Publié il y a 21 h - Mise à jour le 31.07.2025 - Yannick Pons - 4 min  - vu 82 fois

CULTURE Chorégies d’Orange : La Forza del Destino, sublime opéra inachevé

Anna Pirozzi

- @C. Gromelle

C’est une soirée que le public des Chorégies d’Orange n’oubliera pas de sitôt. Le 20 juillet, malgré une météo capricieuse, La Forza del Destino de Verdi a résonné avec une intensité exceptionnelle dans les gradins du théâtre antique, jusqu’à ce que le ciel, en un geste tragiquement raccord avec le livret, vienne interrompre la représentation à la fin du troisième acte.

La représentation de La Forza del destino, donnée en co-production avec le Festival d’Aix-en-Provence, s’est ouverte sur un hommage émouvant rendu par Jean-Louis Grinda, le directeur général des Chorégies d'Orange, à Béatrice Uria-Monzon, disparue la veille. Son portrait, projeté sur le mur d’Auguste, a salué la mémoire d’une artiste qui participa à une quatorzaine de productions aux Chorégies, et dont la présence a marqué le festival.

Anna Pirozzi, sublime prière

L’orage a écourté la représentation, mais avant cela, les artistes réunis ont offert une lecture bouleversante de cette fresque verdienne. L’histoire commence au château de Calatrava, alors que Leonora, fille du marquis, s’apprête à fuir avec Don Alvaro, l’homme qu’elle aime. Mais sa culpabilité l’arrête. Dès ses premières notes, Anna Pirozzi campe une Leonora tourmentée, déchirée entre passion et remords. La soprano italienne impose immédiatement sa ligne vocale ample et son médium soyeux, capable de s’élever sans effort jusqu’aux aigus les plus éclatants.

Sa prière dans l’acte II (« La Vergine degli angeli »), son émotion contenue, soutenue par une ligne de chant d’une grande pureté, est un moment magnifique, porté par un chœur masculin à la hauteur du drame intérieur de l’héroïne. À l’inverse, dans les duos dramatiques avec Don Carlo ou Don Alvaro, elle libère une voix dense parfaitement adaptée aux exigences vocales de Verdi, dont elle connait parfaitement l’œuvre.

Anna Pirozzi libère une voix dense parfaitement adaptée aux exigences vocales de Verdi, dont elle connait parfaitement l’œuvre.     • @C. Gromelle

Don Alvaro, rejeté par la société, accidentellement meurtrier du marquis et père de Léonora, est interprété par Russell Thomas, remplaçant de dernière minute de Brian Jagde. Le ténor américain a offert au pied levé une incarnation sensible et engagée du personnage. Son air « O tu che in seno agli angeli », dans un duo expressif avec la clarinette solo, est d’une grande délicatesse.

La cécité de Don Carlo

Le frère de Leonora, Don Carlo, se lance dans une traque vengeresse. Ce rôle complexe, partagé entre haine, fierté et aveuglement, trouve un interprète remarquable en Ariunbaatar Ganbaatar. Le baryton mongol impose ici sa stature vocale et dramatique. La souplesse de sa ligne et la vérité de son incarnation font de ses duos avec Alvaro des sommets de tension dramatique.

Au cœur de cette tragédie, la spiritualité fait son apparition. Fuyant le monde, Leonora trouve refuge dans un couvent dirigé par Padre Guardiano. Michele Pertusi, figure respectée du répertoire verdien, y déploie une autorité noble, à la voix grave et pleine. Il incarne aussi, dans un tout autre registre, le marquis de Calatrava au premier acte. Alors que le public scrute le ciel qui s’assombrit.

Le rôle comique de Fra Melitone, moine ironique et maladroit, revient à Ambrogio Maestri, son art de la scène et sa puissance vocale. L’orage malheureusement empêchera sa grande scène du quatrième acte. À leurs côtés, la mezzo Maria Barakova a illuminé la scène dans le rôle de Preziosilla, bohémienne prophétique, incarnation de la légèreté face au destin tragique. Elle impose une voix charpentée, une présence vibrante, et une énergie communicative jusque dans sa tarentelle… interrompue par la pluie.

Mise en scène sobre

Enfin, les rôles secondaires sont impeccablement tenus. Rodolphe Briand, incisif Mastro Trabuco, Julie Pasturaud, Curra efficace, et Louis Morvan, doublement présent en Alcade et en chirurgien, apportent tous une densité au chœur des figures qui traversent cette fresque. La mise en espace de Jean-Louis Grinda, épurée et intelligemment construite, permet à chaque artiste de déployer son personnage avec clarté sans lourdeur. Pas de décors ni de costumes : seulement les corps, la musique et la lumière. Les projections sur le mur d’Auguste, que certains spectateurs ont critiquées, accompagnent l’action.

Et quelle musique ! L’Orchestre de l’Opéra de Lyon, sous la direction inspirée du sautillant Daniele Rustioni, atteint ici une forme de grâce. Dès l’ouverture, où les thèmes du destin et de la rédemption s’opposent, le chef imprime sa patte. Tempi tendus, contrastes maîtrisés, respiration permanente avec les chanteurs.

L’Orchestre de l’Opéra de Lyon, sous la direction inspirée du sautillant Daniele Rustioni • @C. Gromelle

Mention spéciale aux vents, particulièrement les cors, la flûte et la clarinette, qui apportent une couleur dramatique constante à la partition. Le chœur, préparé par Benedict Kearns, se montre à la hauteur de l’enjeu, notamment dans les scènes religieuses de l’acte III.

Mais alors que les tensions entre Alvaro et Carlo atteignent leur paroxysme, les éclairs se rapprochent, le vent se lève, les musiciens rangent leurs instruments, les choristes couvrent les pupitres, et la pluie s’abat soudainement sur Orange, stoppant net cette tragédie en plein envol.

Finalement, le ciel d’Orange aura épargné au public cette fin tragique. Le duel final, la mort de la sœur poignardée par son frère, ne résonneront pas cette nuit-là. Pourtant, ce que le public a pu entendre suffit à inscrire cette Forza del Destino parmi les grandes soirées des Chorégies. Inachevée, mais sublime.

La Forza del Destino / Verdi

Dimanche 20 juillet à 21h30

Théâtre antique d’Orange

Durée : 2h55

Opéra en quatre actes

Musique de Giuseppe Verdi (1813–1901)

Livret de Francesco Maria Piave, d’après Ángel de Saavedra (révision : Antonio Ghislanzoni, 1869)

Création : Théâtre Mariinski de Saint-Pétersbourg, 10 novembre 1862 (version révisée : La Scala, 27 février 1869)

Direction musicale : Daniele Rustioni

Donna Leonora : Anna Pirozzi

Preziosilla : Maria Barakova

Curra : Julie Pasturaud

Don Alvaro : Russell Thomas

Don Carlo di Vargas : Ariun Ganbaatar

Il Marchese di Calatrava / Padre Guardiano : Michele Pertusi

Fra Melitone : Ambrogio Maestri

Mastro Trabuco : Rodolphe Briand

Un Alcade / Un Chirurgo : Louis Morvan

Orchestre et Chœurs de l’Opéra de Lyon

Coproduction avec le Festival d’Aix-en-Provence

Yannick Pons

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