Publié il y a 7 h - Mise à jour le 22.07.2025 - © Sabrina Ranvier - 9 min  - vu 551 fois

FAIT DU JOUR Le Gard fait son cinéma

Benjamin Bouba, alias Solal dans la série Ici tout commence, pose sur un triporteur vendant des objets dérivés de la série.. Sylvie Ribes, surnommée "Choupette" ( au deuxième plan) a signé un contrat avec TF1 lui permettant de commercialiser ces « goodies". C’est elle qui a aussi rédigé le scénario des visites guidées sur les pas de la série.

- © compagnie Avec des Si

Quel est le point commun entre la mairie de Sauve et celle de Saint-Laurent-d’Aigouze ? Toutes les deux ont le pouvoir de se transformer en gendarmerie. Dans la cité camarguaise, c’est le rez-de-chaussée de l’hôtel de ville qui accueille les gendarmes de la série de TF1, Ici tout commence. À Sauve, c’est l’étage de la mairie qui avait été redécoré façon caserne de gendarmerie des années 1960, pour Mister Spade. En 2022, les véhicules avaient été chassés du centre-ville pendant six semaines pour les besoins de cette production américaine. Long-métrages, séries… Le Gard est le deuxième département d’Occitanie où on tourne le plus. L’élégante Uzège, bien connue des réalisateurs parisiens, attire bien sûr. Mais elle ne parvient pas à détrôner la Camargue. Ces dernières années, on a par exemple pu croiser sur ce territoire Panda, alias Julien Doré, un flic tout en bouclettes, claquettes et chemises à fleurs. L’aride Camargue séduit les réalisateurs depuis les débuts du cinéma. Dès 1909, on y a tourné des westerns avec attaques de train…

« On est régulièrement sollicité par des productions étrangères »

Sauve, Barjac, Montclus ou même la Camargue ont attiré des producteurs étrangers. Feuilleton quotidien, série plus courte pour les plateformes ou films destinés au cinéma… Les paysages gardois s’étalent sur tous les supports.

« Cherche trois figurants hommes typés italiens. Évitez les coupes de cheveux trop courtes ou rasées sur les côtés. Les moustaches sont les bienvenues pour une immersion totale dans l’époque ! » Date de tournage : 10 juillet 2025. Lieu de tournage : Nîmes et Aigues-Mortes. Le réalisateur Bertrand Mandico tourne son nouveau film avec Marion Cotillard dans la région. L’équipe a déjà squatté les jardins de la Fontaine début juin. Ce long métrage, baptisé Roma elastica, raconte une histoire se déroulant à Rome dans les années 1980.

Pour la série américaine Mister Spade, la moitié des figurants venait de Sauve. La production avait proposé à Olivier Gaillard, le maire, de faire partie des figurants. Il a décliné, préférant se consacrer à la gestion. • © Olivier Gaillard

Un mois de tournage au CHU du Grau-du-Roi

L’animateur Frédéric Lopez mise aussi sur le Gard pour sa première réalisation. Il s’est installé pendant un mois au CHU du Grau-du-Roi. Entre le 28 mars et le 28 avril, il a utilisé ce centre de rééducation pour tourner un téléfilm adapté de 15 000 volts. Ce livre raconte le parcours de Louis Derungs, un jeune homme de 22 ans amputé des deux bras suite à une décharge électrique. La date de diffusion n’est pas arrêtée, mais ce sera sur le service public, France 2 ou France 3. Seize films ont été tournés dans le Gard depuis 2020, avec un record de cinq long-métrages en 2024.

Maxime Beaufey, membre de la commission du film chez Occitanie films, a soigneusement noté une date dans son agenda : mercredi 24 septembre 2025. C’est la sortie en salles de Classe moyenne, un long-métrage qui a pour décor une villa à Castillon-du-Gard.

Uzès et compagnie

La très chic Uzège, sur laquelle les années n'ont pas de prise, draine les cinéastes. Des scènes d’Ici et là-bas ont été tournées à Uzès en 2023. En 2021, Fumer fait tousser a investi la cité ducale. « Uzès est très identifiée car des personnes du milieu du cinéma ont des maisons là-bas, observe Maxime Beaufey. C’est une ville qui rayonne dans la France entière. »

Plus étonnant, Montclus, petite cité de 177 âmes accrochée aux rives de la Cèze, a accueilli deux tournages en cinq ans. Julie Gayet y a joué dans Poly sous la direction de Nicolas Vannier en 2019. « Cela a été choisi pour la photogénie des lieux. On pouvait reconstituer un village des années 1950 sans avoir besoin de faire des transformations », analyse Maxime Beaufey. Catherine Cosme s’y est posée en 2024 pour Sauvons les meubles. Ce film, qui n’est pas encore sorti en salles, raconte l’histoire d’une mère qui a utilisé le nom de sa fille pour s’endetter. Ce film a été coproduit par une société qui a des attaches à Montclus, Tripode productions, et par la société belge Heliotronc.

Producteurs belges, canadiens, américains…

« On est régulièrement sollicités par des productions étrangères », reconnaît Maxime Beaufey. Le film d’auteur fantastique King baby, tourné en mai 2022 à Barjac et Bagnols-sur-Cèze, a été produit par des Canadiens et des Britanniques. Il n’est pas encore sorti en France.

« La série allemande Une table en Provence a été tournée intégralement à Aigues-Mortes en 2020-2021 », précise Maxime Beaufey. Par contre, les Gardois n’ont pas pu la regarder, à moins d’avoir un accès à la chaîne de télévision allemande, ZDF. L’Américain Scott Franck a installé ses caméras à Sauve en 2022. Mister Spade, série en six épisodes, a été diffusée sur la chaîne américaine AMC et sur la plateforme Canal +.

Dans la région, les producteurs bénéficient de paysages de campagne, de montagne ou de littoral, sans parcourir de longues distances. Le taux d’ensoleillement garantit des tournages en extérieur. « Les décors, cela joue mais pas seulement », nuance Maxime Beaufey. Les sociétés de production étrangères viendraient également, selon lui, pour « l’excellence » des professionnels de la région.

Plateaux ultra-équipés et aides financières

Mister Spade a utilisé des producteurs exécutifs français, mais aussi des équipements locaux. Des scènes de voiture ont été tournées sur fond vert dans le studio France Télévisions de Vendargues. Une structure qui va gagner « 4 000 m² de plateau supplémentaire d’ici 2026 », comme l’explique Maxime Beaufey. Une autre super structure Pics studio, avec 11 000 m² de plateaux, doit ouvrir dans les environs de Montpellier courant 2027. Celui qui se présente comme un « véritable village dédié à la production » proposera une armurerie, des costumes, des caméras, du son, de la post production… Autre atout, la Région verse de nombreuses aides aux tournages. Roma Elastica, tourné en partie à Nîmes, a par exemple reçu en 2024, 105 000 euros d’aide à la production de fiction. La saison 2 de Panda a été dotée de 115 000 euros.

Séries pour les plateformes

Panda, c’est l’histoire d’un flic qui vit dans une paillote en Camargue. Il boit du thé, déteste la technologie et est joué par Julien Doré. Les deux saisons ont été diffusées en 2023 et 2025. « Elles ont très bien marché. On n’est pas à l’abri d’une troisième saison », préfigure Maxime Beaufey. Un éventuel tournage attendra : Julien Doré, qui est avant tout chanteur, est en pleine tournée.

Les aventures des Escort boys, quatre garçons en galère qui tombent dans l’escorting pour sauver un domaine apicole camarguais, sont visibles sur la plateforme Amazon. « La première saison a été tournée en partie à Aigues-Mortes. La deuxième était plus proche de Marseille », détaille Maxime Beaufey. Depuis le mois de mai, on a accès sur la plateforme Max à Malditos. Cette série narre, en sept épisodes, les aventures d’une famille gitane. La plus grande partie de l’action se déroule côté Bouches-du-Rhône, mais des scènes ont été tournées à Beaucaire.

Avec Mister Spade, Sauve a plongé dans les années 60.  • © Olivier Gaillard

Séries TV quotidiennes à foison

Mais la région est surtout le paradis des « soap operas », ces feuilletons qui ne finissent jamais. Quatre séries quotidiennes pour la télévision sont tournées dans le triangle Sète-Montpellier-Nîmes. La pionnière est Un si grand soleil, série de France Télévisions ayant Montpellier pour décor. La préfecture héraultaise a aussi séduit M6 qui y tourne depuis avril dernier son feuilleton quotidien Nouveau jour. Sète accueille Demain nous appartient pour TF1. Mais certains de ses personnages jouent dans Ici tout commence, un autre feuilleton de TF1 tourné, depuis 2020, à Saint-Laurent-d’Aigouze. Au final, dans le Gard, c’est le secteur de la Camargue qui gagne le match des lieux de tournage. C’est le bulldozer Ici tout commence qui fait pencher la balance. Grâce à lui, le Gard se hisse même sur la deuxième place du podium comme département accueillant le plus de tournages en Occitanie, juste après l’Hérault.

Choupette assure la moitié des visites guidées sur les traces de la série de TF1. Elle est secondée par Milan Boukharta. • © Sabrina Ranvier

Sur les traces d’Ici tout commence

200 personnes travaillent au quotidien pour le tournage de cette fiction en Camargue. Quels sont ses secrets ? Pour le découvrir, il faut suivre Milan Boukharta, raseteur et figurant, qui anime des visites guidées à Saint-Laurent-d’Aigouze.

Des adolescentes en robe légère, les yeux brillants, serrent très fort leur smartphone. Des familles avec enfants se collent aux barrières. Au poignet, ils portent des bracelets colorés siglés du nom du camping où ils logent. Mardi 8 juillet, 17h, plus d’une quarantaine de personnes patientent, debout devant le château de Calvières à Saint-Laurent-d’Aigouze. Face à un vigile aux épaules imposantes, ils frémissent dès que la porte de ce bâtiment ocre s’entrouvre. Pas question de rater le selfie si jamais un acteur de la série Ici tout commence, met un orteil dehors. L’intérieur du château est totalement inaccessible. Seules les 200 personnes qui sont employées chaque jour pour tourner cette série peuvent y pénétrer.

Raseteur et figurant

Mais est-ce une bonne idée d’attendre les acteurs juste devant l’entrée principale ? Ce ne serait pas un peu trop simple ? « Comme on passe derrière le château, on en voit toujours », ruse Milan Boukharta. Lunettes de soleil sur la tête, ce jeune homme brun embarque à sa suite quatre personnes pour une visite guidée. Elle a été imaginée par la compagnie de théâtre « Avec des SI » qui a signé un contrat avec la mairie et avec TF1. Short, tee-shirt, Milan Boukharta est intégralement vêtu de blanc. Une question d’habitude. Tous les dimanches de l’été, ce raseteur arrache des cocardes sur des taureaux dans les arènes de la région. Le reste du temps, ce natif de Camargue est intermittent du spectacle. Il a commencé en 2023, avec un rôle de raseteur dans le film fantastique Animale*. Puis il a mis un pied dans la série Ici tout commence. Son allure juvénile lui permet de jouer les élèves figurants de l’école de gastronomie Auguste-Armand.

© Sabrina Ranvier

Décors secrets

Fin connaisseur de la série, il anime la moitié des visites guidées proposées par la compagnie de théâtre. Il snobe l’avant du château, trace devant les arènes, ignore les cafés qui les encerclent, pour se glisser dans la rue étroite de la mairie. Juste en face, il ouvre le portail d’une maison banale. À l’intérieur, on plonge dans une bodega. On peut prendre des photos, mais avec interdiction de les diffuser sur les réseaux. La production loue La siete de la tarde, une vraie bodega et vient d’en refaire les décors. Le guide prévient : ils ne seront visibles à l’écran qu’ « en janvier ». Enthousiaste, Marjorie Lallement, originaire de Metz, file avec sa fille dans la petite cour et s’étonne : « Je pensais que c’était plus grand. » La magie du cadrage TV lui laissait imaginer une immense terrasse. Ce détail est vite chassé. Elle s’interroge. Quel personnage va donc gérer ce bar ? Et si c’était Jude ? Cheveux très courts, yeux bleus perçants, Océane Wallaert valide l’hypothèse avec enthousiasme.

Location de maisons

Milan Boukharta cuisine les connaisseuses. Qui connaît la date de diffusion de la série ? « 2020 ! », rétorque Océane. Elle appuie bien le « t » en prononçant « vingt ». Cette éducatrice d’une vingtaine d’années est en vacances sur le littoral héraultais, mais elle est originaire de Dunkerque. Elle l’assure, elle ne choisit pas ses vacances en fonction des lieux de tournage. Mais elle a découvert par hasard que cette série qui l’aimante était tournée dans les environs. Elle a embarqué sa copine belge Lonie Guéret dans la visite. « Ils ont mis deux acteurs belges dans la série, lui précise Milan. Ils essaient d’avoir tous les univers, tous les personnages pour que les spectateurs s’identifient. »

La visite repart dans les rues du village. Le goudron a été désossé, tout est en chantier. « Depuis qu’il y a la série, le village a mis des sous de côté pour faire des travaux, commente Milan, amusé. Ça a ramené énormément de tourisme. Avant les gens allaient à Aigues-Mortes ou au Grau-du-roi, pas à Saint-Laurent-d’Aigouze. » Autre effet : les prix de l’immobilier ont explosé. Le guide se pose devant une maison. Elle appartient à un privé et est louée pour la série régulièrement. « La production utilise la méthode du cross board, détaille le guide. On tourne plusieurs scènes dans un même lieu, mais on ne suit pas forcément l’ordre chronologique. On va optimiser la location. »

Le diplôme délivré aux élèves de l'institut Auguste Armand dans la série Ici tout commence.  • © Sabrina Ranvier

450 pages de dialogues par semaine

Puis, il distille une série de chiffres. Ici tout commence tourne en continu, un peu comme dans une usine. Elle arrête uniquement une semaine à Noël et deux semaines en août pour la fête votive du village. Chaque jour, deux équipes tournent en simultané avec une heure de pause repas minutée. Grâce à cette cadence, un épisode est tourné par jour. 450 pages de dialogues sont rédigées par semaine. La série, visionnages en replay compris, a pu monter jusqu’à 4 à 4,5 millions de spectateurs quotidiens.

Mais combien coûte une journée de tournage ? « Un million », imagine la petite Louane. C’est sa mère Marjorie qui trouve la bonne réponse : 250 000 euros. Cela englobe tout : les frais et les salaires. Milan Boukharta rappelle que pour être figurant, il faut habiter la région. « On gagne 97 euros brut par jour, 107 pour faire la silhouette et 40 euros de plus pour la silhouette « parlée », confie-t-il. Les comédiens, c’est « 350 euros brut minimum ».

Chemise hawaïenne et pâtisserie

La petite troupe s’est déplacée sur l’arrière du château qui trône dans un parc de quatre hectares. Un homme aux cheveux flous argentés, la cinquantaine, chemise hawaïenne et yeux floutés par des Ray-ban, passe. Il a l’allure assurée de ceux qui ont l’habitude d’être au centre de l’attention. La sidération s’affiche sur les visages de Marjorie et Océane. Elles se regardent et n’osent pas ouvrir la bouche. « Bonjour », lâche l’homme avant de s’éloigner. Océane se ressaisit : « Mais c’est Teyssier ! » Emmanuel Teyssier est en fait le directeur de l’école de gastronomie de la série. Il est incarné par Benjamin Baroche. Océane s’en veut : « Je n’ai pas osé le prendre en photo. »

Milan poursuit le tour extérieur du château. Le site immense englobe six corps de bâtiment. « Les propriétaires l’avaient mis en vente, mais ne trouvaient pas d’acquéreurs. La production le loue à l’année. » Milan désigne du doigt les différentes fenêtres : celle de l’appartement de Rose et Antoine, celle des loges...

Experts locaux

« Les jardiniers qui s’occupent du parc sont de Saint-Laurent. La série fait travailler les gens d’ici », met en avant Milan Boukharta. Ceux qui doivent jouer les futurs « élèves » de l’école de cuisine sont même formés aux gestes techniques par un chef cuisinier du village. Retour justement devant le château. Une quarantaine de personnes est encore présente. Une musique retentit dans le fond, elle vient des arènes du village. Louane frémit en sentant une odeur épicée. Vient-elle du château qui est censé abriter une école de gastronomie ? « Non », éclate de rire Choupette, alias Stéphanie Rippe. Cette comédienne qui vient de rejoindre Milan a écrit le texte des visites guidées dès 2022. Elle assure la moitié d’entre elles. Elle pointe du doigt l’endroit d’où vient la bonne odeur. Elle s’échappe des cafés de la place où bon nombre de fans ont fini par aller boire un coup. « Avant, les bars fermaient la journée. La série a tout changé », reconnaît-elle.

* Animale est un drame fantastique tournant autour de l’univers des taureaux.

Visites en été tous les jours à 10h30 et 17h. Tarif 16 euros pour les adultes, 12 euros pour les 10-15 ans et 10 euros pour les 6-9 ans. Gratuit pour les moins de six ans.

www.billetweb.fr/visite-guidee-ici-tout-commence

© Sabrina Ranvier

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