Publié il y a 2 ans - Mise à jour le 19.03.2022 - pierre-havez - 4 min  - vu 686 fois

AU PALAIS « Égorger, étrangler, saigner : il faudrait savoir ! »

Le palais de justice de Nîmes (Photo Anthony Maurin).

Une simple partie de football sur la place du village de Montfrin dégénère en menaces de « brûler la maison » du maire du village et « d’égorger » une policière municipale, le 13 avril dernier. Près d’un an plus tard, le profil du prévenu inquiète toujours le tribunal.

Le 13 avril 2021, alors qu’elle voit un groupe jouer au foot sur la place du village de Montfrin - ce qui est interdit par un arrêté municipal -, une policière municipale vient confisquer le ballon des jeunes joueurs. Mais soudain, Youssef, qui ne participait pourtant pas à la partie, se rue sur elle en la menaçant « la crever » à plusieurs reprises. Apeurée, la policière, saisit son arme, puis finit par se cacher derrière le premier adjoint, arrivé entre-temps en voiture sur la place, afin d’échapper à son agresseur.

« Je suis connu pour des incendies pas des violences »

En détention depuis le mois de janvier 2022 pour d’autres faits de vols et de dégradations, le jeune homme de 27 ans, doudoune et barbe noire, cheveux en bataille, se justifie dans le box des détenus du tribunal judiciaire de Nîmes, lundi 14 mars 2022. « Elle m’a dit qu’elle m’avait à l’œil et a mis la main sur son arme : j’ai eu peur, se défend Youssef, en haussant les épaules. Mais je n’ai jamais menacé de l’étrangler, ni de mettre le feu à la maison du maire ! »

La présidente Elodie Dumas tente bien de comprendre pourquoi Youssef s’est approché de la policière, d’une manière aussi agressive. « Vous savez, quand vous avez une arme devant vous, soit vous reculez, soit vous faîtes face !, reprend Youssef, avec un petit sourire en coin. Moi, je sais pas de quoi elle est capable. »

La juge tique. « Mais tout se passait bien avant que vous arriviez ? », s’étonne-t-elle. « Je suis juste arrivé au mauvais endroit, au mauvais moment, rétorque le prévenu, bravache. Je suis connu pour des faits d’incendie, on va dire euh… volontaire. Mais pas pour violences. Je ne comprends pas pourquoi ils ont eu peur de moi. »

« J’étais schizophrène et maintenant bipolaire »

L’expert psychiatre a établi que le jeune homme était bipolaire. Or, ce jour-là, il n’avait pas pris son traitement. « On va dire ça, oui. Au début j’étais schizophrène et maintenant bipolaire. Mais je ne vais pas me diagnostiquer moi-même !, semble toujours s’amuser Youssef. Je m’énerve vite depuis tout petit, mais j’arrive quand même à être calme sans traitement. »

La présidente l’interroge justement sur cet oubli. « C’était le ramadan, donc comme j’étais interdit de manger, je n’avais pas pris mes médicaments. Je suis religieux, moi », rétorque le prévenu.

La juge lève à nouveau les sourcils. « Votre religion vous interdit de prendre aussi des médicaments ? », demande Elodie Dumas. Le jeune marque une hésitation. « Comment vous expliquer…, hésite-t-il. Si vous êtes vraiment malade, non. Mais pour ma bipolarité, si je prends mes médicaments le soir ou le matin, ça ne change pas grand-chose. »

« Ici, je n’ose pas monsieur le procureur… »

Le procureur prend le relais. « Vous contestez donc les menaces mais pas les insultes. Quelles étaient-elles ? », veut savoir Vincent Edel. Le prévenu se fait timide. « Ici, je n’ose pas monsieur le procureur… ». Le magistrat insiste, un brin provoquant. Youssef se lâche. « Bon, et bien, des insultes comme "va te faire enculer", "tu vas faire quoi !", etc., finit-il par énumérer, en souriant. La vérité, je sais que ça ne se fait pas ! Je les ai insultés, c’est vrai. Mais les menaces de mort et d’incendie de la maison du maire, ils l’ont rajouté ! »

« Elle n’a pas repris sa tenue de policière »

L’avocate de la policière décrit les graves conséquences de cette scène pour sa cliente. « C’est une policière d’expérience : elle sait gérer et calmer le jeu. Qu’on la traite de conasse, à la limite, ça ne l’effraie pas, mais celui-ci dépasse toutes les limites. Les menaces de mort c’est une autre dimension. Elle est choquée, elle a senti sa vie menacée, alors qu’elle travaille à 200 m de chez lui, explique Laure Mattler. Depuis les faits, elle n’a pas repris sa tenue de policière. Elle n’a plus le courage de retourner sur le terrain. Elle suit des soins psychiatriques et d’ostéopathie et il n’est pas certain qu’elle puisse reprendre son travail un jour… »

Le procureur requiert 12 mois d’emprisonnement, dont 6 avec sursis, contre Youssef, ainsi qu’une interdiction d’entrer en contact avec sa victime et une obligation de soin. L’avocate du prévenu tente de réduire la peine. « Concernant ces menaces de mort, ce qui interpelle c’est que ce ne sont jamais les mêmes en fonction des témoins. Égorger, étrangler, saigner : il faudrait savoir ! », pointe Lauriane Dillenseger.

Youssef a le dernier mot. « Le lendemain après-midi, je m’étais excusé devant le maire, et je lui avais assuré que je n’aurais rien fait de ce que j’avais peut-être dit, lâche-t-il maladroitement avant d’essayer de se rattraper. Ou pas dit ! Parce que moi je ne pense pas l’avoir fait. Il m’avait répondu que c’était oublié, alors là, je me sens un peu… baisé, madame le juge ! » Youssef est condamné à 8 mois d’emprisonnement, dont 4 avec sursis. Il devra suivre des soins et ne pas entrer en contact avec la policière.

Pierre Havez

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