ROQUEMAURE/SORGUES Plusieurs centaines de collégiens commémorent le « Train fantôme », 80 ans après
C’est l’histoire, pas des plus connues de la Seconde guerre mondiale, d’un des derniers convois de déportation vers le camp de concentration de Dachau, qui a été commémorée ce vendredi entre Roquemaure et Sorgues (Vaucluse) par environ 700 collégiens, celle du Train fantôme.
Nous sommes à l’été 1944. Plusieurs centaines de prisonniers, jusqu’à un peu plus de 700 venus de plusieurs pays d’Europe, ou encore de la Résistance, vont subir un long et pénible périple forcé qui les verra partir du sud-ouest, plus précisément du camp du Vernet, en Ariège, pour rejoindre le camp de Dachau. Durant ces deux mois, le Train fantôme passera notamment par le Gard, à Nîmes le 11 août 1944, puis Remoulins le lendemain et donc Roquemaure le 18 août, la destruction du pont empêchant la traversée du Rhône à Avignon.
Sauf qu’à Roquemaure, le convoi se retrouve tout aussi bloqué : le pont avait là aussi été bombardé et ne pouvait plus supporter le passage d’un train, qui plus est chargé de 700 personnes. En revanche, on pouvait encore l’emprunter à pied. Alors les nazis forcent les prisonniers, parmi lesquels une soixantaine de femmes, à marcher sous une chaleur écrasante vers la gare de Sorgues (Vaucluse) à 17 kilomètres de là, où un autre train les attend.
« J’habitais à côté de la gare de Sorgues, j’avais 13 ans, j’ai vu les prisonniers embarquer, ma mère a même réussi à en cacher deux », se remémore Lucien Carail, 93 ans, présent ce vendredi matin à Roquemaure. Sur place, il se souvient de la solidarité des habitants, notamment d’un paysan. « Il avait chargé son camion de fruits et légumes pour aller au marché d’Avignon, et il a distribué des fruits aux prisonniers avant qu’on les embarque, raconte Lucien Carail. Il était espagnol et avait été touché par le fait que des espagnols faisaient partie des prisonniers. Les allemands lui ont dit d’accord, mais à condition qu’on en donne à leurs hommes, alors que les allemands mangeaient et que les prisonniers n’avait pas mangé depuis quinze jours pour certains d’entre eux. » Aujourd’hui, Lucien Carail est toujours porte-drapeau.
« Parce que vous avez marché sur leurs traces, vous n’oublierez jamais ces 700 déportés »
Pour transmettre cette mémoire, encore plus en ce 80e anniversaire, et à l’initiative du professeur au collège Jean-Giono d’Orange (Vaucluse) Thierry Armant, une grande commémoration était organisée ce vendredi avec une marche mémorielle sur les 17 kilomètres séparant Roquemaure de Sorgues, à laquelle ont participé environ 700 collégiens vauclusiens, ceux du Gard étant en pleines vacances scolaires. Cette commémoration s’inscrit aussi dans un contexte de ravivage de cette mémoire par la mairie de Roquemaure.
« Il y a deux ans, la plaque commémorative de l’ancien pont a été dégradée, explique le conseiller municipal délégué à la Culture et à la Médiathèque de Roquemaure Luc Pacini. Nous l’avons refaite, et à cette occasion nous avons relancé une commémoration avec Sorgues, cette commémoration se faisait, mais sans Roquemaure. » Par la même occasion, la mairie renoue contact avec l’Amicale qui s’occupe de la mémoire du Train fantôme, et avec Gerhard Bökel, ancien journaliste, avocat et homme politique allemand, installé à Saint-Laurent-des-Arbres, qui a signé un livre sur le « Train fantôme »(*).
« J’ai pu rencontrer les derniers prisonniers du train, dont le Résistant Ange Alvarez (qui avait réussi à s’enfuir près d’Angoulême, ndlr) », explique l’auteur, présent lui aussi ce vendredi au départ de la marche. Ange Alvarez, décédé à Saint-Christol-lès-Alès, où il s'était installé, en mai 2022, dont la rencontre avec le professeur Thierry Armant a été à la naissance du projet de commémoration, « au service du vivre-ensemble », affirmera l’enseignant ce vendredi après-midi à Sorgues, à l’arrivée de la marche en présence de la secrétaire d’État chargée des Anciens combattants et de la Mémoire Patricia Mirallès.
Une cérémonie où Jean-Daniel Simonet, fils d’un des déportés du Train fantôme, lancera aux jeunes réunis devant la gare de Sorgues, au nom de l’Amicale des déportés résistants du Train fantôme, des remerciements pour « ce moment émouvant que vous avez offert aux familles. » Le maire de Sorgues Thierry Lagneau, après avoir rendu hommage aux enseignants et à leurs élèves, rappellera aussi qu’à Sorgues en ce mois d’août 1944, « une lueur d’humanité a brillé grâce à ces nombreux Sorguais venus à la gare pour ravitailler les déportés. » Grâce à ces habitants de la ville vauclusienne, dont la mère de Lucien Carail, adolescent à l’époque et qui ce vendredi portait fièrement le drapeau tricolore sous la stèle commémorant le martyre des déportés du Train fantôme, 32 déportés parviendront à s’échapper lors de cette étape.
La secrétaire d’État Patricia Mirallès, qui a marché les derniers kilomètres avec les élèves, soulignera le fait que par leurs pas, les jeunes ont « redonné vie aux déportés de ce dernier convoi de déportation parti de France », et que par l’engagement du corps enseignant, « le fil de la mémoire ne se coupera pas. »
« Parce que vous avez marché sur leurs traces, vous n’oublierez jamais ces 700 déportés », lancera Thierry Armant aux élèves. Pour que la mémoire de ce funeste train arrivé à Dachau deux jours après la Libération de Paris, et avec elle celle des dizaines de déportés morts pendant le trajet et des quelque 536 qui ont atteint les camps, et dont la moitié n’en a pas réchappé, ne sombre pas dans l’oubli.
* « Le Train fantôme, les nazis et la Résistance » de Gerhard Bökel, Éd. Brandes & Apsel, 2019.
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