin

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