Publié il y a 11 mois - Mise à jour le 10.05.2023 - Marie Meunier - 4 min  - vu 765 fois

FAIT DU SOIR Dans le Gard rhodanien, on ne veut pas laisser les adolescents en souffrance au bord du chemin

Le dispositif A.V.E.N.I.R. est expérimenté dans le Gard rhodanien depuis 2017 mais s'arrête à la fin de l'année
psychologues clinicien dispositif A.V.E.N.I.R. Gard rhodanien santé mentale

De gauche à droite : Delphine Alauzen (Pont-Saint-Esprit), Hubert Moiselet (Bagnols/Cèze), Darwin Liegl (Laudun-l'Ardoise) et Sylvie Delrieu (Bagnols/Cèze) sont tous les quatre psychologues-cliniciens et volontaires du dispositif A.V.E.N.I.R.

- photo Marie Meunier

Pendant cinq ans, le territoire du Gard rhodanien a bénéficié du dispositif expérimental A.V.E.N.I.R. (Adolescents vulnérables et nouvelles interventions en réseau), porté par la Maison des adolescents du Gard (MDA 30) et financé par l'Agence régionale de santé (ARS). Il permettait la prise en charge gratuite et rapide de jeunes entre 11 et 21 ans en souffrance psychique. Mais le programme s'arrête à la fin de l'année 2023, au grand désarroi des psychologues du secteur. 

L'accès au soin psychologique pour les adolescents est loin d'être facile. Les familles qui en ont les moyens recourent au libéral et payent les séances (non remboursées par l'Assurance maladie). Pour les autres, il faut se tourner vers le public mais les délais pour obtenir un rendez-vous sont longs, voire très longs. Dans les territoires ruraux, éloignés des villes mieux dotées en offres de soin, l'écart se creuse un peu plus. "Au CMP (Centre médico-psychologique) de Pont-Saint-Esprit, c'est un an et demi d'attente pour obtenir un premier rendez-vous", déplore Delphine Alauzen, psychologue-clinicienne dans cette même ville.

La difficulté, c'est que plus on attend, plus il y a de risque que le trouble se complique. Pourtant la demande de soin augmente mais "l'offre pédiatrique, pédopsychiatrique et médicosociale est en recul et ne permet plus d'accueillir dans des délais raisonnables les enfants et les familles", indique le dernier rapport du HCFEA (Haut conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge). Un effet ciseau encore plus accentué par le covid-19, qui a augmenté la souffrance adolescente. 

C'est là que le dispositif A.V.E.N.I.R. était intéressant. Initié par la Maison des adolescents du Gard depuis 2016-2017 sur le territoire du Gard rhodanien, il permet de désengorger un peu les services de pédopsychiatrie et de rendre plus accessibles les soins. Grâce à la sensibilisation de toutes les personnes qui côtoient les adolescents (psychologues, médecins généralistes, infirmiers scolaires, CPE, éducateurs spécialisés, animateurs en centre social...), les situations de mal-être et de souffrance adolescentes ont pu être repérées plus précocément et ainsi les adolescents en question ont pu être orientés rapidement vers un parcours de soins adapté.

80 % des psychologues du Gard rhodanien volontaires

Grâce au dispositif, les personnes en qui l'adolescent place sa confiance sont mieux armées pour le convaincre et s’assurer que ce dernier suit bien ses séances. "Le plus compliqué, c’est la question de l’accroche : est-ce que l'adolescent va poursuivre, va y mettre du sens ? Le plus gros risque, c’est le décrochage de soin ou la rupture dans le parcours", expose Philippe Rigoulot, directeur de la Maison des adolescents du Gard. 

Les professionnels du Gard rhodanien ont été de plus en plus nombreux à s'emparer du dispositif et ont adressé de plus en plus d'adolescents. Parallèlement, 80 % des psychologues libéraux du territoire se sont portés volontaires pour recevoir ces adolescents à tarif plus bas que leurs honoraires habituels. Ils sont prêts à faire cette concession, car convaincus du bénéfice pour les jeunes. 

Ils retiennent beaucoup de positif de cette expérimentation : pour les bénéficiaires, tout est pris en charge, il n'y a pas de limite dans le nombre de séances, pas besoin de prescription et il y a une rapidité de réponse grâce au coordinateur qui évalue chaque profil et oriente en fonction... Le dispositif ouvre en plus un lien entre les différents professionnels : "On a pu échanger entre les différents partenaires, il y a eu vraiment une réciprocité. C'est riche pour notre pratique. Cette coordination permet de travailler en réseau", assure Hubert Moiselet, psychologue à Bagnols-sur-Cèze.

630 demandes en cinq ans

Les psychologues, comme les autres professionnels, ont de plus en plus fait appel au dispositif au fil des années. Les demandes d'inclusion sont passées de 49 en 2017 à 133 en 2021 et 116 en 2022. Dans les deux dernières années, plus de 85 % des adolescents adressés ont pu être admis dans le dispositif. Entre 2017 et 2022, il y a eu au total 630 demandes pour 485 inclusions. En grande majorité, ce sont les pédopsychiatres et l'Éducation nationale qui adressent les adolescents pour le dispositif.

"C’est une réussite à tous les points de vue. Les ados vont mieux. On voit que même des accompagnements courts leur permettent de se stabiliser, de réinvestir leur scolarité, leur famille... Les partenaires sont ravis de pouvoir les orienter vers des libéraux. Les libéraux sont ravis de pouvoir travailler en réseau", reconnait le directeur de la MDA 30. En 2018, 665 heures de consultation avaient été réalisées contre 1606 heures en 2021 et 1508 heures en 2022. Philippe Rigoulot ajoute : "Le besoin vraiment là, c'est clair. On a même un retour des familles qui plebiscitent aussi le dispositif."

Si le dispositif s'arrête, "le risque, c'est de rallonger encore les files d'attente"

Mais après avoir déjà été prolongé pendant deux ans, A.V.E.N.I.R. va s'arrêter cette année. "En juin, on ne pourra plus prendre de patients entrants. En décembre, il n'y aura plus de financement", déplore Hubert Moiselet. Lui et ses confrères et consoeurs ont le sentiment de laisser ces jeunes au bord du chemin. "Le risque, c'est qu'ils se rabattent sur les institutions et rallongent encore les files d'attente alors que pendant ce temps-là, la situation peut s'aggraver", pointe la psychologue bagnolaise, Sylvie Delrieu. Cela peut déboucher sur une maladie mentale ou des troubles chroniques...

Son confrère laudunois Darwin Liegl insiste : "L'adolescence est une phase délicate avec une réaménagement psychique pour aborder la vie adulte. S'il n'y a pas de réponse à la souffrance, on va se retrouver avec quelque chose de plus compliqué une fois adulte (...) Là, le jeune avait un espace à lui, où il pouvait s'exprimer librement en toute confiance." Convaincus du bien-fondé de ce dispositif, ces professionnels souhaitent qu'une solution soit trouvée. 

Un dialogue en cours pour faire évoluer le dispositif sous une autre forme

Philippe Rigoulot entend et partage les arguments avancés par les psychologues. Il se veut plutôt rassurant sur la suite qui sera donnée : "Ça va s’arrêter mais j’ai bon espoir qu’on puisse évoluer sous une autre forme. L'idée, c’est d’arriver à impliquer l’Assurance maladie qui financerait le temps de consultation, et l’ARS le temps de coordination."

Pour lui, ce dernier élément est absolument indispensable à la réussite du dispositif pour "ne pas perdre les adolescents en route". Il poursuit : "On est dans un bon dialogue avec l'ARS qui a bien mesuré ces enjeux-là. On est tous ensemble à chercher la meilleure formule qu’elle soit économiquement viable pour les psychologues, soutenable pour l'Assurance maladie et l'ARS, et adaptée à la réalité du besoin adolescent en termes de réactivité, de gratuité et de suivi."

Pour prouver davantage l'utilité et la pertinence du dispositif, la MDA s'est tournée vers le CREAI (Centre régional d'études, d'actions et d'informations) qui a conclu dans son évaluation que A.V.E.N.I.R. "fonctionnait très bien." Le 7 décembre, se tiendra la journée d'étude où la MDA va montrer la réussite du dispositif et la nécessité de le poursuivre. "L'ARS nous a suggéré de nous rapprocher du dispositif national "MonPsy" et de poursuivre dans ce cadre-là. Mais pour nous, ce n’est pas adapté. Les enjeux spécifiques aux adolescents convoquent à autre chose. C'est ça qu’on va essayer défendre lors de la journée d’étude", conclut-il. 

Marie Meunier

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