FAIT DU JOUR Gens du voyage : la grande hypocrisie

Des caravanes installées à Marguerittes
- Photo DRDans le Gard, c’est le marronnier de l'été : plusieurs élus dénoncent les installations illicites de gens du voyage. Souvent issues de communautés évangéliques, ces familles se jouent d’un système que les communes contribuent elles-mêmes à créer, en ne respectant pas la loi sur l’aménagement des aires d’accueil.
« Je suis très en colère de la faiblesse de notre pays ! », lançait, la semaine dernière, sur les réseaux sociaux, le maire de Saint-Gilles, Eddy Valadier. En cause : l’installation illicite de gens du voyage sur un terrain municipal : « J’en ai gros sur le cœur. Et je comprends la démission de milliers de maires qui en ont ras-le-bol. » Dimanche, c'est au tour du maire caissarguais de sortir de ses gongs : « C’est affreux ! Terrible ! J’en ai pour 100 000 € de dégâts ! Des gens du voyage sont entrés par effraction sur notre stade municipal… Ça veut dire quoi ? Quand tu ne respectes pas la loi, c’est la porte ouverte à tout ! », vilipende le maire, Olivier Fabregoul.
« Quand tu ne respectes pas la loi, c’est la porte ouverte à tout ! »
Saint-Gilles, Saint-Hilaire-de-Brethmas, Aimargues, Caissargues… Depuis plusieurs jours, les publications des édiles fleurissent sur les réseaux sociaux. Et à l'approche des municipales, la colère est d'autant plus audible. D'ailleurs, les six députés RN ont abondé à celle-ci : « C’est l'énième illustration de l’impuissance et du laxisme qui caractérisent le gouvernement ! » Ces convois font souvent partie de la communauté évangélique. L'un d'entre eux, un pasteur de 57 ans rencontré à Caissargues, se défend : « Depuis septembre, on envoie des courriers pour occuper une aire de grand passage à Nîmes ou dans le Gard… Mais rien. Dans les départements où il y a ce type d'aires, on ne fait pas de bruit. C’est le cas à Cogolin, dans le Var, ou à Mauguio, dans l’Hérault. »
Des obstacles techniques et politiques
Les maires, comme celui de Saint-Gilles, ont beau s’indigner : beaucoup ne respectent pas la législation. La loi de 2005 stipule que les communes participent à l'accueil des personnes dites « gens du voyage ». Celles de plus de 5 000 habitants ont l’obligation de disposer d’une aire d’accueil. Sauf que Saint-Gilles, 14 500 habitants, mais aussi Vauvert, Saint-Privat-des-Vieux ou Beaucaire n’ont pas réalisé leur aire d’accueil. Sur sa page Facebook, le maire de Saint-Privat-des-Vieux et président de l'Association des maires du Gard, Philippe Ribot, devance la critique : « Je précise toutefois que l'aire St-Privadenne de moins de quarante places n'aurait jamais permis l'installation de 150 ou 180 caravanes... (en référence à Saint-Hilaire-de-Brethmas, NDLR). »
Philippe Ribot a (presque) raison : les petites aires d'accueil ne sont pas adaptées à ce type de convoi. Seulement, le schéma départemental 2019-2025 des aires d'accueil dans le Gard prévoit deux aires de grand passage, situées à Pont-Saint-Esprit et à Bellegarde. Une obligation là non plus pas respectée. Les communautés itinérantes le savent bien... « La semaine dernière, un autre convoi de gens du voyage nous ont ri au nez ! Ils nous ont dit que, comme la loi n’était pas respectée, on ne pouvait rien faire… Puisque le temps que le référé d’expulsion soit exécuté, ils seront déjà partis ! », raconte Olivier Fabregoul. Caissargues, commune de moins de 5 000 habitants, est une victime collatérale de ce système grippé.
La raison ? Si ce non-respect de la loi par les mires n’entraine pas de sanction, il empêche toutefois le préfet de pouvoir faire jouer son pouvoir administratif et d'intervenir rapidement : « Quand un campement s’installe, le maire dépose un référé, mais le préfet a aussi la capacité de faire évacuer les occupants. Son intervention est rendue plus compliquée si les lois ne sont pas respectées », explique Rémi Nicolas, maire de Marguerittes et co-président de la commission consultative des gens du voyage.
« Pas des voleurs de poules, ni d’enfants »
En 2021, le Défenseur des droits a alerté sur les discriminations systémiques vécues par les gens du voyage et les insuffisances en matière d’aires d’accueil. « La réalité, c’est que les gens n’en veulent pas, c’est mal vu… Et vous ne pouvez pas obliger un maire à créer une aire d’accueil s’il n’en veut pas… », confirment plusieurs acteurs d’intercommunalités gardoises. « Les gens ont des stéréotypes : nous ne sommes pas des voleurs de poules, ni d’enfants. Vous aurez plus de problèmes avec trois caravanes qui restent sur la commune, des bêtes à misère, qu’avec 50 caravanes comme nous », assure le pasteur, installé à Caissargues. Et d'assurer : « Nous avons aussi un service d’ordre qui passera tous les jours pour les déchets. Le soir, nous avons des réunions, on ne vient pas perturber la commune. Après, on ne vit pas en autarcie, vous allez voir comme le chiffre d’affaires du boulanger et du boucher va doubler ! »
D’autres édiles mettent surtout en avant les difficultés à trouver un terrain pour réaliser cet aménagement : « L’aire doit être sur des zones urbaines, non inondables. Elles sont aussi soumises à compensation écologique… Quand on sait qu’aujourd’hui, c’est difficile d’aménager des équipements pour créer de l’emploi, imaginez les aires d’accueil… », relève Rémi Nicolas. « Le terrain que nous avions proposé et qui nous semblait adapté s'avère pollué », se défend Philippe Ribot. À Bagnols, le président de l’intercommunalité, Jean-Christian Rey, abonde : « On avait un budget pour réaliser notre aire. Sauf que le terrain que nous avions ciblé à Pont a été classé en zone inondable. Il était aussi placé au-dessus d’une zone de captage d’eau qui a été utilisée temporairement. L’État ne l’a jamais validé. La commune ne nous a pas proposé d’autre terrain. »
Les bonnes astuces du maire de Codognan
Le prochain schéma pour l’aménagement d’aires d’accueil est actuellement en révision. « Nous espérons qu'il sera plus en rapport avec les réalités de terrain plutôt qu’avec des règles abstraites et déconnectées des besoins réels », poursuit le maire de Saint-Privat. Ancien maire de Bagnols, Jean-Christian Rey vilipende : « C’est tellement facile de faire les cocottes effarouchées... Aux municipales de 2008, j’étais très certainement le seul candidat de France à prévoir la création d’une aire d’accueil. Je l’avais écrit noir sur blanc dans mon programme ! » D'autres élus s'adressent aux six députés RN du département : « Ce sont eux qui font la loi, non ? Ils n’ont qu’à la changer, en assumant la suppression des aires d’accueil ! C’est trop facile de crier au loup sans prendre ses responsabilités ! »
En attendant, les petites communes, dommages collatéraux, se démènent pour trouver des solutions. À Codognan, le maire Philippe Gras, par ailleurs avocat en droit public, a sa recette « pour les forcer à partir » : « Qu’on soit honnête, nous n’avons pas les moyens physiques… Du coup, en parallèle du référé d’expulsion, je saisis le juge d’exécution pour obtenir une saisie conservatoire des véhicules et garantir le respect des dommages. Cela entraine un relevé des plaques d’immatriculation… Et ça, les gens du voyage en ont vraiment peur. »