Dimanche, le vent portait jusqu’au centre-ville de Beaucaire le bruit des tirs. La population a été prévenue : il s’agit d’un exercice organisé et préparé pendant quatre mois par l’état-major de la 6e Brigade légère blindée (BLB) basé à Nîmes. Une opération de grande ampleur baptisée Victrix 25, qui mobilise quelque 400 réservistes issus des sept régiments de la brigade, répartis sur tout l’arc méditerranéen, avec l’appui d’un peloton du 503e régiment du Train de Garons. On distingue les militaires actifs des réservistes opérationnels, ces derniers étant des volontaires issus du monde civil ou d’anciens militaires qui consacrent une partie de leur temps à la défense de la France. Ils assurent un renfort temporaire aux forces armées — opérations Sentinelle, lutte contre les feux de forêts, etc — sur le territoire national et parfois à l’étranger. L’Armée de Terre compte 24 000 réservistes en France, « le but à l’échéance 2030 est d’atteindre les 48 000 », indique le lieutenant-colonel Grégoire, en charge de l’opération Victrix 25.
Depuis samedi et ce jusqu'à ce soir, les 400 réservistes participent à plusieurs mises en situation dans le cadre d'un conflit de haute intensité, sur une zone civile entre Beaucaire, Aramon et Montfrin. L’objectif : sécuriser la base arrière de la brigade. « C’est une zone stratégique, où se trouvent les points vitaux des unités — poste de commandement, points logistiques comme des entrepôts de matériels, etc — c’est une zone d’intérêt pour l’ennemi », précise le lieutenant-colonel Grégoire.
S’ajoute la défense opérationnelle du territoire national, « c’est-à-dire permettre à la population de continuer à vivre, à travailler », en protégeant notamment des infrastructures civiles. « Si la population n’a plus d’électricité par exemple, n’est plus chauffée, n’est plus ravitaillée, elle va partir. Si elle part, elle va encombrer les routes, nos convois ne pourront plus circuler et on ne pourra pas réaliser nos missions », poursuit l’officier de la réserve opérationnelle. Les militaires se concentrent ici principalement sur la protection du barrage de Vallabrègues, de l’ancienne usine EDF d’Aramon et des voies de communication avec la ligne à grande vitesse.
L’exercice annuel du bataillon mise sur le réalisme : mené en terrain libre, dans un secteur inconnu des militaires, ponctué de multiples incidents censés éprouver la réactivité des troupes et au contact direct de la population. Une immersion totale qui constitue une contrainte supplémentaire et renforce la nécessité d’analyser chaque situation avec discernement. « On met en pratique tout ce qu’on a appris lors des entraînements en camp militaire. Cet exercice nous permet de voir ce qui fonctionne, ce qu’il faut ajuster ou améliorer », explique le capitaine Alexis, réserviste et responsable des opérations d’un réseau de laboratoire dans le civil. « Il faut faire preuve de rigueur, appliquer nos compétences techniques et tactiques, car il y a un cadre précis à respecter et il est essentiel de le maîtriser. Et puis, c’est une vie plus rustique que celle qu’on mène au quotidien », sourit-il.
Dimanche matin, au centre opérationnel installé dans les ateliers intercommunaux mis à disposition par la communauté de communes Beaucaire Terre d’Argence, dans la ZAC de la Mérarde à Beaucaire, l’état-major signale à une compagnie la présence de l’ennemi, en position haute, au niveau du château d’eau. Le rapport de force est favorable (1 pour 3) : les militaires doivent donc mener une « réduction de résistance isolée », en progressant dans la garrigue, sans se faire repérer.
« Jusqu’à 100, 150 mètres de l’objectif, on ne les a pas vus donc la progression a été bonne », souligne le lieutenant-colonel Laurent du 3e régiment d’artillerie de marine à Canjuers, arbitre de cette mission. « Ils ont bien traité l’objectif en faisant en sorte d’arriver par plusieurs pistes différentes, ce qui a empêché les miliciens de les stopper. Une fois l’ennemi neutralisé et la zone sécurisée, le compte rendu du chef de groupe au centre opérationnel est une autre étape essentielle. » Lors de cette mission, les réservistes opérationnels ont fait usage d’armes de guerre, « mais avec des munitions à blanc », précise l’officier Laurent.
Progressivement, jusqu’à ce soir, les exercices et les incidents monteront en puissance. « Le but, c’est de tirer un peu sur la corde, de les voir réagir quand ils ont un peu moins de sommeil par exemple, de les endurcir. On est susceptibles de conduire ces missions de jour comme de nuit. Dans la nuit de samedi à dimanche, l’ennemi est venu harceler les bivouacs des forces amies… » Dimanche, dans l’après-midi, les militaires ont été confrontés à un nouveau scénario : le crash d’un hélicoptère faisant plusieurs blessés. « On est sur le secours au combat de niveau 1, les premiers secours du combattant. Il s'agit de vérifier que les soldats maîtrisent la pose d'un garrot, qu'ils savent faire un pansement, mettre une valve, etc », détaille Anthony, médecin de réserve. L’homme, âgé de 31 ans, s’est engagé après l’attaque du Bataclan. « Ça a été le déclencheur, j’ai senti la nécessité de me mettre au service de mon pays », explique l’urgentiste dans le civil. La France commémorera ce jeudi les dix ans des attentats du 13-Novembre.