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Publié il y a 9 mois - Mise à jour le 03.09.2024 - Sabrina Ranvier - 6 min  - vu 457 fois

LE DOSSIER « Certains élèves arrivent au lycée de Kinshasa avec une escorte »

Cédric Georges et Alexandra Solacroup avec leurs deux enfants Tolsane et Tahi.

- © collection privée Alexandra Solacroup

Éric Poujade, professeur d’histoire-géographie, a horreur de l’immobilisme. Actuellement en poste en République Démocratique du Congo (RDC), il a exercé en Corée du Sud, à Jakarta, en Martinique et au Vigan.

Le ton de la voix est enjoué, sympathique. Puis le flux de paroles se coupe, un bref instant. « J’ai un vol de perroquets du Gabon face à moi », explique Éric Poujade. Après dix ans passés à la cité scolaire André-Chamson du Vigan, ce professeur d’histoire-géographie a rejoint l’an dernier le lycée français de Kinshasa, en RDC. L’établissement accueille environ 1 200 élèves de la maternelle à la terminale.

« On a refusé 534 élèves cette année, indique-t-il. Pourtant les frais de scolarité tournent entre 6 000 et 8 000 dollars l’année, dans un pays où le salaire minimal est de 80 centimes d’euros par jour ». Mais qui s’inscrit là-bas ?

« La moitié des enfants des membres du gouvernement et de l’armée sont scolarisés là-bas », répond ce quadragénaire. Il voit arriver des élèves avec limousine et chauffeur. « Certains ont même une escorte », précise-t-il.

Là-bas, pas de place à l’ennui. Entre le 8 décembre 2023 et mi-janvier 2024, le lycée a basculé en enseignement à distance. Le climat était tendu dans le pays à cause des élections présidentielles. « Les trois écoles internationales ont fermé. On a fait du télétravail depuis la France. Certains élèves étaient en vacances de Noël à Los Angeles, aux Seychelles, se souvient Éric. Les collègues qui sont au lycée depuis 1997 te disent qu’il ferme une semaine par an pour cause de sécurité ».

Éric Poujade avait plusieurs propositions de contrat d'enseignement à l'étranger. Il a choisi le lycée français de Kinshasa qui lui proposait un logement de fonction sécurisé. • © Collection privée Eric Poujade

Fuir l’immobilisme

Ce natif de Mèze, dans l’Hérault, a débuté sa carrière à côté de Saint-Étienne, avant d’être muté au collège gardois de Pont-Saint-Esprit. Le jour du départ en retraite d’un collègue, il a un déclic : « Certains professeurs étaient des anciens élèves du collège et y avaient passé toute leur carrière comme enseignants. » Rester 40 ans au même endroit ? Horreur-malheur. Il part un an en Martinique puis revient comme remplaçant à Béziers. « Au moment où je devais être muté dans le lycée le plus demandé de la ville, la mission laïque française m’a proposé un poste en Corée du Sud », raconte-t-il. Eurocopter y développe des hélicoptères de transport de troupe et veut monter une école pour attirer des techniciens français. La mission laïque loue les services d’Éric à une école d’entreprises d’une douzaine d’élèves. Au bout de deux ans, il ne reste plus que des ingénieurs célibataires chez Eurocopter, l’école ferme.

De Jakarta au Vigan

Éric, qui a eu le coup de foudre pour l’Asie, enchaîne sur un poste au lycée français de Jakarta en Indonésie, géré par l’AEFE. « Lors de l’entretien que j’ai eu avec la proviseure, elle m’a dit que beaucoup de collègues s’étaient perdus dans la nuit, l’alcool », sourit Éric. Lui ne se perd pas et y passe même les « trois plus belles années » de sa carrière à l’étranger : « C’est un pays et une population fantastique. » Il y reste 3 ans puis postule pour l’ouverture de la section euro anglais à la cité scolaire du Vigan. Requête acceptée. « J’avais été le seul à demander le poste », éclate-t-il de rire. Il passe sans transition d’une ville de 14 millions d’habitants « hyper polluée, hyper bruyante » au Vigan, paisible bourgade cévenole de 3 700 habitants. Il s’épanouit, est élu conseiller municipal. Lorsque le gouvernement décide d’allonger la durée de cotisation pour les retraites, sa phobie de l’immobilisme se ravive. Il a plusieurs propositions à l’étranger et choisit le lycée français de Kinshasa. Il signe un contrat de trois ans, renouvelable une fois, mais conserve son appartement viganais et son mandat municipal. Il a un projet pour cette nouvelle année scolaire : organiser un voyage en Occitanie pour ses élèves de Kinshasa. Il aimerait leur montrer le mémorial de Rivesaltes, Carcassonne, Nîmes et l’Aigoual bien sûr.

 

« On a fait la demande 4 fois avant de pouvoir partir à Tahiti »

La rentrée est de l'histoire ancienne pour Alexandra Solacroup et Cédric Georges. Ce couple de Sernhac a repris les cours mi-août. Ils enseignent en Polynésie, à une quinzaine de km de Teahupo'o où ont été disputés les épreuves de surf des Jeux olympiques.

L’heure de l’interview a été soigneusement calculée : 8h30 heure de métropole, ce qui correspond à 20h30 sur la presqu’île de Tahiti. Quand Alexandra Solacroup décroche son téléphone dans cet archipel du Pacifique, elle fait face à la nuit noire. En été, le soleil se couche avant 18h. « Les cours au lycée commencent à 7 h le matin », explique cette ancienne professeure du lycée nîmois Mistral. Tout le monde dîne à 16-17h. Ici, professeurs et élèves n’ont qu’un seul mois de vacances en été. Ils ont droit à un autre mois complet de congés en hiver.

Quatre demandes avant d’obtenir un poste

Alexandra est native du Gers. Cédric Georges est originaire de la Creuse. Tous deux ont exercé 17 ans dans le Gard. Alexandra enseignait le français/histoire géographie à Mistral. Cédric a été 10 ans professeur d’aménagement-finition pour les futurs peintres au lycée Mistral et 10 ans, enseignant dans les SEGPA des collèges Diderot et Condorcet. Il connaissait le Pacifique. Il a vécu quatre ans à Wallis-et-Futuna, lorsque son père était parti enseigner dans cet archipel. En 2010, Alexandra et Cédric font une première demande de mise à disposition. Refusée. Alexandra ne peut renouveler ce vœu de mise à disposition en 2011 à cause d’un cancer. Elle se soigne, attend cinq ans. Leurs deux enfants, Tolsane et Tahi, sont partants. En 2018, le couple postule à nouveau, se fait refouler puis s’obstine. La bonne nouvelle tombe le 6 mars 2021 : ils sont affectés au lycée Taiarapu Nui de Taravao sur la presqu’île de Tahiti, à 1h de route de Papeete, la très embouteillée capitale.

Solidarité et bienveillance

À leur arrivée le 21 juillet 2021, un comité d’accueil avec musique, colliers de fleurs les attend. L’émotion perce dans la voix d’Alexandra : « Je ne sais pas combien il y avait de voitures. » La famille est logée, on lui prête un véhicule. Cet accueil est le « cadeau » du père d’un de ses anciens élèves de Mistral, un militaire polynésien qui avait été affecté à Nîmes. « On a été invité à des cérémonies, des mariages, des veillées pour des enterrements, énumère Alexandra. Les Polynésiens parlent du Mana, on pourrait traduire cela par l’esprit. Soit il t’accepte ou pas ».

Vie chère et indexation

Elle l’assure, quand les Polynésiens sentent que les gens viennent pour l’argent, ils les mettent à l’écart. « Sur Tahiti et Mooréa, tous les enseignants, qu’ils soient natifs de métropole ou de Polynésie ont un salaire indexé de 1,84 », explique Alexandra. Nourriture, loyer, électricité, accès à Internet… le coût de la vie est très cher sur cet archipel du Pacifique qui a largement recours aux importations. « Tahiti est un pays d’outre-mer. Le pouvoir est partagé entre l’État français et le gouvernement local. Il n’y a pas de CAF, pas de France emploi, pas de RSA ici. On a des élèves qui vivent dans des maisons sans porte, ni fenêtre », dépeint-elle.

Cédric et Alexandra sont affectés dans un lycée de 1 000 élèves. Comme à Mistral, Alexandra enseigne les matières générales à des élèves qui suivent des formations professionnelles de peinture, de maçonnerie. Mais elle a aussi une classe de filles en bac pro accompagnement, soins et services à la personne. « C’était ma hantise car à Mistral, je n’avais eu que des classes de garçons avec quelques filles, sourit Alexandra. Mais elles sont supers ».

Alexandra Solacroup (à gauche) et Cédric Georges avec leurs élèves du lycée Tairapu Nui en tenue traditionnelle.  • © Collection privée Alexandra Solacroup

Ne pas se faire insulter sur sa tenue

Elle estime que les gens sont plus bienveillants qu’en métropole. « Un ado reste un ado qui répond mais il y a le respect de l’adulte dans l’éducation », assure-t-elle. Tout le monde tutoie tout le monde. Les classes sociales se mélangent : « Cédric s’est retrouvé un jour à bringuer avec guitares, ukulélé et percussions avec le maire, le capitaine du port autonome et le voisin qui n’a pas de boulot. » Eux accueillent parfois à la maison, avec l’accord de leurs parents, des élèves de l’internat venus des îles Marquises : « Ils ne rentrent chez eux que deux fois par an car c’est très cher de voyager là-bas. » Alexandra pratique la danse traditionnelle avec Tolsane, leur fille aînée de 17 ans. L'enseignante savoure cet archipel où on ne stigmatise pas les gens sur leur physique : « Ici, les garçons n’insultent pas les filles sur leurs tenues. Pour les danses d’oritahiti, tous les corps sont sur scène, sans que cela ne pose le moindre problème. »

La famille ne pourra pas s’installer à Tahiti. La durée de contrat des enseignants venus de métropole est limitée à quatre ans. En 2025, Cédric, Alexandra et leurs enfants devront faire leurs bagages. Ils ont conservé leur maison à Sernhac. Mais pour l’année scolaire 2025-2026, Alexandra évoque plutôt une demande vers la Guyane ou la Martinique. Pour Cédric qui a éparpillé les cendres de son père dans le Pacifique, imaginer la suite est difficile. Tous deux invitent les candidats à l’expatriation à venir « avec les bagages vides » afin de profiter au maximum des Polynésiens.

Sabrina Ranvier

Gard

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