FAIT DU SOIR Le préfet fait son état des lieux du monde viticole
Rendez-vous était pris en fin de vendanges. Le nouveau préfet du Gard, Jérôme Bonet, est allé à la rencontre du monde vigneron du Gard dans un département agricole aux nombreuses problématiques. C’est en Vaunage qu’il a tenu à vérifier l’état actuel de cet univers taiseux.
Au domaine de l’Escattes, à Calvisson, d’abord, puis à la cave coopérative d’Aspères. « Les parents du préfet étaient agriculteurs, horticulteurs il me semble. On peut parler avec lui sereinement, ce n’est pas un énarque. Il nous comprend et il connaît la souffrance agricole », lâche un participant lors de cette visite préfectorale.
Christophe Groppi, animateur territorial de l’antenne gardoise des vignerons coopérateurs, présente : « L’objectif de cette journée est de faire connaissance et de faire connaître la filière et ses difficultés au préfet du Gard. Même s’il reste environ deux semaines de vendanges dans certains secteurs, on peut anticiper et présenter ce que l’on sait actuellement de la récolte 2023. »
Une année normale dans le Gard représente 3,2 millions d’hectolitres, mais il faudrait plutôt compter sur 3 cette année. « On va peiner à arriver à trois mais peut-être… En tout cas nous augmenterons sans doute de 5 % nos chiffres par rapport à 2022 qui n’était pas une bonne année. Sur le bassin Languedoc-Roussillon, nous prévoyons 12,6 millions d’hectolitres habituellement et nous devrions en sortir moins de 11 cette année… », poursuit Christophe Groppi.
Le premier souci pour la production de vin demeure le climat avec la sècheresse en premier lieu. Heureusement qu’il a plu en mai et juin, mais il a aussi grêlé fin mai et le coup de canicule d’août a visiblement fait du mal… « Toute la frange ouest du Gard a été impactée et on parle de -20 à -30 % de perte. Après la sècheresse est venu le mildiou ! Le grenache a un peu résisté par endroits mais nous restons sensibles à cette maladie car nous avons changé notre manière de produire du vin. Nous n’utilisons plus de produits qui pénètrent le sol dont nous traitons en surface des feuilles et quand il pleut ça rince et on perd les effets. »
Premier à parler pour les vignerons, le propriétaire de domaine de l’Escattes à Calvisson. Situés au creux d’une petite vallée au cœur de la garrigue, le domaine et les vignes sont implantés à flanc de coteaux sur un sol argilo-calcaire caillouteux, et jouissent d’un ensoleillement idéal. Par ailleurs, le Domaine bénéficie d’un micro-climat frais pour la région, du fait de la présence de sources et d’écoulements souterrains.
François Robelin a repris le Domaine que son père avait acquis en 1978 en 2009 et l’a orienté vers l’Agriculture biologique en 2010. Tous les vins sont en effet certifiés AB depuis 2013.
« Nous produisons des vins sur l’AOC Languedoc Sommières, sur l’AOC Languedoc ainsi que des IGP Gard. Nous sommes sur 22 hectares d’un seul tenant et nous avons connu un fort épisode de grêle en mai. Habituellement je récolte 800 hectolitres mais cette année on sera à 270 ! »
François a dû sacrifier une cuvée de blanc. Pourtant, il cultive ce genre de cépages sur quatre hectares… « On doit aller directement vers ce que l’on est sûr de vendre ! La grêle, bien sûr, mais aussi la sècheresse ont impacté la production. Je suis assuré contre la grêle mais pas le climat car je suis toujours passé entre les gouttes. On va revenir à ces cépages languedociens qui sont dans nos cahiers des charges, qui sont plus résistants mais qui ont été abandonnés au fil du temps. »
Les enjeux d’aujourd’hui et de demain pour le domaine de l’Escattes ? Le climat, forcément, mais aussi le coût de l’électricité, du gasoil, de l’énergie dans sa globalité font énormément de mal. « Nous devons, pour survivre, arriver à valoriser notre terroir, comme le Pic-Saint-Loup a pu le faire », espère François Robelin.
Invitée à parler de tout cela, la présidente de la chambre d’agriculture, Magali Saumade, évoque ces problématiques. « Cette année, on perd du volume de production à cause des conditions climatiques. Heureusement, la qualité semble être au rendez-vous. Dans le même temps il y a une crise structurelle du secteur viticole et la chambre travaille à accompagner les viticulteurs gardois dans l’évolution de leurs pratiques en faisant remonter les difficultés rencontrées afin d’assurer une bonne transition face à la crise. Il faudra faire du sur-mesure pour aider. »
Le vin se vend de moins en moins, on n’éduque plus les jeunes à boire correctement le sang de la terre et on ne les instruit même plus sur les bienfaits de la culture de la vigne dans un département aussi prompt à s’enflammer que le Gard. L’entretien des paysages, la culture raisonnée, l’emploi et l’économie de la terre… « On devrait peut-être aussi penser à faire un vin différent, à la manière de ce que proposent les Bordelais avec des bulles et moins fort en alcool. Je suis une fervente du commerce local, notre vin doit avant tout se boire en local mais pour cela il faut éduquer les gens à le boire », pense à haute voix la présidente Saumade.
Anthony Bafoil, président du Comité territorial gardois des vignerons coopérateurs d’Occitanie, en dit plus sur l’actualité. « Les vendanges dans le Gard sont réellement hétéroclites entre les aléas climatiques, la grêle et la canicule mêlées à la sècheresse, certaines exploitations sont en danger car 2021 a été une mauvaise récolte et 2022 pas terrible… »
Quand on n’est pas là, d’autres les remplacent. Reconquérir un marché demande de lourds efforts, de ceux que ne peuvent plus tenter ces exploitations meurtries.
Anthony Bafoil ajoute : « Nous demandons au préfet plusieurs choses qu’il devrait faire remonter. Pour qu’on passe le cap il nous faut un apport de trésorerie via une aide de l’État. Nous ne voulons pas payer la taxe foncière, nous voulons des aides MSA et des années blanches pour les crédits en cours. Nous voulons aussi que l’État et les Régions paient ce qu’ils nous doivent, notamment les primes de restructuration qui n’ont pas encore été perçues. »
Il faut tout de même savoir que pour survivre avec un salaire digne du Smic, une exploitation doit sortir de quoi être rémunérée à hauteur de 5 500 euros par hectare… Cette année encore, en France, trois millions d’hectolitres de vin devraient partir en distillation car il n’y a pas assez de débouché.
« Je suis encore dans la phase où je découvre. Cette visite est une tradition et je veux comprendre tous les aspects de la vie de ce département donc je viens avec plaisir. Il suffit de se promener sur les routes du Gard pour comprendre la place prise par l’agriculture et la viticulture ici ! Je veux aider, capter et faire remonter les difficultés rencontrées. J’ai grandi sur une exploitation agricole et j’ai déjà entendu ce que j’entends aujourd’hui quand j’étais petit. La France est une terre agricole, je veux canaliser, le cas échéant, les inquiétudes. J’entends les demandes, certaines choses sont entre mes mains mais de nombreuses autres se décident en national. Il est important pour moi d’avoir la meilleure lecture possible de ce secteur », note avec une certaine humilité le préfet Jérôme Bonet.
C’est du côté de la cave coopérative d’Aspères, la SCA Les Vignerons du Sommiérois que la visite se poursuit. Le président, Régis Combernoux, annonce quelques chiffres. « À la cave d’Aspères nous sommes à 50 % en bio. Sur nos 700 hectares, nous travaillons avec une cinquantaine de coopérateurs qui se trouvent au sud de Sommières, à l’ouest jusqu’à Campagne dans l’Hérault mais nous travaillons aussi sur Fontanès. »
La production est vendue pour ses 2/3 en négoce, le dernier tiers en vente directe. 800 000 bouteilles et 50 000 bibs sortent d’ici avec plus de soixante sélections différentes. Le handicap 2023 ? « L’électricité a été multipliée par cinq sur notre autre cave, à Campagne… En plus du climat qui nous fait du mal, nos coûts de production sont trop élevés par rapport au marché. »
Autre exemple de restructuration, la création en 2015 d’un hangar pour stocker le vin embouteillé a coûté 570 000 euros. Sauf que… « Entre le dépôt du permis et la construction, les normes incendies ont changé et on a pris 20 000 euros de plus pour ignifuger les poutres métalliques. Nous avons un autre hangar construit ailleurs car nous ne pouvons pas stocker les matières sèches à la cave. Par chance celui-là a été grandement financé par France AgriMer ! »
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