Le soir du 13 novembre 2015, Sébastien Besatti était venu écouter les Eagles of Death Metal. Quand les coups de feu éclatent, l’Arlésien tente de se sauver par une fenêtre à l’étage du Bataclan. Il restera, dans la mémoire collective, comme le héros qui est venu en aide à une femme enceinte qui, elle aussi, s’était suspendue dans le vide pour échapper aux terroristes.
Ce soir-là, la vie de Sébastien a basculé. Pris en otage pendant plus de deux heures, il a vécu l’enfer, sauvé in extremis par l’assaut de la BRI. Parmi les onze otages de ce couloir étriqué, il est devenu l’un des "Potages" (contraction de "potes" et "otages"), ce groupe d’amis soudés par l’épreuve, dont la série "Des vivants" retrace le parcours. "On s’est retrouvés par hasard, puis on a choisi de rester ensemble. C’est devenu une famille, confie-t-il. Ensemble, on a réussi à reconstituer le récit de la soirée, à travers nos souvenirs, nos ressentis, nos positions dans le couloir, ce dont on se souvient des terroristes, et surtout le mystère de notre survie. On se dit qu’on se doit la vie, que notre cohérence de groupe et nos petits gestes d’humanité ont joué un rôle, en plus du professionnalisme des forces de l’ordre. Parce qu’on a eu des policiers de la BRI d’un professionnalisme et d’un sang-froid incroyables. Ils se sont débrouillés pour qu’il n’y ait aucun blessé, aucun mort parmi les onze otages que nous étions. C’est de l’ordre du miracle."
Dix ans après la terrible soirée qui a scellé leur amitié, les sept potages ont accepté de livrer leur histoire au réalisateur Jean-Xavier de Lestrade. Dans cette série, diffusée depuis lundi 3 novembre sur France 2 et entièrement inspirée du témoignage des rescapés, le personnage de Sébastien est interprété par Félix Moati. "Quelqu’un de très chaleureux", glisse Sébastien. Les deux hommes ne se sont rencontrés qu’à la fin du tournage. "Il n’a pas eu besoin d’en savoir plus sur moi. La règle était claire : les acteurs devaient s’appuyer sur le scénario, pas sur nos vies réelles. C’était une réinterprétation libre."
Sébastien avoue avoir été sceptique au départ. "Je me demandais comment on pouvait créer des rebondissements à partir de nos vies plutôt banales en dehors de l’attentat. Pourtant, ils ont réussi à en faire une histoire chorale, avec de la tension, du suspense et de l’émotion. Voir notre histoire portée à l’écran, c’est à la fois perturbant et excitant. Des gens habitués à des vies extraordinaires ont trouvé dans la nôtre une matière cinématographique." Avec en fil rouge, cette amitié des Potages, faite de repas, d’apéros, de musique, d’écoute, d’échanges et d’affection.
"Nous avons eu la chance de nous reconstruire en groupe"
Interviewés au printemps 2023, Sébastien, Marie, Arnaud, Caroline, Grégory, Stéphane et David ont individuellement livré leur témoignage. "Chacun, pendant 3 ou 4 heures. Ça a été comme des séances de psy". Il s'est ensuivi l’écriture du scénario pendant six mois. Puis six autres mois pour le tournage. L’avant-première a eu lieu à Paris en septembre. "On a tous été conviés à venir voir les épisodes, en une journée. J’ai ressenti un soulagement. On attendait ça depuis longtemps, avec la curiosité de voir ce que les scénaristes avaient retenu de nos récits." S’il regrette que la scène des retrouvailles avec la femme enceinte ait été mal interprétée et que son personnage ne soit pas présenté comme guitariste - "alors que c’est un trait important pour moi" - Sébastien a apprécié son personnage. "Félix Moati incarne une version augmentée de moi-même. Il est plus affirmé, plus drôle, plus en paix. C’est le personnage que j’aimerais être." Surtout, sa rencontre avec Christine, rescapée, elle aussi, d’un attentat (London Bridge, à Londres, 3 juin 2017), l’a beaucoup ému. "Ce qui fait le sel de la série, ce sont les couples, estime-t-il. Marie et Arnaud forment un couple courageux, avec leurs enfants au cœur de leur reconstruction. Greg et Caro, qu’on croyait en couple, sont en réalité des amis proches. David et Doris sont magnifiquement représentés. On est tous restés jusqu’au bout de l’avant-première, émus par ces moments." Et Sébastien d’insister : "Nous avons eu la chance de nous reconstruire en groupe."
Cette reconstruction, c’est aussi l’objet du livre poignant que l’Arlésien, ancien journaliste, sort cette semaine. La rédaction de Qu’est-ce que je faisais là ?, son témoignage, a été une thérapie. Lui qui a, quasiment dès le lendemain de l’attentat, ressenti le besoin d’écrire "sur ce qui se passait à l’intérieur de (lui)". "Je ne pouvais plus pratiquer le journalisme. Je n’avais plus la verve, plus le ressort pour écrire sur la vie des autres." Sébastien a entrepris très tôt une thérapie, et en parallèle, il a repris la plume. Pour lui. Pour se soigner autant que pour raconter. Des textes épars, écrits depuis 2015 dans lesquels il va décrire ce qu’il a ressenti dans la fosse, puis dans le couloir de la prise d’otages. "J’ai écrit sur mes émotions en écoutant de la musique, sur mes rapports avec les Potages, sur ce mystère de l’écho entre l’explosion du Bataclan et mon chaos intérieur. J’ai essayé de comprendre pourquoi cela m’était arrivé, pourquoi j’étais encore vivant et ce que je pouvais faire de bien de cette vie."
"On savait que le Bataclan était une cible depuis 2010"
Son livre, qu’il décrit comme son "entreprise la plus complexe", est aussi né d’une quête. "Je me suis, dès le départ, senti abandonné par l’État. On savait que le Bataclan était une cible depuis 2010. Pourquoi personne n’a agi ?" s’interroge-t-il. Ce sentiment d’abandon, il l’a porté comme une brûlure, jusqu’à en faire le cœur de son livre. "L’État pourrait-il reconnaître ses négligences qui ont permis cet attentat ? L’enquête autour des attentats du Caire aurait-elle pu éviter le 13 novembre ? Les failles du renseignement français et les angles morts du procès seraient-ils, eux aussi, à mettre sur le banc des accusés ?" La question de la responsabilité est omniprésente. Sans jamais pardonner, Sébastien va chercher à comprendre. Et finalement, il va se comprendre lui-même. "À un moment, j’ai senti un décalage énorme entre la bienveillance extérieure et le chaos intérieur que je vivais. J’avais besoin de redonner du sens à ma vie, de me recentrer sur mes valeurs. Cela a été un travail à la fois solitaire et accompagné. J’ai été bien entouré par les psychologues et les personnes que j’ai rencontrées. J’ai fait la paix avec mes parents. Cela m’a pris 40 ans, mais l’attentat et surtout la reconstruction ont accéléré ce processus. C’était comme un sursis de vie, une opportunité de réparer ce que je n’avais pas fait avant. La reconstruction, ce n’est pas seulement se reconstruire soi-même, c’est aussi restaurer son rapport aux autres."
Alors qu’il vivait entre Paris et Pau depuis 10 ans, Sébastien a choisi de revenir chez lui, à Arles, voilà 6 mois. "J’avais besoin de me poser, de calme pour me consacrer à l’écriture de mon livre." Six mois de travail intensif, "entouré de personnes extraordinaires qui m’ont aidé à structurer mes textes". "Ce qui m’angoissait après le Bataclan, c’était l’idée que ma vie était comme un terrain vague, avec du potentiel, mais qu’il fallait cultiver. Ce livre, c’est mon petit jardin. Aujourd’hui, je récole ce que j’y ai semé", confie-t-il. Prêt désormais "à tourner une page".
En attendant, le 13 novembre prochain, Sébastien se rendra à Paris, devant le Bataclan pour la cérémonie de commémoration des 10 ans des attentats. Il sera évidemment avec les Potages.
Le livre de Sébastien Besatti, "Qu'est-ce que je faisais là ?", est en pré-ventes sur ladressedelapetitehistoire@gmail.com