Publié il y a 4 ans - Mise à jour le 02.09.2019 - philippe-gavillet-de-peney - 6 min  - vu 266 fois

FEUILLETON DE L'ÉTÉ Huitième et dernier épisode de "L’Été de la miséricorde"

Chaque samedi de l'été, à 11h30, Objectif Gard vous donne rendez-vous avec votre saga estivale.
Photo DR Cévennes Tourisme

(Photo : Philippe Gavillet de Peney/Objectif Gard)

Durant l'été, Objectif Gard vous propose de découvrir pendant huit semaines un feuilleton inédit qui se déroule au cœur du Gard ! L'épilogue est à lire maintenant...

(8e épisode)

Voilà ! Ça devait arriver un jour et Marthe le savait bien... Et l'inéluctable venait de se produire. Elle s'était faite depuis longtemps à l'idée qu'il faudrait qu'un jour la vérité se fasse jour. Ne serait-ce pour qu'elle-même puisse enfin trouver la paix intérieure et qu'elle éteigne pour toujours les remords qui hantaient ses nuits.

Triturant nerveusement ses vieilles mains caleuses percluses d'arthrite et séchées par des années de travaux ancillaires, l'aïeule ravala à grand peine sa salive et remplit d'air ses maigres poumons avant de s'adresser à Julia : « Ma Galinette. Ce que j'ai à te dire est très grave et ne regarde que toi... »

Elle n'eut pas à en rajouter. Conscient de la solennité de l'instant, Juan s'éclipsa aussitôt, laissant les deux femmes en tête-à-tête.

« Alors, vas-y, raconte », s'impatienta Julia, qui craignait le pire et ne parvenait plus à masquer son agacement.

« Ce que je vais te dire ne va pas te plaire. Pourtant il le faut ». De crainte de ne pas trouver le courage de poursuivre, Marthe préféra enchaîner très vite et entama sa confession sans jamais quitter le regard de Julia. « Voilà ! Pour commencer, ton père n'est pas ton père... »

« Mais qu'est-ce que tu racontes ! Tu as perdu la boule ! Et d'ailleurs qu'est-ce que tu veux dire par « ton père n'est pas ton père » ? Tu te doutes bien que, si !, mon père est mon père. Forcément... Je ne m’appelle pas Jésus mais Julia !  », lâcha la jeune femme passablement énervé par le propos liminaire.

« Je voulais dire par là que ton père... ce n'est pas Juvénal... »

Anduze (Photo DR Cévennes Tourisme)

La révélation laissa interdite Julia qui accusa le coup avant de se reprendre. « Si ce n'est pas Juvénal, c'est qui, alors ? »

« C'est mon frère, Roger. Je te jure que c'est la vérité ! »

Cette fois, c'était le coup de grâce. Du moins le croyait-elle... Au bord de la crise de nerfs qu'elle sentait monter en elle, Julia ricana. « C'est bien ce que je disais : tu es devenue folle ! Comment veux-tu que ma mère ait pu aimer et faire l'amour avec Roger ! Tu me racontes l'histoire de Quasimodo et d'Esméralda ! C'est ça ? Ou est-ce la Belle et la Bête ? »

« Julia ! Roger n'a pas toujours été celui que tu connais. C'était même un très beau garçon et les filles du pays étaient nombreuses à le trouver à leur goût. C'est bien ça qui a fait son malheur d'ailleurs... »

« Comment ça ? »

« Je t'ai déjà dit que Juvénal et Roger étaient amis. Ils étaient même inséparables. Ils partageaient les mêmes passions et les mêmes envies. Y compris pour ce qui concernait les femmes... »

« Et alors... »

« Alors ? Alors ils sont tous les deux tombés amoureux de ta mère. Que veux-tu... C'est un bien grand malheur... » Marthe pris une pause comme pour mieux visualiser des faits que durant des années elle s'était efforcée d'enfouir dans les tréfonds de sa mémoire. « Marie était une très belle femme. Tu tiens d'elle, ma petite. Elle a choisi Juvénal. Mais quand celui-ci s'est montré sous son mauvais jour, c'est vers Roger, en qui elle avait une confiance absolue, qu'elle s'est tournée. Et d'amicale, leur relation est devenu plus intime, si tu vois ce que je veux dire... Et un jour tu es née... »

« Cela ne prouve pas pour autant que c'est lui mon père ! », rétorqua Julia.

« Sauf que Juvénal ne pouvait pas avoir d'enfant. Il le savait mais il ne l'avait jamais dit à ta mère. Alors tu te doutes bien que quand Marie est tombée enceinte, il y a eu des problèmes... »

Bouche bée, bouleversée, Julia écoutait interloquée la genèse de sa venue au monde et de son histoire familiale. Mais le plus dur restait à venir...

« Qu'est-ce qu'il s'est passé ? »    

Marthe pris son courage à deux mains pour poursuivre : « Un soir, Juvénal a frappé ta mère comme plâtre jusqu'à ce qu'elle lui avoue toute la vérité concernant sa grossesse. Et sur le reste... Marie est allé se réfugier auprès de Roger. Mais mon frère a voulu s'expliquer avec Juvénal. Ils se sont battus comme des chiens dans cette cour. J'étais là, j'ai tout vu et ta mère aussi. On n'a pas pu les séparer tellement ils étaient enragés... Juvénal s'est emparé d'un manche de pioche qui traînait à côté du puits. Il a frappé Roger au visage et à la tête. Ils se sont empoignés à nouveau et Roger, d'un coup de poing, a accidentellement fait basculer Juvénal sur la margelle du Puits. On a entendu un gros craquement et on a vu le sang qui ruisselait de son crâne. Il ne bougeait plus et l'on a tout de suite compris qu'il était mort et qu'il n'y avait plus rien à faire pour lui... »

Centre-ville d'Anduze (Photo Tony Duret / Objectif Gard)

« Et qu'est-ce que vous avez fait ? »

Paralysée par l'angoisse, Marthe hésita : « Ta mère et moi n'avons pas beaucoup réfléchi... Sous l'effet de la panique, nous avons pris une mauvaise décision. Nous avons basculé le corps dans le puits et plus tard nous l'avons comblé avec des gravats. Ta mère a attendu quelques jours supplémentaires pour aller déclarer la disparition de Juvénal à la gendarmerie... Les gendarmes n'ont pas fait de zèle particulier. Juvénal n'avait plus de famille. Aucune enquête vraiment sérieuse n'a été diligentée et au fur et à mesure des années cette affaire est tombée dans l'oubli. Sauf pour Roger qui en a gardé des séquelles irréversibles et pour ta maman qui a fini par se pendre après des années, rongée par les remords. Pour un peu, j'aurais bien fait comme elle. Ce n'est pas l'envie qui m'a manquée mais je n'avais pas le droit. Qui se serait occupé de Roger et de toi ? »

« Et donc, les os trouvés dans le puits par le chien des touristes, ce sont ceux de Juvénal ? », interrogea Julia qui connaissait déjà la réponse.

Pour la première fois, Marthe baissa la tête. « Oui. Il est toujours là... Qu'est-ce que tu vas faire Galinette ? Tu veux que l'on prévienne les gendarmes ? »

(Photo : Philippe Gavillet de Peney/Objectif Gard)

Noyée dans une confusion d'émotions antagoniques qui s'entrechoquaient, Julia réserva un temps sa réponse. « La nuit porte conseil. Je vais réfléchir. Je ne sais pas... Va te coucher maintenant. C'est assez pour aujourd'hui. Je te dirai demain... Ne parle rien de tout ça à Juan. Tu m'entends ? »

« N'aies crainte, tu peux compter sur moi... », soupira la vieille.

Cette nuit fut la plus courte de la vie de Julia. Juan l'avait interrogée mais elle avait noyé le poisson en lui expliquant que Marthe lui avait « parlé de son père et de sa mère » sans plus de précision. Un pieu mensonge qui n'en n'était pas vraiment un...

Jusqu'à l'aube, tournant et chavirant sans cesse dans le lit où Juan dormait du sommeil du juste en laissant échapper quelques soupirs, elle se repassait en boucle la conversation avec Marthe. Le jour commençait tout juste à poindre lorsqu'elle arrêta sa décision. Prenant bien garde de ne pas réveiller Juan et les enfants, elle s'habilla à la va-vite et sortit de la maison.

Assise dans un vieux fauteuil cannelé devant sa cheminée crasseuse, enfouie sous un vaste châle qui ne laissait apparaître que son visage émacié, Marthe n'avait pas dû dormir beaucoup, elle non plus. Levant un regard inquiet vers Julia, elle lui lança un « tu veux un café ? » auquel la jeune femme acquiesça d'un hochement de tête.

Après un long silence, n'y tenant plus, Marthe relança : « Tu as décidé quelque chose ? »

Julia inspira un grand coup. « Oui. J'ai décidé d'être heureuse. J'ai décidé de ne pas subir. J'ai décidé de ne plus être une victime. De prendre mon destin en main et de ne pas attendre que les autres le fassent pour moi... »

« Qu'est-ce que ça veut dire ? »

« Ça veut dire que je ne veux pas être celle qui rajoutera du malheur au malheur. Juvénal est mort. Ma mère s'est suicidée et Roger est condamné à une vie de misère. C'est déjà beaucoup, tu ne trouves pas ? Je n'ai pas envie d'endosser le costume de la fille d'un assassin ni détériorer l'image de ma mère, la complice amoureuse victime de son bourreau de mari. La justice des hommes ne sera pas. La justice divine, elle, est déjà passée. Cet été sera l'été de la miséricorde et du pardon. Les choses resteront ce qu'elles étaient. Qu'il en soit ainsi et désormais ce sera carpe diem. »

FIN

Philippe GAVILLET de PENEY

Pour relire tous les épisodes, cliquez ICI

Philippe Gavillet de Peney

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