Publié il y a 1 mois - Mise à jour le 18.03.2025 - Sabrina Ranvier - 6 min  - vu 436 fois

FAIT DU JOUR Covid : 5 ans après, ce qui a changé

« Finalement le Covid a été un catalyseur. On ne s’est pas posé de question », avouent Philippe et Zoé Allès. Ils ont acheté un mas ayant appartenu à Louis Guizot, premier maire métis de France en 1790.

- Sabrina Ranvier

Il y a pile 5 ans, la France basculait dans une autre dimension. Interdiction de sortir. École à la maison. On signait soi-même des autorisations pour indiquer l’heure à laquelle on promenait le chien. C'était le premier confinement. Il y en aura trois, entre mars 2020 et avril 2021. Qu'en reste-t-il ? 

Le grand exode des citadins

Le Covid a été « un catalyseur » où on « ne réfléchit plus ». En 2020, Philippe et Zoé Allès abandonnent Rueil-Malmaison pour Saint-Geniès-de-Malgoirès. En juin 2021, Christelle Montagne fuit en quelques jours Roubaix pour rejoindre les Cévennes.

Des arbres centenaires, une cuisine d’été nichée dans un appentis, des oiseaux qui pépient… Le jardin du mas Guizot à Saint-Geniès-de-Malgoirès est bien plus bucolique qu’une salle de classe. « En juin 2021, alors que je faisais un cours en visio dehors, un étudiant m’a demandé où je me trouvais », glisse dans un sourire Philippe Allès. L’enseignant lui répond qu’il se trouve dans le Sud. L’étudiant insiste : dans le Sud d’accord, mais où ? Philippe Allès évoque le Gard. Le jeune homme n’est toujours pas rassasié : mais où précisément ? Philippe Allès répond : Saint-Geniès-de-Malgoirès. L’étudiant éclate de rire et c’est à peine croyable : même si l’école est à Paris, il suit actuellement les cours à distance lui aussi depuis… Saint-Geniès-de-Malgoirès ! L’élève et le prof étaient à ce moment-là dans le même village. La commune est dotée d’un bon réseau Internet. Philippe Allès peut donner ses cours depuis n’importe quelle partie de son imposant mas en pierre de 450 m2 habitable.

Le mas Guizot. • Sabrina Ranvier

Enseignement à distance et déplacements en TGV

École de commerce, d’ingénieurs, école centrée sur le numérique. Philippe Allès enseigne pour les trois établissements parisiens du pôle d'enseignement supérieur privé Léonard de Vinci. Il assure 50 % des cours en distanciel et 50 % en présentiel. Et là, rien de plus simple. Il rejoint à pied en 5 minutes la gare de Saint-Geniès, et saute, à Nîmes, dans un TGV pour être en 3h à Paris.

Son épouse Zoé, native d’Irlande du Nord, se rend quant à elle en train jusqu’à Nîmes centre et enchaîne sur une navette pour l’aéroport de Garons. De là, elle rejoint sa famille à Stansted en Angleterre. « C’est beaucoup plus pratique qu’à Paris, soulignent-ils. On habitait Rueil-Malmaison, il fallait 1h30 pour rejoindre l’aéroport de Roissy. » La vie parisienne, ils l’ont rayée en 2020.

Ils passent le premier confinement dans leur maison du plateau du Mont-Valérien. En juin, un agent immobilier les démarche : est-ce qu’ils ne voudraient pas vendre ? Le lieu est paisible mais ne devrait pas le rester. Une gare RER et un éco-quartier de 15 000 habitants doivent être construits à proximité. La maison est vendue en 15 jours.

Où aller ? Angleterre, Suède, Émirats arabes unis… Philippe a travaillé partout. Il a grandi du côté de Nice. « Je voulais choisir un endroit que ni ma femme ni moi ne connaissions. » Un de ses amis, aveugle, avait baptisé son labrador Uzès. « Je lui ai demandé pourquoi. Il m’a dit que c’était un endroit très bien. » Qu’à cela ne tienne. Philippe et Zoé louent trois semaines dans le secteur. Ils visitent à Saint-Geniès-de-Malgoirès un mas du XVIe siècle. « Dès qu’elle est entrée, Zoé a chuchoté ‘ I love it’ », se souvient Philippe en mimant la réaction de son épouse. Le bien était en vente depuis deux ans. Ils font une offre en deux heures. En décembre, ils emménagent dans le Gard. En mars, pour le troisième confinement, ils recueillent des amis parisiens.

Réseau de citadins « expatriés »

Philippe poursuit l’enseignement à distance débuté pendant le Covid. « Les clients de ma boîte de conseil en management se sont adaptés. » Depuis trois ans, il assure aussi des cours à l’université de Montpellier. Zoé s’est aménagé un atelier de peinture dans la pièce la plus lumineuse de la maison. Elle y peint des taureaux, des gardians. Cette anglophone gardait des enfants à Paris. Elle leur parlait dans la langue de Shakespeare et leur apprenait ainsi l’Anglais. « Ici c’est plus difficile, il n’y a pas la même demande », reconnaît-elle. Depuis septembre, elle est vacataire et donne des cours d’Anglais à l'IMT mines Alès. Une partie du mas a été transformée en gîte. « On est resté lié avec l’ancien propriétaire. Il nous a fait rencontrer des gens. On a été très bien accueillis. » Dans la rue, ils saluent le conducteur d’une voiture qui passe : « C’est un Gallois. Il y a une grosse communauté anglophone. » Ils se sont même aperçus en publiant des photos sur Facebook qu’une de leurs amies anglaise s’était installée à Brignon, dans le village voisin. Elle a aussi fait partie de l’exode post-covid tout comme un ami parisien établi à Nîmes.

Philippe Allès préside un temps le comité des fêtes du village. Pour les Journées du patrimoine, il ouvre la maison aux habitants : « Ils nous ont raconté qu’ils venaient là, que c’était une école pendant la Seconde Guerre mondiale. » Le mas est suffisamment grand pour héberger leurs six enfants qui vivent à Paris, Londres ou Singapour. Sur son téléphone, Zoé suit un point GPS. Il signale la position d’un navire approchant des îles Grenadines. Une de leurs filles est costumière sur un bateau de croisière. « Pendant le confinement, elle a été enfermée trois mois dans sa cabine. »

Native d'Irlande du Nord, Zoé peint désormais des paysages méditerranéens. Elle enseigne aussi l'Anglais à l'IMT mines Alès. • Sabrina Ranvier

Besoin de grands espaces

Après avoir été confinés dans de petits espaces, beaucoup se sont rués vers le grand air, dans le Gard. La ville d’Alès a même payé deux campagnes publicitaires dans le métro parisien.

« Après le Covid, toutes les maisons se sont vendues, même celles qui ne se vendaient pas », reconnaît Christophe Gervais, maire du petit village de Bourdic dans l’Uzège. À l’autre extrémité du département, à Sumène, Ghislain Pallier, le maire, a accueilli quatre à cinq familles venues de Montpellier, de Nîmes, « beaucoup de personnes pouvant télétravailler. Ils avaient besoin de calme et de verdure. Ils ont acheté des mas aux alentours. »

En juin 2021, Christelle Montagne, coach nutrition/bien-être, a abandonné son appartement de 63 m2 pour une maison de 110 m2 en Cévennes. Tout est allé follement vite. « J’ai pris le train. J’ai visité une maison à Cassagnoles vue sur une petite annonce sur Leboncoin. Je suis remontée à Roubaix, j’ai fait mes valises ». Elle loue un camion, entasse ses affaires et roule 1 000 km.

Elle passe d’une métropole de 99 000 habitants à un village de 430 âmes ayant pour tout commerce une « boîte à pain ».

« Au début, on ne réfléchit pas. Il fait beau, il y a la petite maison en pierres », se souvient-elle. Cette native de Maubeuge connaissait le Gard où vit sa sœur. Elle avait déjà eu envie de se poser ici sans donner suite. « Le Covid a été un accélérateur. On ne réfléchit plus ».

Elle se souvient avoir organisé, pendant le confinement, depuis son appartement, des challenges comme « faire 1 000 pas autour de son canapé. Parfois je proposais des journées à 10 000 pas : je faisais des vidéos où je tournais entre les voitures dans le parking souterrain. »

Des gens restés longtemps confinés par l’angoisse

Le confinement lui a permis de tester des outils numériques pour rester en lien avec sa clientèle. Ce qui lui a permis de conserver, dans le Gard, certains clients nordistes. Elle les suit à distance, en a trouvé d'autres sur place. Mais est-il simple de s’implanter à l’autre bout de la France ? Elle s’est aisément adaptée à la météo, aux paysages où « on en prend plein la vue ». Elle n’a jamais « autant randonné ». Mais il lui a « fallu 3 ans pour vraiment s’implanter, pour retrouver un équilibre professionnel et personnel ». Dans le Nord, les portes s’ouvrent très vite, sans calcul. Dans le Sud, « il faut créer une relation de confiance » avant d’être accepté. Autre écueil, même si les confinements se sont terminés au printemps 2021, les barrières dressées par l’angoisse ont mis du temps à s’estomper. « La période la plus compliquée a été après le Covid, estime-t-elle. Les gens sont restés dans la peur longtemps. » En 2024, elle peut enfin recréer des évènements, les gens ne craignent plus de pratiquer des activités physiques ensemble. Elle loue un local sur Saint-Chaptes et finit par l’acheter fin 2024. « Cela va mieux depuis un an. Les gens ont besoin maintenant de recréer des liens. »

Christelle Montagne s'est installée en 2021 à Carnoules. Elle a déménagé depuis à Saint-Géniès-de Malgoirès. Cette coach nutrition/bien-être a un local à Saint-Chaptes divisé en trois espaces : un pour elle, un autre pour une sophrologue et un dernier qui accueillera peut être un osthéopathe. • DR

Sabrina Ranvier

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