C'était un début de semaine pas comme les autres pour les lycéens de Jean-Baptiste-Dumas d’Alès. L'établissement scolaire a organisé un moment historique avec la rencontre entre 150 lycéens de Jacques-Prévert et JBD, et un survivant du bombardement nucléaire d’Hiroshima en 1945, un Hibakusha. Organisée par le Mouvement de la Paix Alès Cévennes et le festival Passeur de Livres, cette séance s'est inscrite dans une tournée régionale exceptionnelle, 80 ans après les tragédies de 1945 et dans un contexte géopolitique marqué par la montée des tensions nucléaires.
Un témoignage poignant
Parmi les invités, Hideto Matsuura, qui fêtait ses 80 ans ce mardi 25 novembre, incarne une mémoire unique : il était dans le ventre de sa mère, à 3 km de l’épicentre d’Hiroshima, lorsque la bombe a explosé le 6 août 1945. Son récit, traduit par une interprète japonaise, a plongé les élèves dans l’horreur vécue par les civils : "Ma mère a vu un rayonnement bleu pâle intense, suivi d'un bruit sourd intense et d'un grondement, puis s’est évanouie en chemin. À son réveil, notre maison en bois était en ruines, ses jambes ensanglantées à cause d'un morceau de verre enfoncé dans la cuisse." Matsuura, né trois mois plus tard, porte en lui les stigmates invisibles des radiations : "J’ai le sentiment de toujours avoir la bombe dans mon cœur. Chaque jour, j'ai toujours cette inquiétude, je crains que des problèmes de santé n’apparaissent."
Le natif de Saijo (à 181 km d'Hiroshima) a pu raconter son histoire assez particulière aux élèves alésiens, lui qui a grandi sans savoir toutes ces choses terribles qui sont arrivées à sa famille et son entourage. "Je ne savais pas jusqu'à l'âge du lycée. Puis à l'université, j'ai appris tout ça à cause des conférences organisées sur la radiation. Je croyais que ma mère avait eu un accident de voiture. À 19 ans, j'ai eu conscience de cette affaire, notamment lorsque mon grand-père est venu à la faculté pour faire une conférence sur ça."
Son engagement, comme celui de ses collègues chargées des conseils contre la bombe A et H, Watanabe et Tushida, est clair : "Les armes nucléaires ne peuvent coexister avec l’humanité." Leur combat, récompensé par le prix Nobel de la Paix 2024, vise à promouvoir le Traité d'interdiction des armes nucléaires (TIAN), signé par 169 pays mais ignoré par la France et le Japon.
Une mobilisation citoyenne et intergénérationnelle
Ghislaine Soulet, présidente du Mouvement de la Paix Alès Cévennes, a souligné l’urgence de cette rencontre : « Nous vivons un moment critique, où les tensions internationales rendent le risque nucléaire plus réel que jamais. Il est essentiel que les jeunes comprennent les conséquences humanitaires, environnementales et intergénérationnelles de ces armes. » Les lycéens, préparés par leurs enseignants, ont présenté une lecture théâtrale d’extraits de « Moi, Ota, rivière d’Hiroshima », de Jean-Paul Allègre, en hommage aux victimes.
Les questions des élèves ont révélé une prise de conscience forte. Alia, lycéenne, a demandé : « Pensez-vous que la parole puisse empêcher les guerres ? » Matsuura a répondu avec humilité : « Seul, non. Mais si nos témoignages touchent suffisamment de gens, peut-être pourrons-nous changer les choses. »
À Saint-Martin-de-Valgalgues, le récit de 1945 à 2025, de la France au Japon
Engagée depuis des années dans le combat contre l'arme nucléaire et récente centième collectivité territoriale à soutenir le Traité sur l'interdiction des armes nucléaires (TIAN), la commune de Saint-Martin-de-Valgalgues a elle aussi reçu le collectif nippon dans son espace Fare Alais. Un moment privilégié, teinté de respect pour la délégation mais aussi d'émotions pour le retour d'expérience de Jennifer Willens, 2ᵉ adjointe et représentante du conseil municipal à la 11ᵉ Conférence générale de Mayor’s for Peace, en août dernier, au Japon : "Il y a 80 ans, l'humanité est entrée dans l'ère nucléaire, avec le pouvoir de se détruire elle-même. Mais, à la manière des lanternes en papier déposées à chaque anniversaire à Hiroshima, de cette ombre est née une lumière, un message de paix : les Hibakusha, un peuple meurtri mais debout."
Hideto Matsuura a là aussi raconté son histoire devant un public ému et acquis à sa cause, revenant sur "les engins de mort, de destruction massive et irréversible et l'horreur de la guerre", dont a été victime sa mère et dénoncés par le maire de Saint-Martin-de-Valgalgues Claude Cerpédès.
"La vengeance ne donne que la haine et la mort"
L'octogénaire n'a malgré tout aucune envie de vengeance contre les États-Unis, car "l'enchainement de vengeance ne donne que la haine et la mort, ce qu'on veut arrêter". Alors que nombre d'Hibakusha ont vite été victimes de "préjugés par peur de contamination", il regrette la position actuelle de son gouvernement : "Trois millions de Japonais ont signé une pétition pour le Tian, mais le gouvernement actuel soutient la puissance nucléaire américaine. Il ne nous met pas de pression, mais il n’apprécie pas notre association. Notre peuple a un peu oublié ce danger à force d'années de paix."
"Des plaies ouvertes dans l'histoire de l'humanité"
Une position pacifique que soutient Jennifer Willens, toujours émue par son voyage au pays du Soleil levant, marqué, entre autres, par une visite du musée de la paix d'Hiroshima, le regard d'une jeune fille de 12 ans morte d'une leucémie engendrée par les radiations et la cérémonie des lanternes de la paix du 6 août : "La paix n'est jamais acquise, elle se construit jour après jour par le dialogue et la solidarité, une construction fragile et patiente. Ce n'est pas seulement un idéal, c'est un devoir partagé par tous. Nous devons bâtir un monde, non pas sur la menace et la force, mais sur la coopération et la confiance. Nous le devons à ceux qui portent en leur chair et leur mémoire les cicatrices de cet embrasement, ces plaies ouvertes dans l'histoire de l'humanité, à ces enfants qui grandissent dans la peur, au Soudan, en Birmanie, Palestine et Ukraine."