Publié il y a 4 ans - Mise à jour le 10.08.2019 - philippe-gavillet-de-peney - 4 min  - vu 276 fois

FEUILLETON DE L'ÉTÉ Cinquième épisode de "L’Été de la miséricorde"

Chaque samedi de l'été, à 11h30, Objectif Gard vous donne rendez-vous avec votre saga estivale.

Le village d'Anduze (Photo DR Cévennes Tourisme)

Durant l'été, Objectif Gard vous propose de découvrir pendant huit semaines un feuilleton inédit qui se déroule au cœur du Gard ! Le cinquième épisode est à lire maintenant...

L'après-midi tirait à sa fin et Julia avait passé une bonne partie de la journée à faire un peu de ménage sommaire et à vider des cartons. Les enfants étaient en train de jouer dans le jardin et Juan avait regagné ses pénates. L'heure était venue de prendre une petite pause bien méritée. Elle ingurgita d'un trait un grand verre de citronnade glacée qui lui offrit un rafraîchissement salutaire. Le moment était venu de traverser la route pour aller saluer Marthe et Roger comme elle s'y était engagée la veille.

(Photo : Philippe Gavillet de Peney/Objectif Gard)

Reprenant les habitudes de son enfance, elle frappa à la porte et entra sans attendre de réponse. Penchée sur son antédiluvienne gazinière, Marthe était affairée à préparer le repas du soir et un délicieux fumet embaumait l'air ambiant.

« Je reconnais cette odeur !, s'exclama-t-elle avant de s'adresser à Marthe. C'est bien de la gardiane de taureau ? »

« Ah, tu t'en souviens ?, reprit la vieille femme. Quand tu étais petite, tu avais un bon coup de fourchette et tu en as avalé quelques assiettes ! »

Derrière son dos, un bruit qui ne lui était pas familier attira l'attention de Julia. Elle tourna la tête. C'était Roger qui venait de faire son apparition dans un fauteuil roulant duquel dépassait un visage de clown triste, marqué par la vie et buriné au soleil cévenol. La cicatrice qui barrait son visage semblait moins effrayante à la jeune femme qu'elle ne l'était dans ses souvenirs d'enfance.

« Bonjour Roger. Tu me reconnais ? Je suis contente de te revoir , entama-t-elle. Marthe m'a dit que tu allais bien. Tant mieux... »

Un étrange sourire éclaira la trogne de Roger et ses yeux prirent d'un coup un éclat qui en disait plus long que de grands discours quant à l'intérêt que le vieil homme portait à sa visiteuse. Après avoir éructé un ou deux borborygmes quasi inaudibles, au prix d'un effort qui mobilisait toute sa concentration et une énergie qui semblait lui faire défaut, Roger réussit enfin à prononcer un « Julia » qui ne laissait aucun doute sur le fait qu'il avait bien reconnu sa jeune voisine.

« Alors Juan avait raison ! Roger sait prononcer mon prénom et il m'a reconnue ! », pensa Julia un peu estomaquée en prenant dans sa main celle du vieil homme qui s'y cramponna comme s'il tenait là la chose la plus précieuse au monde. Après trois minutes d'un pesant silence qui lui parut une éternité, Julia récupéra sa main... et ses esprits.

Témoin du trouble de la jeune femme, Marthe affecta de n'en avoir rien perçu. « Tu veux boire un verre de Cartagène (*) avec nous ? C'est le rituel du soir de Roger ? », s'enquit-elle auprès de Julia.

« Non, je te remercie mais il faut que je rentre voir ce que font mes deux vedettes. Une autre fois... Je suis là maintenant, on aura bien d'autres occasions. »

Quand elle pénétra dans sa cour, elle aperçu aussitôt Timéo et Samantha assis sur la margelle du vieux puits. « C'est drôle, pensa-t-elle. Ils font comme moi quand j'étais gosse... »

« Alors les minuscules, ça papote ? »

« Mamoune, tu sais bien que j'ai horreur que nous appelle comme ça ! », s'indigna mollement Sam.

« Bon, on rentre ! On va aller faire manger nos dents mais avant ça il faut faire la cuisine. Tournée générale ! Ratatouille et saucisse de Toulouse grillée à volonté pour tout le monde ! »

La brigade culinaire ayant fait la preuve de son efficacité et de sa célérité, une demi-heure plus tard les commensaux passaient à table. Et à peine plus de deux minutes plus tard, on tambourinait à la porte. Elle reconnu aussitôt le rythme des « tocs », « tocs » qui s'enchaînaient et la marque virilement apposée sur le bois. Juan ? Mais qu'est-ce qu'il fichait là ?

(Photo : Philippe Gavilletde Peney/Objectif Gard)

Son flair ne l'avait pas trahie et c'était en effet le beau Juan qui se tenait au chambranle. Et pas si beau que ça, à y regarder de plus près. Dégoulinant de sueur et la mèche en bataille, dans le même temps que son ego en prenait un coup, l'Hidalgo affichait la triste mine de Don Quichotte, la Rossinante en moins !

« Il est touchant ! », pensa Julia qui enchaîna : « Allez, rentre ! Ne reste pas à la porte. Qu'est-ce qui t'arrive ? »

« J'ai cassé ma voiture en roulant dans un gros trou, entama avec la pointe d'accent qui va bien le fier Ibère. J'ai réussi à la garer correctement mais elle ne peux plus rouler et le pneu est éclaté. Je me suis tapé six kilomètres à pied sous le cagnard. »

Puis prenant d'un coup le fort accent d'un frais immigré de la veille, il lâcha un : « Yé soui un pneu crevé ! ». Un jeu de mots dont il espérait secrètement qu'il aurait un effet positif sur la jolie prof.

« Bien joué ! Et en plus il est drôle ! Un Espagnol qui me fait une imitation d'un Espagnol... et il n'est pas si moche même avec sa tête de chien mouillé », se dit Julia.

(Photo : Philippe Gavillet de Peney/Objectif Gard)

« Tu vas rester manger avec nous. Hein les mioches, il reste ? ». La question de Julia ne resta pas en suspend très longtemps et les cris d’acquiescement stridents des deux compères saluaient aussitôt bruyamment l'initiative maternelle. Julia oublia sa marotte et accepta de faire supporter à ses oreilles un peu académique « Ouais ! Ouais ! Y reste ! » 

« Et y restera dormir ? », lança ingénument Sam qui avait hérité de sa mère un côté très pragmatique et organisé et calculait déjà la suite...

« Déjà , il faudra déjà demander à Y, comme tu l'appelles, ce qu'il en pense. Et ensuite qu'un de vous deux lui laisse sa chambre. Vous êtes o.k. ? Moi je n'y vois pas d'inconvénients. Je n'ai pas envie de faire de la bagnole à cette heure et moi aussi « Yé soui un pneu crevé ».

« Ce soir, il y aura un homme à la maison », cogita rapidement Julia que l'idée semblait séduire. Décidément, depuis son retour, sa vie avait pris les allures d'un tsunami qui renverse tout sur son passage. Elle ne maîtrisait plus grand chose et, au final, elle trouvait agréable de faire fonctionner son instinct et de lâcher prise. Carpe diem. Cueille le jour présent sans te soucier du lendemain. Les paroles d'Horace seraient désormais sa devise... (à suivre la semaine prochaine, même jour, même heure)

Philippe GAVILLET de PENEY

* La Cartagène est un apéritif typique du Languedoc.

Philippe Gavillet de Peney

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