L’INTERVIEW Laure Cordelet : "On ne forme pas de troupes pour aller casser du facho !"
Avec l’avènement de l’Action citoyenne antiracisme antifaschiste Beaucaire (ACAAB), nouveau nom du Rassemblement citoyen de Beaucaire (RCB), Laure Cordelet, sa présidente, réaffirme haut et fort son engagement contre l’extrême-droite à Beaucaire… et ailleurs.
Objectif Gard : Pourquoi avoir décidé de changer de nom, et même d’orientation pour votre association ?
Laure Cordelet : Lors de la première élection de Julien Sanchez (Rassemblement national) en 2014, on a fondé le RCB d’abord en réunissant des personnes pour mener nos premières actions, puis via un groupe et une page Facebook. Enfin, en septembre de la même année, on a créé l’association. Presque 9 ans et demi après, j’en ai eu marre, parce que le climat politique à Beaucaire est très compliqué : l’antiracisme n’a plus vraiment la côte, ici et partout en fait. Lors de la venue de Marine Le Pen et Jordan Bardella à Beaucaire pour leur université d’été, on a voulu organiser un rassemblement pacifique devant les arènes et personne n’est venu. Ça crée un climat très pénible parce qu’on a un peu l’impression de se battre contre des moulins à vent et de ne pas servir à grand-chose alors que dans la réalité le combat qu’on mène est super important. Alors on s’est rapproché des antifascistes du Vaucluse, on a milité avec eux… Ils nous ont fournis un vrai soutien. Donc j’ai voulu changer la destination de l’association : on est toujours antiracistes, mais on s’oriente complètement vers l’antifascisme maintenant.
La raison d’être de votre association a-t-elle changé en même temps que son nom ?
Non, on est toujours en accord avec notre objet, qui est la lutte contre les extrêmes. L’expérience nous montre que c’est l’extrême-droite qui est la plus dangereuse, mais on garde tout de même un œil sur les autres, au cas où. Notre but, c’est de participer à l’éradication de l’extrême-droite, et d’informer les gens des dangers qu’elle représente.
Vous avez choisi l’acronyme ACAAB, qui n’est pas sans rappeler ACAB (« All cops are bastards » en anglais, soit « tous les flics sont des salauds », NDLR), vous n’avez pas peur d’une forme de stigmatisation ?
On aimerait bien l’avoir cette stigmatisation parce que le combat qu’on mène s’il n’est pas stigmatisé, n’est pas visible. On voulait un nom qui marque un peu, et ACAAB ça marque aussi bien les antifas, que les identitaires et les fachos de tous poils, et ça réveille les frileux. Ça m’a beaucoup fait marrer aussi, j’ai trouvé ça très frais quand on l’a proposé. ACAAB, ça déchire comme acronyme, pour Action citoyenne antiraciste antifasciste Beaucaire. C’est un nom un peu long je le concède, mais ça vient de VCAB, Veille citoyenne antifasciste Beaucaire, un canal qu’on avait créé sur le réseau social Telegram. Je précise quand même qu’on n’est ni anti-flic, ni anti-corps d’armée. On ne forme pas de troupes pour aller casser du facho ! Le but n’est pas d’aller taper sur des flics et d’aller embêter les membres des forces de l’ordre, seulement de réveiller les gens et on espère y arriver.
Et comment comptez-vous vous y prendre ?
Pour l’instant, on ne sait pas, on n’a pas encore décidé des actions que l’on va mener. C’est tout frais, comme changement, alors on est encore en train de modifier nos visuels sur nos réseaux, et c’est déjà un gros boulot... Mais c’est essentiel, parce que si on n’a pas de visibilité sur les réseaux, on n’en a pas du tout, on ne peut pas faire sans. On va sans doute faire des actions sur Beaucaire comme des collages antifascistes, comme on en a déjà fait. On est aussi en relation avec des groups antifas de la région, on va essayer de mener des actions conjointes. Mais il faudrait qu’on se rapproche aussi des mouvements du Gard et de Nîmes, même si de ce côté-là j’ai l’impression que ça dort un peu. On espère juste que ça ne fera pas « pschiiit » comme un pétard mouillé ! D’autant qu’on n’est pas très nombreux, on est douze à jour de cotisation pour l’instant. Mais si des gens veulent se joindre à nous sans pour autant rallier l’association, ce n’est pas un problème ! Je ne voulais même pas garder le statut associatif à l’origine…
Pourquoi l’avoir conservé alors ?
L’association, c’est beaucoup de travail pour peu de résultat. Mais ça nous permet de pouvoir saisir la justice en cas de besoin, et d’avoir un peu de poids. Par contre, on ne va pas s’intéresser qu’à Beaucaire, parce qu’on ne peut pas du tout travailler avec les politiciens locaux, justement parce que ce sont des politiciens et non pas des politiques. Les politiques s’engagent pour une idée, un programme, pour changer les choses avec leur propre vision. L’engagement du politicien fluctue avec le vent, et il ménage la chèvre, le chou, l’herbe et le ruisseau parce que « ça peut toujours servir » … Je ne diabolise personne, à part l’extrême-droite, mais il faut quand même faire attention où on met les pieds.
Avez-vous déjà songé à changer les choses de l’intérieur, voire de porter votre candidature aux prochaines élections ?
On ne peut pas mener un combat qu’on n’est pas sûr de gagner face à l’extrême-droite, parce que si on se disperse, on est foutu. C’est déjà difficile de rassembler des forces et aller au bout du combat : beaucoup ont lâché l’affaire parce qu’ils voyaient que leurs actions ne faisaient pas avancer les choses. Pourquoi je m’intéresserais à Beaucaire qui ne s’intéresse pas à ce qu’on fait ? L’antiracisme, c’est un combat politique, mais aussi un combat sans concession. Pendant les municipales de 2020, ils ont cru que je voulais m’engager. Dès le départ j’ai toujours été claire sur ce sujet : je n’ai pas d’ambition politique, je ne veux pas être sur une liste, rien. Ça m’a beaucoup intéressée de pousser à la création d’une liste d’union, parce que c’était le projet de l’association depuis le début. Mais pour moi, personnellement, ça ne m’intéresse pas.
Qu’espérez-vous avec cette nouvelle version de l’ACAAB ?
À vrai dire, pas grand-chose. J’espère arriver à motiver un peu plus les gens qui luttent, pour leur montrer qu’il est possible de mener des actions et de piquer l’ennemi. Évidemment, balayer l’extrême-droite du jour au lendemain n’est pas possible, sinon on l’aurait déjà fait… L’extrême-droite n’a pas gagné, même les perspectives des prochaines élections présidentielles, et même municipales ne sont pas très joyeuses. La France « s’exdroitise » de manière galopante, comme le reste de l’Occident, c’est grave. Il faut que les gens arrivent à s’unir autour d’un vrai projet social, qu’il y ait un sursaut, parce que si on ne revit jamais l’Histoire, on y va quand même tout droit. Il faut un vrai front républicain, mais pas que sur le papier, avec des gens sur le terrain, dans les médias, sur les réseaux… Des gens qui mènent un même combat et si pour l’instant ce n’est pas gagné, on veut montrer que c’est possible. Ça a un côté utopique, mais ce sont les utopies qui font bouger le monde.
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