FAIT DU JOUR L'installation d'une éolienne pilote inquiète au Grau-du-Roi
L'apparition de la première éolienne flottante au large de la plage de Beauduc suscite de vives inquiétudes parmi les plaisanciers, ornithologues et pêcheurs du Grau-du-Roi.
La première des trois éoliennes du projet pilote "Provence Grand Large" a été acheminée jusqu'à son emplacement en mer la semaine dernière dans le golfe de Fos-sur-Mer. Il s'agit de la première éolienne flottante d’une ferme pilote de trois installations. La deuxième a quitté le port de Marseille avant-hier en direction de son lieu d'implantation.
Qui vend du vent ?
Ces trois éoliennes pilotes sont l’arbre qui cache une forêt de plusieurs dizaines d’éoliennes qui devraient pousser au large des côtes méditerranéennes françaises ces prochaines années. Au moins deux parcs éoliens Off-shore, d’une puissance totale de 750 mégawatts chacun, seront installés ces prochaines années dans le golfe de Fos-sur-Mer. C’est l’avènement de la première ferme éolienne commerciale en Méditerranée française. "Ce sont les premières éoliennes d'une longue série", souligne Perrine Cuvilliers. La secrétaire générale de l'OP du sud ajoute : "L'État a annoncé deux parcs commerciaux de 250MW en Méditerranée, ainsi que leur extension de 500MW afin d’arriver à 750MW chacun à l'horizon 2030, et souhaite que l'on se questionne sur le zonage de parcs à horizon 2050." Lyriquement baptisées « éoliennes » en référence à Éole, le maître du vent, ces mini-usines ont été érigées au rang de symbole de la transition écologique. Mais la lutte contre le changement climatique devrait pouvoir se faire en respectant l’environnement, et c'est le défi de ces immenses totems maritimes.
Bombes à retardement écologique ou nécessaire évolution ?
Si la production d’électricité renouvelable par la voie éolienne reste intrinsèquement vertueuse et fait probablement partie de l’évolution d’une nouvelle ère humaine, chaque implantation soulève des inquiétudes légitimes auprès des habitants et usagers des endroits concernés. Notamment parce que ces derniers ont toujours le sentiment, souvent justifié, qu’on leur impose sans concertation une sorte d'usine à côté des chez eux. La France est le deuxième plus grand espace maritime mondial. Seul pays présent sur tous les océans de la planète. "S’estimant en retard dans la course à l’armement éolien maritime, le gouvernement français a accordé à des promoteurs éoliens et des fonds de pension étrangers les plus beaux sites naturels de son littoral et a autorisé des projets d’usines dont l’impact va être colossal, impossible à compenser et irréversible pour la biodiversité marine, première régulatrice du climat, première productrice d’oxygène et premier puits de carbone de la planète", lance Lamya Essemlali, présidente de Sea Shepherd France.
Selon l’organisation, la France, dont les trois façades maritimes représentent un enjeu fondamental pour la survie des oiseaux et mammifères marins en Europe, est à la traine et n’a pas pris les mesures mises en place dans d’autres pays, pourtant d’importance moindre pour la biodiversité. L’essentiel de la vie marine se concentre sur les côtes. L’océan dans sa globalité peut être considéré comme un grand désert dans lequel des oasis permettent à la vie marine de se nourrir, de se reposer et de se reproduire. "Près d’un milliard d’oiseaux migrateurs passent par ce golfe chaque année et notamment les passereaux qui volent à basse altitude en arrivant sur le continent", explique Régis Vianet, ancien directeur du parc naturel de Camargue, élu à la mairie d’Aigues-Mortes et vice-président de la Communauté de communes de Terre de Camargue (CCTC). Et c’est précisément le long des terres, à moins de 17 kilomètres du trait de côte, que les fermes éoliennes sont installées.
Les pales de Damoclès
Les conditions de survie et le succès de la reproduction des poissons ne sont pas encore connus mais pourraient être remis en question. Un bruit sous-marin continu généré par les turbines pourrait devenir une nuisance. Le bruit d'origine anthropique est une menace pour les baleines et les dauphins dont la survie dépend de leur audition. Selon les pêcheurs, la vie des poissons, des crustacés et des calamars est également impactée.
Pour les oiseaux, même combat. Les pales sont également un véritable danger dans les airs. Ce sont trois éoliennes de 175 mètres de haut et 80 mètres d’envergure qui vont sortir de l’eau face à la plage de Beauduc pour le moment. Par mauvais temps, les oiseaux ont tendance à se poser où ils peuvent et ainsi s’approcher des pales. De nuit, ils peuvent également ne pas les voir. De plus, en captant une partie du vent, les éoliennes génèrent des turbulences sous forme de nuages qui masquent les autres éoliennes.
Pêcheurs inquiets
L'effet récif et réserve qui permet aux poissons de bénéficier d'un havre de paix n'est pas encore prouvé. Ainsi les marins-pêcheurs professionnels du Grau-du-Roi ne voient pas cette histoire d'un très bon œil. Ils redoutent un impact négatif de ces machines sur les ressources halieutiques et les écosystèmes de la Méditerranée, en particulier au sein de leur propre zone de pêche. "Nous ne sommes pas opposés à la transition énergétique ni aux éoliennes, bien au contraire. Nous sommes les premiers écologistes. Mais il ne faut pas faire n’importe quoi, nous ne savons pas quelles sont les conséquences de ces installations ! Et rien n’est prévu pour compenser la réduction de notre zone et des risques qui en découlent", explique Paulo Gros, pêcheur au Grau-du-Roi depuis plusieurs générations. Comment vont réagir les petits pélagiques ? Les céphalopodes ? Les poissons migrateurs tels que le thon rouge ? Vont-ils être attirés ? Désorientés ? Cela va-t-il perturber leurs cycles de développement et de reproduction ? Les chalutiers sont particulièrement impactés ne serait-ce que par la phase travaux en cours depuis plusieurs semaines, qui se prolonge sur tout le mois de septembre. "Je soutiens les pêcheurs du Grau pour lesquels c’est une contrainte de plus, mais aussi la navigation de plaisance de Port-Camargue qui sera impactée. S’il y a implantation, il doit y avoir compensation", explique Robert Crauste, maire du Grau-du-Roi et président du syndicat mixte de la Camargue gardoise.
"S’il y a implantation, il doit y avoir compensation"
Les pêcheurs devront s’adapter à toutes les contraintes imposées par ces éoliennes implantées sur leur zone de pêche. C’est un espace de vase et de sable où l’on pêche merlus, lottes, rougets, anchois... "Ça devait être une éolienne pilote, mais Macron a dit feu on y va. Il n’y aura pas de phase de test alors que personne ne sait quelles seront les conséquences de telles installations sur les poissons et notamment les merlus qui se reproduisent justement à cet endroit", martèle Nicolas Houny, patron du chalutier Barracuda 2. Les quinze chalutiers, pour certains depuis plusieurs générations, garantissent la bonne santé de la zone de pêche qui s’étend d’Agde à Fos-sur-mer, en fermant certains endroits pendant huit mois de l’année. Selon les pêcheurs, l’effet récif avancé par les promoteurs n’est pas du tout prouvé notamment en mer du Nord. Et que dire du bruit qui n’est pas une bonne nouvelle pour le thon rouge qui revient ces dernières années en Méditerranée. "Et tout ça sans aucune compensation", indique le pêcheur graulen. Si les pêcheurs provençaux recevront une compensation à la restriction de leur territoire de pêche, ceux du Grau-du-Roi en sont exclus pour des raisons de frontière régionale.
Le casse-tête n'est pas terminé puisque le coût des éoliennes devrait également subir une forte inflation. Selon Jean-Marc Jancovici sur son compte Linkedin, il faudra également considérer le vrai prix de l’éolien qui semble sous-estimé, comme toutes formes d’énergie, qui devraient chacune subir une inflation importante dans les années à venir notamment parce que les baisses de prix de ces dernières décennies ont profité d’augmentations de volumes et de consommations, une tendance qui semble s’inverser. "Avec moins de combustibles fossiles par personne, le parc de machines par personne va baisser, et il deviendra de plus en plus difficile d'extraire, de raffiner, de transformer et de transporter une tonne de n'importe quoi, y compris quand cela sert à faire une éolienne", explique le président de The Shift Project, ingénieur conférencier à l’origine de la création du bilan carbone. Ainsi les géants de l'éolien offshore reconsidèrent aujourd’hui leurs positions et demandent aux États de revoir les subventions à la hausse.
Camargue
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