Dès 1909, on tourne des « westerns » en Camargue. Dans les années 50, Crin-Blanc exalte une terre d’aventure et de liberté, tandis que D’où viens-tu Johnny lance la carrière du rocker français.
L’eau envahit le terrain. Elle fait disjoncter le compteur électrique de la grande roue. La préfecture veut que Sara, sa famille et ses attractions quittent les lieux, « pour leur bien ». On leur propose un HLM. Hors de question pour cette famille gitane de laisser leurs caravanes… La plateforme Max diffuse depuis mai la série Malditos tournée en Camargue. Mais ce territoire sauvage n’a pas attendu les années 2020 pour aguicher les réalisateurs.
Le Camarguais Folco de Baroncelli est fasciné par le show de Buffalo Bill qui effectue une tournée en Europe. Il va voir le spectacle à Paris au début des années 1900. Il échange avec un Français membre de sa troupe, Joë Hamman. Ce dernier a travaillé dans des ranchs aux États-Unis. Folco de Baroncelli, lui, n’y est jamais allé. Mais il décrit à Joë Hamman une Camargue similaire au Far-West des romans d’aventure. Vendu.
En 1909, c’est-à-dire 14 ans à peine après l’invention du cinéma, Joë Hamman vient avec le réalisateur Jean Durand tourner des westerns dans le delta du Rhône. « Il racontait la conquête de l’Ouest avec des thèmes classiques comme l’attaque du train, décrit Estelle Rouquette, conservatrice du musée de la Camargue. Il y a des séquences où Hamman est attaché à la voie ferrée et où le train s’arrête juste avant. » Il faut dire qu’il circulait à l’époque à 7 km/h, de quoi faciliter les cascades.
Jean Durand et Joë Hamman vont y tourner une série de films avec la troupe de cascadeurs un brin comique, les Pouics. Ils s’installent trois mois sur place en hiver, période bénie où il n’y a pas de moustiques. Ils construisent un petit village de planches faisant penser au Far-West. Ils emploient l’entourage de Baroncelli. « On voit par exemple Fanfonne Guillerme adolescente », détaille Estelle Rouquette.
Gitanes, gardians et mauvais oeil
La Première Guerre mondiale emporte une grande partie de la troupe des Pouics. Jean Durand revient en Camargue en 1921 avec Joë Hamman. Il tourne cette fois-ci des sujets « locaux et graves ». « Les films ont tous les ressorts des westerns. Les gitans vont servir un peu d’Indiens. Baroncelli imagine que ce sont les peuples primitifs de Camargue », ajoute-t-elle. Folco de Baroncelli joue en quelque sorte un rôle de régisseur, il fournit des cavaliers, son troupeau, des lieux de tournage.
D’autres réalisateurs filment des histoires dramatiques. André Hugon adapte, en 1922, le roman Le Roi de Camargue de Jean Aicard. La Zingara, une gitane, jette un sort au gardian Renaud… En 1941, Jacques de Baroncelli, le frère de Folco, met en images un autre drame familial, inspiré du roman Les filles du Rhône de Jean Des Vallières.
Riziculteurs et mauvais garçons
En 1953, c’est le retour des aventuriers en Camargue avec le tournage du Salaire de la peur. C’est aussi cette année-là que sortent Crin-Blanc et La caraque blonde. Ce long métrage est signé d’une des premières femmes réalisatrices, Jacqueline Audry. Les images sont filmées à Méjanes, dans le domaine de Paul Ricard. Dans les années 1950, les crédits du plan Marshall financent le développement de la riziculture en Camargue. « Paul Ricard était mal aimé des Camarguais, car il lançait le développement de la riziculture, contextualise Estelle Rouquette. Le film, qui évoque la rivalité entre riziculteurs et éleveurs, a permis de le réhabiliter auprès des Camarguais ».
Estelle Rouquette a organisé, en 2016, avec avec Sam Stourdzé une exposition sur le Western camarguais. De gigantesques affiches étaient suspendues à l’intérieur de l’église des Frères Prêcheurs à Arles pour le festival des Rencontres de la photo d’Arles. Un refrain tournait sur fond de guitare, « Pour moi la vie va commencer ». La mélodie chantée par Johnny Hallyday restait vissée dans les tympans des visiteurs toute la journée. Cette chanson est la bande originale de D’où viens-tu Johnny, tourné en 1963 en Camargue. « C’est l’histoire d’un mauvais garçon, pas si mauvais, qui vient se planquer pour fuir des dealers », résume Estelle Rouquette. Le début du film commence en noir et blanc, et, comme par magie, quand il arrive en Camargue, tout passe en couleur. « Il était connu à l’époque, mais ce n’était pas une immense star. C’est le film qui va lancer sa carrière », complète-t-elle.
Le festival des Rencontres de la photo a un partenariat avec Jimei. « Les Chinois viennent et choisissent les expositions qui les intéressent, explique Estelle Rouquette. Ils ont notamment choisi celle sur le western camarguais. Il y avait des photos de Johnny et de Sylvie dans toute la ville en 2016. »
Cette année-là, un film mythique, oscarisé, Palme d’or à Cannes, ressort sur les écrans français, Un homme et une femme. Cette histoire signée Claude Lelouch se déroule à Deauville. Mais une séquence a été tournée en Camargue. Elle correspond aux moments que l’héroïne avait partagés avec son mari. Des instants de bonheur.
Pour aller plus loin, on peut lire Western camarguais, d’Estelle Rouquette et Sam Stourdzé, Actes Sud, 32 euros. On visite le Musée de la Camargue, ouvert tous les jours de 9h à 18h, chemin du mas de Rousty, Arles. Entre 5 et 7,50 euros. www.museedelacamargue.com
