Le maire de Chamborigaud a remercié le président d'ARTES - les Olivettes de l'avoir prévenu. Mais il a aussi promis de se battre pour que la Maison d'accueil spécialisée (MAS) de l'association, située dans le hameau de la Jasse, ne déménage pas (1). Le projet d'ARTES consiste, en effet, à rapatrier la soixantaine de résidents dans un bâtiment qui reste à construire, à côté du siège ouvert depuis janvier dernier, quartier Mazac à Saint-Privat-des-Vieux. C'est-à-dire à 100 mètres du rond-point du centre hospitalier Alès-Cévennes. Et d'emmener, évidemment, le personnel qui va avec, soit 83 salariés actuellement, plus 7 salariés en CDD.
"Ce n'est pas une fermeture, entame Jacques Fiol, président d'ARTES - les Olivettes, qui gère la MAS, dont l'histoire a débuté en 1962. Mais je comprends que Chamborigaud le voie comme ça. Depuis de nombreuses années on a un souci pour recruter du personnel sur le bassin de Chamborigaud, La Vernarède, etc. On ne peut pas faire face à nos besoins." Le directeur, Paul Quirin appuie : "C'est la réflexion d'une trajectoire à dix ans. Pas avant, on a encore des amortissements à réaliser (2). Mais il nous faut penser la trajectoire à plusieurs niveaux. Au niveau de nos publics, d'abord avec un plan régional inscrit sur l'inclusion des résidents vieillissants. Or, on manque d'offre de soins, et quand on vient à l'hôpital, il faut trois accompagnateurs pour un résident."
"Sur place, poursuit Paul Quirin, on ne parvient pas à remplacer les postes. Et beaucoup de professions médicales travaillent en libéral et ne souhaitent plus monter jusqu'à La Jasse." Le directeur prend l'exemple des praticiens de la maison de santé de Bessèges qui, malgré une convention signée avec la MAS, "ne se déplacent plus". Et puis, pour Paul Quirin, le départ de la MAS n'impactera le bassin d'emploi qu'à la marge. "Seuls quatre salariés habitent Chamborigaud et moins d'une dizaine aux alentours. Donc, 85% des salariés viennent chaque jour du bassin d'Alès ou de La Grand' Combe. À l'époque, la MAS n'avait que 35 salariés, aujourd'hui 83. On a cinq postes qui ne sont pas pourvus. L'évolution du rapport au travail fait qu'il faut évoluer."
Le problème des déplacements impacte aussi les familes des résidents, selon Paul Quirin, "qui vivent plutôt sur Alès, voire dans le sud du Gard ou dans l'Hérault. À Chamborigaud, on dispose d'un accueil temporaire. Mais on ne l'utilise pas parce que c'est trop loin pour les familles. On n'est plus, aujourd'hui, à aller cacher les handicapés à la campagne." L'âge des résidents est aussi un argument pour un déménagement. "Entre 2000 et 2010, l'espérance de vie des personnes handicapées a augmenté de dix ans. Les soins et l'accompagnement sont complètement différents." Sous-entendu, ils sont plus conséquents et plus nombreux.
"Les budgets ne changeront pas, nous sommes entièrement financés par l'Agence régionale de santé"
Souvent, la concentration des services répond à une logique de rationalisation financière. Mais pour les dirigeants de l'assocation, ce n'est pas la question. "Les budgets ne changeront pas, nous sommes entièrement financés par l'Agence régionale de santé (ARS), poursuit le directeur d'ARTES. Nous avons l'autorisation pour un certain nombre de personnes et on n'a pas à faire d'économies là-dessus. Le fonctionnement est couvert et les investissements assurés par un plan pluriannuel validé pour cinq ans. Ce qu'on rationalise, c'est l'offre de services. On a aussi pensé à l'impact économique, mais sur place, à part les commandes à la boulangerie, on n'est pas acteurs de l'économie."
Côté municipalité, l'annonce a été douloureuse. "On enlève 83 fiches de paie du bassin", tranche Émile Corbier. En réaction, le maire de la commune a organisé une réunion avec les maires voisins, de La Vernarède à Aujac, en passant par Sénéchas et Concoules. Il s'apprêtent à adopter et à faire parvenir une motion à ARTES et à l'ARS. Émile Corbier a aussi alerté le conseiller départemental Patrick Malavieille (également président du directoire du centre hospitalier de Ponteils) du risque de déménagement. Et a pris quelques renseignements auprès de salariés.
"Six CDI ont récemment été signés, dont un infirmer en CDI, avance Émile Corbier. Le gros de l'équipe est fidélisé." S'il convient qu'un résident a eu un problème pour recevoir son insuline cet été, alors que les infirmières du secteur n'étaint pas disponibles, "il a finalement été amené au CH de Ponteils et ç'a été réglé en 25 minutes". Le maire a aussi découvert que l'annonce d'un éventuel déménagement avait été faite "au cours d'un discours de Jacques Fiol lors de l'assemblée générale de l'associaiton, le 2 juin. À la suite de quoi, le personnel a posé des questions par écrit : 'Pourquoi les salariés n'ont pas été informés en amont ? Y a-t'il une intention de consulter les résidents ? Et s'ils ne veulent pas , sont-ils expulsés' ?"
Émile Corbier dit aussi penser au traumatisme des résidents en cas de déménagement. "Certains sont entrés adolescents en IMP (institut médico-pédagogique) et sont ici depuis 50 ans. Il y a même le cas d'un résident qui n'a pas quitté sa chambre depuis 28 ans... Depuis quelques années, il y avait une politique d'ouverture de la MAS sur le village. Et ça marche bien, c'est sympa comme tout. Ce qui ne pourra pas se faire en ville." L'association confirme la participation à "deux ou trois événements dans l'année", dont la fête de la musique. Pour Patrick Larmagnat, le maire d'Aujac, en déplaçant son public fragile, "l'association fait quelque chose qui est complètement au contraire de ce qu'est sa mission".
"Les anciens résidents ne sont pas la majorité, mais un déménagement reste traumatisant", abonde Cyril Deirolle, délégué syndical Sud santé sociaux de l'association. La moyenne d'âge se situerait autour des 50 ans, selon l'association. Cyril Deirolle n'est pas certain que le déménagement règle les problèmes d'accès aux soins, et regrette l'abandon annoncé du "haut du Gard". Tout en signalant que "les personnes représentatives du personnel n'ont pas été informées".
Paul Quirin évacue, lui, le traumatisme redouté chez les résidents. "En 2020, pendant le Covid, on a eu très peur. Et, finalement, on s'est rendu compte d'une adaptation des résidents bien supérieure à la nôtre ou à celle de nos collègues. Et puis, le rapport aux personnes en situation de handicap a évolué. On ne cherche plus le silence. Et les résidents adorent aller à la piscine ou au cinéma. Comme environnement et cadre de vie, je pense que ce sera tout aussi bénéfique à Mazac." Les dirigeants de l'association ont donc soumis le déménagement en conseil d'administration "qui l'a voté à l'unanimité, parents et non-parents".
Le besoin d'une vingtaine de places de parking - que l'association pense tout de même réaliser à La Jasse - ou le relief accidenté du site - dans lequel le président Jacques Fiol a lui-même chuté - sont d'autres arguments pour justifier le déménagement. "Ici, à Mazac, on dispose d'une propriété de 30 hectares, dont 17 hectares d'espaces naturels boisés", argumente Jacques Fiol, quand son vice-président, Yves Liégeois, père d'un résident, estime à "100 m2" l'espace de promenade à La Jasse. Les bâtiments y ont été largement agrandis au début du siècle et ont reçu un ascenseur, devant l'historique maison minière. Le déménagement est donc aussi conditionné à la construction d'une unité neuve à Mazac.
"J'espère qu'on n'abandonnera pas totalement l'ancien bâtiment, reprend Cyril Deirolle. Il y aura peut-être un changement d'agrément. Parce qu'on ne peut pas garder une telle immobilisation dans une association de loi 1901." Sur place, les investissements continuent avec, notamment, l'installation de la climatisation, au printemps, dans le bâtiment historique, pour 80 000 €. "Le président d'ARTES m'a dit que le site coûte cher en fonctionnement, note Émile Corbier. Ils n'ont pas de projet pour le bâtiment après le déménagement."
"On ne souhaite pas que le bâtiment se dégrade, on continue à investir l'argent de l'État !", se défend le directeur d'ARTES, qui lance une pique : "Ce qui est dommage, c'est que chaque commune qui a reçu une implantation d'ARTES les Olivettes a un représentant dans nos instances. Mais on n'a personne de Chamborigaud." "C'est bien pour ça qu'on a eu la démarche de voir M. Corbier rapidement, argumente Jacques Fiol, et d'imaginer avec lui quel projet pourrait être mis en place, de façon à ce qu'il n'y ait pas de vide. Des solutions, on pourra en trouver, le bâtiment continuera d'exister. Pourquoi pas une maison de retraite, par exemple ?"
"Je perds la perspective que des gens viennent repeupler mon village grâce à l'emploi"
Côté mairie, on pense "aux salariés qui ont fait leur vie ici" ainsi qu'aux "enfants des personnels qui sont dans les écoles : si on en perd deux ou trois, ça peut déséquilibrer toute l'école", constate Émile Corbier. "Et je perds la perspective que des gens viennent repeupler mon village grâce à l'emploi", estime Christian Miaille, maire de La Vernarède. "Si on nous enlève les aides à la personne dans les hautes Cévennes, il ne reste plus rien !", s'offusque Émile Corbier, quand on plaide pour une réflexion minimale "à 30 ou 40 ans" dans l'association. Les maires du bassin ont donc prévu de rester mobilisés et attendent de rencontrer le directeur régional de l'ARS, Didier Jaffre, pour évoquer le problème avec lui lors de sa visite au CH de Ponteils, le 20 octobre prochain. "Les choses peuvent évoluer, avance timidement Jacques Fiol, s'il y avait résolution de nos problèmes actuels..." Il faudrait, alors, modifier le vote du conseil d'administration. Qui ne sera plus tout à fait le même dans dix ans...
(1) Une maison d'accueil spécialisée accueille des personnes dont le taux de handicap atteint plus de 80% et des personnes atteintes d'un trouble important du spectre autistique.
(2) En 2004, un nouveau bâtiment était venu s'accoler à l'ancienne maison minière qui accueillait historiquement la MAS, pour 900 000 € de travaux. L'emprunt, dont la commune de Chamborigaud s'est portée garant, n'est pas encore intégralement remboursé.