L'INTERVIEW Professeur Emmanuel de la Coussaye : « Ce n'est pas Emmanuel Macron qui nous a foutu dans la merde »
Depuis plus d'un an, il a quitté sa blouse pour une retraite bien méritée. Le professeur des universités, praticien hospitalier, chef du service des urgences du centre hospitalier universitaire (CHU) de Nîmes, Emmanuel de la Coussaye, raconte sa vie d'aujourd'hui et revient également sur les derniers mois difficiles pour la profession.
Objectif Gard : Il y a un an, vous avez quitté le monde hospitalier. Comment allez-vous ?
Professeur Emmanuel de la Coussaye : Ça va. Je survis pour des raisons personnelles. Je suis officiellement à la retraite depuis le 1er septembre 2022. Je garde par ailleurs quelques activités transversales au CHU de Nîmes. Et j'interviens au niveau régional dans un groupe de médiation des hôpitaux. Un rôle essentiel pour mettre du lien dans les relations humaines quelquefois difficiles. Enfin, je suis élu dans la commission régionale "Santé et autonomie". Une commission qui fait la part belle à la démocratie sanitaire puisque elle est composée d'élus, d'usagers et de représentants des hôpitaux. Nous analysons toutes les demandes du territoire d'Occitanie, que ce soit pour les établissements publics comme privés.
Cette semi-retraite vous permettra peut-être d'échanger plus régulièrement avec quelqu'un que vous connaissez bien, le nouveau ministre de la Santé, François Braun, qui a pris ses fonctions le 4 juillet dernier...
Je le connais bien en effet. À titre professionnel et personnel. C'est un homme de terrain, je peux vous le dire. Il sait de quoi il parle. Il connaît parfaitement la situation du monde hospitalier et c'est peut-être pour cela que nous attendons beaucoup de lui. Mais je reste optimiste. Même si les difficultés sont immenses et la désertification des hôpitaux très inquiétantes.
Comment explique-t-on que le monde de la santé soit aussi malade ?
Une grande fatigue liée au covid et même avant. La rémunération insuffisante des agents, des aides-soignants, des métiers peu reconnus. Il y a un immense travail à faire pour revaloriser, reconnaître, et pas uniquement financièrement. Moi, j'ai vu progressivement le monde de la santé s'étioler. Et je veux le dire, ce n'est pas Emmanuel Macron qui nous a foutu dans la merde. Ce sont les oppositions d'aujourd'hui qui étaient à la tête de l'État ces dernières décennies, Marisol Touraine (ancienne ministre des Solidarités et de la Santé de François Hollande, NDLR) inclus. La fermeture des lits, les restrictions budgétaires et pendant longtemps, ce sont les urgences qui ont permis de tenir en faisant le tampon. Il n'y a qu'à voir cet été ce qui est arrivé dans de nombreux services d'urgences... Cela fait longtemps que l'on dit que le système ne peut pas tenir comme cela. Nous y sommes. Il va falloir changer de logiciel.
Quelles sont vos solutions ?
Aujourd'hui, on mélange tout. On critique la tarification à l'acte, mais ce n'était pas forcément un mauvais système. Tout mode de financement a ses bons côtés comme ses mauvais. Moi, je ne suis pas un financier mais la T2A prévoyait un fonctionnement simple. Je travaille, j'ai de l'argent. Je ne travaille pas, je n'ai pas d'argent. Le seul souci était la course à l'échalote que cela entraînait. Aujourd'hui, le financement se réalise sur le principe de la responsabilité populationnelle en fonction d'une population de territoire. La répartition sur le papier peut être juste, mais elle ne prend pas en compte toujours la population qui grandit. Je vois donc cela d'un très mauvais œil. Il faudra voir à l'usage...
La question centrale aujourd'hui est celle de la rentabilité. Est-ce que la santé publique doit l'être ?
Il y a une obligation de regarder la rentabilité, même si le juste soin coûte très cher. Quand on prend un médicament dont on n'a pas besoin, on aura que les effets secondaires. Il faut donc avoir une bonne santé financière pour faire un bon soin. Et une capacité d'auto-financement suffisante pour investir et proposer une innovation médicale.
Vous en parliez tout à l'heure, les urgences sont en souffrance. Pourquoi ?
Pour de nombreuses raisons. L'après-covid et la grande fatigue du monde médical. Une plus grande demande liée à l'absence la nuit et le week-end de la médecine de ville. Et les plans nationaux depuis longtemps en faveur de l'ambulatoire qui n'ont répondu qu'en partie aux différents problèmes. La dépendance avec une population vieillissante pèse aussi sur le sytème dans sa globalité. Cela coûte tellement cher d'appareiller une hospitalisation à domicile que certains renoncent et occupent des lits. Des solutions existent. On le voit au CHU de Nîmes avec une régulation des entrées. Rappelons que les urgences comptent avant tout des médecins urgentistes qui sont formés pour intervenir sur des urgences et pas sur des bobos du quotidien sans gravité majeure. Nous ne pouvons plus accueillir tout le monde, sauf à faire de la maltraitance par manque de places. Des sujets âgés dans un couloir sur un brancard de nombreuses heures, ce n'est pas humain.
Un mot pour terminer sur le directeur général du CHU de Nîmes que vous connaissez bien, Nicolas Best, stigmatisé par un rapport de la Chambre régionale des comptes Auvergne Rhône-Alpes pour sa gestion du centre hospitalier d'Annecy...
Tout ce qui a été dit par mon collègue Pierre Marès chez vous il y a quelques semaines (relire ici), je le partage à 100 %. Je suis solidaire de M. Best. Un soutien sans condition. C'est une cabale contre lui. Il est sacrément courageux. Nicolas Best a toujours agi dans l'intérêt des malades, a toujours travaillé main dans la main avec les médecins. Et il a toujours pris les décisions en concertation avec l'administration comme avec le monde médical.
Propos recueillis par Abdel Samari
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