Sous cette toile conçue sur mesure, Strano se déploie comme une fable magnifique, à la fois classique, burlesque et raffinée. Une partition que seule une grande maîtrise technique peut accomplir
Samedi soir à Alès, le Cirque Trottola présentait Strano sous son chapiteau installé à la Verrerie, en partenariat avec Le Cratère. Cinquième création de la compagnie, ce spectacle se jouait pour la première fois en Occitanie dans le cadre du festival Temps de Cirques, ouvert depuis le 6 novembre.
Haute voltige
Bonaventure Gacon joue Boudu, clown gueulard sensible et drôle, costume ancien et barbe épaisse. Il avance à tâtons, trébuche, crie parfois, tombe souvent, comme s’il portait le poids du monde. En face, Titoune (Le clown Rififi), voltigeuse suisse, grimpe, se suspend, s’élance. Il la rattrape, la porte, la retient. Il n’y a pas vraiment d’histoire, ce sont les spectateurs qui font la leur. On rit, on pleure, on rit beaucoup. « L’important, c’est que les gens se retrouvent, coude à coude, différents, réunis, en train de rire », confie Bonaventure Gacon.
L’évocation de la guerre, du Second Empire ou de Victor Hugo traverse le spectacle comme un écho. Sous le chapiteau, les clowns entendent le bruit du monde, comme des enfants. Riffifi, ce clown malmené par des hussards, représente le sensible, le fragile, le faible du monde d’aujourd’hui. À leurs côtés, l’acrobate Pierre Le Guellec, participe à cette mécanique humaine.
Et puis il y a l’orgue, joué par Barbara Cornet, dos au public, qui se dresse sur une plateforme et qui accompagne les circassiens pendant une heure et demie, autour de partitions homogènes. Elle joue même avec les pieds.
Deux œuvres de Bach, une cantate accompagne la marche au plafond de Boudu, suspendu par des crochets, et une fugue résonne dans le solo final de l’organiste. Le trapèze de Titoune, lui, s’anime sur Dix marches pour rater la victoire de Mauricio Kagel. Les acrobaties sur l’échelle se déploient sur une pièce de César Franck, avant que le dernier mouvement, signé Charles-Marie Widor, ne vienne clore le spectacle. Non seulement ça fonctionne, mais en plus, la musique apporte une gravité, une émotion au spectacle.
Cirque ancien
Elle installe Strano dans une temporalité ancienne, à la façon des cirques d’autrefois. Un orgue, deux trapèzes, un vieux piano à queue, des nœuds à la place de mousquetons… Rien n’est laissé au hasard. Et puis le numéro de l’échelle, somptueux. « On a inventé une nouvelle manière de faire contrepoids. On essaie d’être innovateurs, mais à l’ancienne. Il n’y a pas de techno, pas de boîte à rythme », précise Bonaventure Gacon.
Le chapiteau lui-même est une prouesse. Construit par les ateliers Gest à Montignargues (30), il n’est pas planté dans le sol. Le parquet particulièrement lourd sert de lest. Sous cette toile conçue sur mesure, Strano se déploie comme une fable magnifique, à la fois classique, burlesque et raffinée. Une partition que seule une grande maîtrise technique peut accomplir
Infos pratiques
Cirque Trottola – Strano
Festival Temps de Cirques (La Verrerie d’Alès – Pôle national des arts du cirque)
Représentations : 11, 14 et 15 novembre
Chapiteau conçu par les ateliers Gest, Montignargues
Distribution : Titoune (Riffifi), Bonaventure Gacon (Boudu), Pierre Le Guellec (Acrobate), Barbara Cornet (orgue)
Réservations ici
Trottola
Créé en 2002 par Bonaventure Gacon et Titoune, le Cirque Trottola parcourt la France avec son propre chapiteau. Chaque création s’appuie sur une écriture singulière, faite de silences, d’équilibres et d’humanité. De Volchok à Campana, la troupe explore la fragilité du corps et la résistance du rire. Leur cirque, artisanal et musical, garde la mémoire du cirque forain tout en inventant un langage d’aujourd’hui.