Publié il y a 10 h - Mise à jour le 22.07.2025 - © Sabrina Ranvier - 4 min  - vu 320 fois

LE DOSSIER La drôle d’histoire du Salaire de la peur, tourné dans un camp d’internement

Yves Montand joue un aventurier sans le sou qui convoie un chargement de nitroglycérine en Amérique latine.

- © fonds Collignon – archives municipales de Nîmes

Aller en Amérique du Sud ? Trop cher. En 1951, Georges-Henri Clouzot cherche un lieu pour tourner Le salaire de la peur.

Cette cabane faisait partie du camp de Saliers. On aperçoit aussi derrière les miradors du camp. • © fonds Collignon – archives municipales de Nîmes
La production ajoute des éléments de décor. • © fonds Collignon – archives municipales de Nîmes

Ce film raconte le périple de quatre aventuriers sans le sou qui souhaitent transporter un chargement de nitroglycérine en Amérique centrale. La solution serait de s’installer en Espagne. Yves Montand, l’acteur principal, met son veto : hors-de-question de mettre un pied outre-Pyrénées tant que le dictateur Franco sera vivant. Les scènes de jungle seront tournées à la Bambouseraie de Générargues. Le village de Las Piedras sera installé à six kilomètres de la sortie de Saint-Gilles. L’équipe de tournage s’installe dans l’ancien camp de Saliers. Ouvert le 15 juin 1942 sur décision de Vichy, il a interné les Tsiganes de la zone sud. Imaginé sous forme de village camarguais, le camp accueillera 622 nomades. Sans arbres, il est brûlé par le soleil, rafalé par le Mistral. Il n’y a ni électricité, ni eau potable. Vingt-cinq internés dont six enfants meurent lors de leur passage dans ce camp. Bombardé par erreur par les Alliés en août 1944, il sera officiellement dissous en octobre.

Dans son Dictionnaire du cinéma dans le Gard, Bernard Bastide raconte ce tournage interminable commencé en 1951. Un décorateur construit une église, un café. Des canalisations sont creusées pour emmener l’eau des marais. Mauvais temps, actrice principale malade, grève des figurants, le tournage patine. Il se termine en novembre 1952. Le film recevra le grand prix du festival de Cannes 1953 et un Ours d’or à Berlin. L’équipe de tournage avait une clause dans son contrat de location : elle devait tout dynamiter en partant. Les agriculteurs récupèrent leurs terres. En 2006, un mémorial est construit au bord de la route qui mène les touristes vers les plages des Saintes-Maries-de-la-Mer. Deux colonnes de métal entourent une guitare et des silhouettes mangées par la rouille. Derrière, à l’emplacement du camp, il reste des roseaux, des champs et un silence qui écrase.

De nombreuses façades ont été "maquillées" pour recréer l'ambiance des années 1960. Aujourd'hui cette devanture est redevenue grise.  • © Olivier Gaillard

Sauve, nostalgique de Mister Spade

Rues, places, appartements… Les équipes du réalisateur américain Scott Thomas ont investi ce village du piémont cévenol en 2022.

Une petite fille, assise par terre, trace des dessins à la craie bleue sur les pavés devant la fontaine. Installés en terrasse, ses parents boivent des jus de fruits artisanaux. Une dame appuie sur un pédalier et fait pétarader une antique mobylette. Le temps semble être suspendu, en cet après-midi d’été, à Sauve. Pas étonnant que les équipes américaines de Scott Thomas aient jeté leur dévolu sur ce village gardois en 2022. « Là-bas, ils avaient collé de vieilles affiches de l’époque, montre du doigt une employée de l’office du tourisme. Vous voyez cette façade grise ? Eh bien la production l’avait repeinte en bleu, pour que ce soit une gendarmerie. » L’intérieur de ladite caserne avait été aménagé à l’étage de la mairie. « Le rez-de-chaussée, c’était La Poste de la série », s’amuse Olivier Gaillard. La bonne humeur frétille dans la voix du maire de Sauve dès qu’on évoque le tournage. Un canapé avait été installé dans la salle du conseil municipal qui servait en fait de loge au héros, Clive Owen. « J’y allais le moins possible pour ne pas les embêter », reconnaît l’élu.

Les voitures "actuelles" ont été interdites de centre-ville et remplacées par des véhicules des années 1960. • © Olivier Gaillard

Six semaines sans voitures

L’action est censée se dérouler à Bozouls, un village qui existe vraiment dans l’Aveyron. « Ils ont juste filmé des scènes extérieures où on voit les falaises de Bozouls », détaille Olivier Gaillard. Les places, ruelles, apparaissant dans la série sont celles du centre ancien de Sauve. Comme le scénario se passe juste après la guerre d’Algérie, les véhicules actuels ont été chassés du centre-ville durant six semaines. « Ils ont commencé à s’installer début septembre. Le tournage a démarré mi-octobre pour se terminer mi-décembre », déroule l’élu. Une grue a été emmenée, morceaux par morceaux, à travers les ruelles. Elle servait à filmer en hauteur et pour l’éclairage.

La moitié des figurants a été recrutée à Sauve. « J’étais la femme du pharmacien. J’avais un vieux tailleur rose, se souvient Soraya Touat. L’organisation était impressionnante. Il y avait de gros budgets. Il fallait répéter les scènes cinq ou six fois. C’était très pro. » Cette artiste peintre, qui vit au-dessus de la place du vieux marché, a logé trois membres des équipes techniques du film dans ses chambres d’hôtes. Elle en garde un « excellent souvenir » : « La production s’est adaptée à Sauve. Ils ont fait tout ce qu’ils ont pu pour tourner la nuit. »

La production de Mister Spade avait soigné les détails. Elle avait même installé de vieilles affiches des années 1960 sur les murs du village. • © Olivier Gaillard

Émulation dans le village

En installant les couverts de son Bistrot de la tour, Louis Mangiapan égraine les anecdotes. « Les habitants de Sauve avaient prêté leurs vieilles mobylettes pour le tournage, se souvient-il. Alors qu’un ami passait avec sa 4L, Clive Owen l’a félicité en lui disant « Trop belle ta voiture ». » Il assure que le tournage avait créé « une belle émulation ».

Le maire confirme que l’opération a été gagnante pour ce village de moins de 2 000 habitants. « La journée, ils faisaient à manger pour 100 à 150 personnes. Le soir, entre 50 et 80 personnes mangeaient dans les commerces. » Des jeunes de la commune sont embauchés pour rentrer le matériel. « Les gens se garaient en bas du village, se remémore le maire. Je n’ai pas eu une seule réprimande des habitants. La seule personne à se plaindre est quelqu’un de Saint-Hippolyte-du-Fort. » Soraya Touat, elle, a fait répertorier sa maison comme lieu de tournage.

© Sabrina Ranvier

Gard

Voir Plus

A la une

Voir Plus

En direct

Voir Plus

Studio