FAIT DU JOUR « Ça va trop loin » : à Montclus, rien ne va plus entre la mairie et un fermier

Erino Frealdo, sur son exploitation à Montclus
- Thierry AllardClassé parmi les quatre Plus beaux villages de France que compte notre département, Montclus, 175 habitants entre Bagnols et Barjac, est le théâtre d’un conflit au long cours entre la mairie et la famille Frealdo, de la ferme du Petit Gales. Où il est question d’eau potable, de foin, d’infractions aux règles d’urbanisme et même d’agression d’un élu. Plongée dans un sacré mic-mac.
Erino Fraldo reçoit chez lui, route de Pont-Saint-Esprit, en contrebas d’un virage, sur son exploitation. Ici, en famille, il élève des chèvres et produit du fromage depuis 25 ans. Et il en a gros sur la patate : « C’est de l’abus de pouvoir », lance-t-il en sortant des dossiers à propos des conflits qu’il a avec la mairie, et plus précisément avec le maire Benoît Trichot. « On était les meilleurs amis du monde », rembobine-t-il, au point d’être allé sur sa liste aux municipales de 2020.
À cette époque, l’éleveur travaillait déjà sur un dossier important pour lui : faire arriver l’eau potable sur son exploitation. En 2018, il monte alors un dossier auprès du SIAEP, qui a alors la compétence pour l’adduction d’eau potable à Montclus. Puis, courant 2020, tout s’arrête. Et cinq ans plus tard, il n’a toujours pas d’eau potable sur son exploitation, ce qui est problématique, surtout l’été. « Benoît Trichot a arrêté tout le processus, il n’a jamais répondu, ni lui, ni l’agglomération (du Gard rhodanien, qui a récupéré la compétence eau et assainissement en 2020, NDLR), et j’ai perdu toutes les aides », fulmine Erino Frealdo.
« C’est un faux administratif »
Pour lui, ce blocage résulte… d’une rupture sentimentale, celle de sa fille avec son mari, devenu entretemps cantonnier du village et ami avec le maire. « Le maire s’occupe de lui comme si c’était son fils », grince le fermier, qui affirme vivre un cauchemar depuis. Il évoque un épisode, en juillet 2023 : il part faucher ses terres, à Goudargues. « Un gars que je connais se pointe, et me propose de faucher un hectare sur ses terres, je le fais », raconte-il. Puis, quand quelques jours plus tard il revient ramasser le foin, « les gendarmes mettent les gyrophares et m’arrêtent pour vol de foin, et je vois arriver le même homme qui me dit que je vole son foin, j’ai senti tout de suite un montage », affirme Erino Frealdo. Coup de bol, il n’a pas encore ramassé le foin de la parcelle en question, seulement des siennes. « Trichot m’a raté », affirme-t-il.
Toujours en juillet 2023, le maire fait un procès verbal de constat d’infraction à l’urbanisme concernant la maison et le hangar d’Erino Frealdo. « Mon hangar est plus grand que prévu, oui, mais je lui avais demandé et j’avais son accord verbal », dit-il en parlant de Benoît Trichot, qu’il accuse de n’être « jamais venu » faire le constat. Il en veut pour preuve des photos qui figurent dans le document et qui ne sont manifestement pas bien datées, un arbre ayant été coupé et un mur habillé de pierres entretemps. « C’est un faux administratif », tonne l’agriculteur. Ce qui n’empêche pas la mairie de l’attaquer pour ces questions d’urbanisme. En mars 2024, il est condamné à démonter une partie de son hangar. Rien pour la maison. La mairie et Erino Frealdo ont fait appel, le verdict doit tomber incessamment sous peu.
Retour en 2023 : en novembre, il est perquisitionné et placé en garde à vue pour menaces sur le maire. Des fusils de chasse, « ceux de mon père et de mon grand-père », précise-t-il, sont saisis chez lui. Il évoque aussi un chemin privé situé sur son exploitation, que la mairie aurait essayé de déplacer sans son consentement.
Contre-attaque et prison avec sursis
Face à ce qu’il qualifie d’« acharnement », Erino Frealdo contre-attaque : début 2024, il demande le dossier de permis de construire de la maison du maire lui-même, qui a créé des balcons et transformé des garages en locations touristiques. Il reçoit une demande et une décision de non-opposition datées d’un seul jour d’écart, les 12 puis 13 mars 2024, alors que les appartements « sont loués sur Le Bon Coin depuis 2020 », grince-t-il. Dans la même veine, Erino Frealdo évoque une guinguette et un parc de loisirs, qui seraient en zone inondable, pour affirmer qu’il fait l’objet d’un traitement de faveur : « Il n’y a que moi qui ai eu un PV de constat et qui a été attaqué au tribunal. »
Il poursuit sa contre-attaque en affirmant que Benoît Trichot a fait construire une maison à Orgnac-l’Aven (Ardèche) avec son cantonnier, « pendant les heures de travail, avec un camion de la mairie pour amener le placo », et dégaine une photo où on voit les deux hommes.
Bref, l’ambiance se tend singulièrement. La famille Frealdo, devenu « paria » selon les termes de l’agriculteur, ne fait plus le marché de Montclus, doit enlever les étiquettes de ses fromages qu’elle sert à une association locale pour lui éviter des ennuis, perd des clients. Erino Frealdo dépose une plante pour harcèlement, « classée sans suite en moins de deux », puis, le 25 mars 2024, l’affaire prend une autre tournure.
Ce jour-là, Benoît Trichot est de retour, avec un huissier, pour faire un nouveau constat. L’agriculteur et sa fille vont à leur rencontre. « Je mets ma main sur son épaule, il me dit : ‘oh, je suis le maire, on ne me touche pas’ et je finis deux jours en garde à vue », raconte Erino Frealdo. Il sera condamné à six mois de prison avec sursis, 1 500 euros de dommages et intérêts et à une interdiction d’entrer en contact avec le maire pour 18 mois. Lui conteste toutefois avoir agressé l'édile.
« Je n’ai pas été élu pour régler mes comptes »
Sur cette affaire, Benoît Trichot rappelle qu’Erino Frealdo « (l)’a agressé devant un huissier, qui a témoigné », et que la condamnation à 6 mois de prison avec sursis était supérieure aux réquisitions : « Le procureur avait requis trois mois. » Plus largement, l’élu estime que « tout s’est mal passé car on n’a pas voulu aller dans son sens, qu’on modifie l’assiette d’un chemin privé. » Un chemin qui fait l’objet d’un conflit entre le fermier et une voisine, sujet d’une délibération ensuite retirée car illégale. « Il a essayé d’instrumentaliser le conseil municipal à des fins personnelles », estime le maire.
Lui dément mener une cabale contre son administré : « Je n’ai pas été élu pour régler mes comptes. » Simplement, sur l’urbanisme, « on ne parle pas d’une fenêtre ou de 3 mètres carrés en plus, on parle de plus que doubler la surface, sachant qu’en plus, il est en zone inondable et en aléa très fort feu de forêt », affirme Benoît Trichot. Alors, « soit je ferme les yeux sur une situation qui m’a été révélée quelques mois auparavant et je suis complice, soit je dénonce. » Reste la question du faux administratif sur le constat. « Ça ne change rien au problème », estime Benoît Trichot, qui reconnaît toutefois qu’il n’aurait « pas dû faire cette erreur, c’est son seul argument. » Et sur le « traitement de faveur », Benoît Trichot rappelle que la guinguette et le parc de loisirs « sont démontables. »
« Je ne dors pas forcément bien »
Sur l’eau potable, « il y a eu le transfert de compétence (vers l’agglomération, NDLR) et on a mis du temps pour retirer la commune du SIAEP, qui ne s’entendait pas avec l’agglomération, affirme Benoît Trichot. Alors tous les projets se sont arrêtés, comme à Laval-Saint-Roman, et ça a été la même chose pour lui, à force de traîner le SIAEP a perdu la subvention et ce n’est plus possible. L’agglo dit que si elle le fait pour lui, alors il faut le faire pour tout le monde. »
Sur sa maison personnelle, le maire affirme que « tout est régularisé, à la différence de lui », et que s’il a eu le permis en 24 heures, c’est « qu’il ne manquait qu’une seule pièce, que j’ai fournie. » Quant à la maison d’Orgnac, « j’ai monté le placo tout seul », sourit le maire, qui reconnaît toutefois que son employé communal « est venu quelques fois donner un coup de main sur ses jours de congés, je l’ai payé en chèques emploi-service. » Un employé communal avec lequel il ne dément pas avoir de bonnes relations : « On est potes, on fait du vélo ensemble. »
Sur l’ensemble, le maire affirme qu’il ne veut pas « rentrer dans une guéguerre stérile » ni « faire péricliter une exploitation, mais ça va trop loin. » Car il l’affirme, cette situation tendue depuis plusieurs années « a eu un impact pour (sa) famille », et il « ne dor(t) pas forcément bien ». Et de conclure : « Ce qui m’inquiète, c’est ce qui va arriver s’il doit démolir. »
L’eau potable, « une vieille affaire qui m’a particulièrement blessé »
Contacté, le maire de Barjac et président du SIAEP Édouard Chaulet rappelle que le dossier était allé jusqu’au « passage des appels d’offres ». « La commune devait participer aux frais, 15 000 euros sur 75 000 euros, et au moment de faire les travaux est intervenu le transfert de la compétence eau, Montclus s’est dessaisie et l’Agglomération du Gard rhodanien ne veut rien y mettre alors que tout le monde le fait et que Benoît Trichot en est le vice-président », développe-t-il. « C’est une vieille affaire qui m’a particulièrement blessé, car c’est un paysan, qui plus est bio, qui a besoin de l’eau, on lui a cherché plein de poux. »