Publié il y a 7 mois - Mise à jour le 23.02.2024 - Propos recueillis par Maxence Sauret - 4 min  - vu 527 fois

L’INTERVIEW Jonathan Bordes, infirmier libéral à Pujaut : “On veut juste avoir le moyens de soigner nos patients”

Diplômé de l’Institut de Formation en Soins Infirmiers (IFSI) du centre hospitalier Alès-Cévennes en 2008, Jonathan Borde travaille deux ans en réanimation au CHU Carémeau de Nîmes avant de devenir infirmier libéral. Aujourd’hui, il collabore avec deux autres infirmiers dans un cabinet à Pujaut.

- Jonathan Borde

Suite aux manifestations et opérations escargots des infirmiers libéraux à Nîmes le week-end dernier, Jonathan Borde, infirmier libéral à Pujaut, revient sur les conditions de travail de son métier et des problèmes majeurs que rencontrent les professionnels de la santé.

Objectif Gard : Les hôpitaux sont de plus en plus en tension depuis, et même avant, le covid. Comment votre métier est-il affecté par ces tensions ?

Jonathan Borde : Le covid a juste révélé le problème hospitalier, mais ça fait plus de 20 ans qu’il existe. On a une population de plus en plus importante, mais aussi de plus en plus médicalisée. Ce qu’on ne voit pas, c’est que le covid a fermé des lits. Au CHU Carémeau à Nîmes, avant le covid il y avait un service dermatologie, qui a été réquisitionné pour la pandémie, mais dès que ça a été fini, ils ont fermé le service. 20 lits en moins.

Pensez-vous que les infirmiers libéraux doivent compenser la surcharge des hôpitaux ?

Ce n’est même plus à nous, mais au patient de compenser. On est arrivé à un stade ou la médecine hospitalière n’arrive plus à gérer l’afflux de patients, donc on essaye de tamponner par la médecine de ville. Le souci, c’est qu’on est en manque de médecin, en manque de soignant. Aujourd’hui, on se retrouve avec plus de personnes qui n’ont plus l’accès au soin, que l’inverse. Le système est surchargé. Il a fait les vases communicants pendant un moment, mais là, il n’y a plus de vase. C’est une inondation complète.

"On a voulu me planter une fourche dans le ventre"

Comment cette surcharge se retranscrit-elle dans votre travail ?

Bizarrement, on a moins de patients, mais ils ont des traitements de plus en plus complexes. La quantité de travail baisse, pas parce qu’il y a moins de patients, mais parce qu’ils n’ont pas accès au médecin traitant. Nous, on les récupère six mois après, alors qu’ils auraient dû avoir des soins depuis beaucoup plus longtemps. On a une dégradation totale du système de santé, qui est quasiment effondré. En plus, il y a un gros manque de coopération entre le public et le privé, qui renforce cet effondrement. Les centres hospitaliers ont une obligation d’accueil, les cliniques non. Les urgences sont devenues catastrophiques.

Le problème principal est-il le salaire ?

C’est réducteur de penser que notre profession va mal juste à cause du salaire. On a peu de considération. Quand j’ai commencé, la blouse blanche était respectée. Aujourd’hui, la violence et l’agressivité de certains patients sont devenues monnaie courante. Se faire insulter, ça fait partie de notre quotidien. Aux urgences, ça fait déjà un moment, mais maintenant ça arrive même à domicile. Je me suis fait menacer, on a voulu me planter une fourche dans le ventre. Parce que j’ai protégé une mamie qui se faisait maltraiter par la famille. Je suis parti en courant sinon, j’arrivais aux urgences avec la fourche dans le ventre. Je me suis déjà fait insulter parce que j’ai raté une prise de sang.

"Qui a envie de faire ce boulot ?"

Quels sont les autres points ?

On aimerait soigner les gens. Qu’on nous donne les moyens de soigner les gens. Qu’on ne nous demande pas de choisir. Quand j’étais en réanimation, on m’a dit : “on a 16 lits, deux jeunes entrent, sur les 16 lits, il faut en sortir deux”. Ça, c'est la réalité du terrain, même pour nous infirmiers libéraux. Des fois, au cabinet, on est obligé de refuser des patients. On doit réfléchir en se disant : “tel patient je vais prendre une heure et demie à m’en occuper alors que je pourrais en faire plus”. Et ça m’énerve, mon métier c’est de prendre ces gens-là en charge, mais… je ne peux pas.

L’augmentation du salaire est-elle une solution ou un appât pour attirer plus de monde ?

J’ai commencé au CHU Carémeau à 1 450 € par mois. Dans un boulot où, si je me trompe d’un gramme dans une injection, je tue quelqu’un. Est-ce que c’est suffisamment payé ? Je ne pense pas. Mais à côté de ça, les gens pensent qu’on est surpayé alors qu’un chirurgien en CHU est payé 5 000 €, pour sauver des vies. À la moindre erreur, on tue quelqu’un. Les soignants ont une amplitude horaire énorme et une faible rémunération. Et là, on se dit : “Qui a envie de faire ce boulot ?” En face, il y a des PDG qui gagnent beaucoup plus alors qu'ils ont moins d'utilité et moins d’enjeux entre les mains. Donc on est sous-payés, on nous dit qu’on est utile, mais est-ce qu’on l’est encore ?

"Je ne suis pas un capitaliste de la santé. Je suis infirmier"

Vous ne vous sentez plus utile ?

On n'est pas valorisé par rapport à ce qu’on sait faire. Tous les jours, on entend qu’on est des métiers utiles, beaux et qu’on est un socle de la France parce qu’on maintient le système de soin, mais quand on voit ce qu’on nous donne… On se pose la question de savoir si c’est vrai. Avec l’augmentation des incivilités et de la violence envers nous, est-ce que c’est encore le cas ? Maintenant, on ne fait que par rapport à la rémunération, alors que la plupart de nos manifestations ne sont pas pour avoir un meilleur salaire.

Qu’est-ce que vous voulez réellement ?

Je veux vivre dignement, ce qui n’est pas trop demandé. Surtout, je veux que les gens aient accès aux soins, qu’ils puissent prendre soin d’eux. Je veux que nous puissions leur fournir des soins de qualité. Je n’ai pas envie de choisir entre deux patients, comme c’est le cas aujourd’hui. Je ne suis pas un capitaliste de la santé, je suis infirmier.

Propos recueillis par Maxence Sauret

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