Objectif Gard : En quel année avez-vous commencé à être harcelé ?
Evan Chakir-Vergier : Le harcèlement que j’aborde a duré plus de trois ans, de la 5ᵉ à la 3ᵉ. Je fais état dans le livre d’autres remarques qui se sont déroulées avant en primaire. En CE1, j’étais exclu d’un groupe, car j’étais l’ami qui n’allait pas à l’église. En CM2, j’ai reçu une phrase très dure, quelques jours après le décès de mon père :« Je suis content que ton père soit mort. »Dix ans après, je m’en souviens encore. J’ai toujours été plus sensible que les autres et un peu différent. Je n’ai pas su me défendre.
À quelles insultes et remarques avez-vous dû être confronté ?
Le point de bascule a lieu en 3ᵉ. J’ai reçu une gifle d’une petite amie après une rupture amoureuse. J’ai eu aussi des moqueries sur la manière de m’habiller. On me disait : « Tu as des manières de gay. » J’ai subi des bousculades. Je me suis confié à des adultes. J’ai été vu comme la véritable balance. Cela s’est intensifié. Ce sont essentiellement des filles qui me harcelaient. Elles m’ont accusé d’avoir dévoilé leurs histoires personnelles. Elles ont gagné ce harcèlement, car j’étais une victime. Cela a été dur à porter et c’était une épreuve collective. Ma sœur a été impactée par ce harcèlement. Elle se confiait chez la psychologue et la médecin, car elle ne me voyait pas bien dans ma peau. Le 2 septembre, c’était un véritable calvaire. Des harceleurs sont revenus me voir. Je me suis effondré et suis parti en pleurant. Je me suis confié une énième fois à mon directeur. Il m’a dit que cela allait passer, qu’ils allaient m’oublier. Il m’a ordonné d’aller en cours. Je ne suis pas allé en cours. J’ai prévenu une surveillante que je ne pouvais pas aller en cours. J’ai fait un malaise. À partir de là, je ne suis pas retourné en cours pendant quinze jours.
Votre livre s’appelle « Briser l’omerta ». Vous livrez un témoignage poignant...
Je vais vous raconter une anecdote : je l’ai écrit entre 15 ans et 17 ans. Des parties sont plus matures à la fin. Ce livre, c’est le reflet de moi, c’est ma reconstruction, où je parle de l’aide de mes proches. Il est accessible pour tous les publics, les jeunes, les adolescents, qui ont besoin de repères. J’espère qu’il sera utile pour leurs démarches et leurs réflexions personnelles. Je n’ai jamais accepté le statut de victime, que je trouve passif. Soit tu manges, soit tu es mangé.
Pourquoi avez-vous décidé d’écrire un livre au sujet du harcèlement ?
Au départ, cela ne devait pas être un livre, mais plutôt un journal intime. J’écrivais pour ne pas oublier. L’objectif de ce livre, c’est de pardonner aux personnes qui m’ont harcelé, car c’était il y a cinq ans. Certains et certaines doivent le regretter et ne devaient pas être conscients de l’impact.
Écrire permet-il de mieux tourner la page ou est-ce une cicatrice toujours ouverte ?
Je ne pardonne pas l’inaction des institutions. Les harceleuses avaient écopé uniquement d’une lettre d’avertissement. Selon moi, ce n’est pas une sanction. J’ai porté plainte le lundi 3 novembre pour « non-assistance à personne en danger », contre mon ancien établissement et son représentant, à Avignon. J’ai prévenu le procureur d’Avignon que je me portais partie civile.
En 2023, vous avez créé « Help for Free World » à Villeneuve-lès-Avignon, une association qui lutte contre le harcèlement scolaire et les cyberviolences. Constatez-vous que le harcèlement sévit dans le Gard ?
On a plusieurs retours sur des faits de harcèlement, avec des pics en début d’année scolaire, à la rentrée. Un jeune du Gard rhodanien nous a contactés pour obtenir des conseils. Tous les programmes contre le harcèlement n’existaient pas à l’époque. Le ministre de l’Éducation nationale avait dit que, sur l’année 2024-2025, à l’échelle de la France, il y avait eu plusieurs poursuites pénales. Je me réjouis de cela. Il faut être fondamentalement attaché à la liberté d’expression.
Quel message souhaites-tu transmettre aux étudiant(e) harcelé(e)s ?
En deux mots : brisons l’omerta. Car le harcèlement est passager, même si on peut penser que c’est un tunnel sans fin. C’est en prenant la parole que les jeunes pourront se libérer de ce poids-là. Quand j’ai sorti ce livre, j’ai eu des témoignages d’anciens élèves, qui m’ont félicité et soutenu, dont un qui a été harcelé. Le but, c’est de rapporter des faits et de ne pas ressasser. Je me dis que l’objectif de ce livre a été partiellement réalisé, si certains jeunes se reconnaissent dans mon histoire.