« La Camargue assigne à comparaître la salinisation », lance Sarah Doraghi, journaliste, comédienne et auteure franco-iranienne. À l’occasion de cette enquête-spectacle, elle incarne la présidente de l’audience, vêtue de sa robe rouge de juge de la cour d’assises. C’est dans la grande salle Mistral, au palais des congrès d'Arles, que le spectacle s’est joué, devant des centaines de personnes. De quoi remplir la quasi-intégralité des sièges disponibles. « N’hésitez pas à vous serrer, on fait salle comble cet après-midi », annonce Raphaël Mathevet, directeur de recherche au CNRS (Centre national de recherches scientifiques).
Face au public, plusieurs comédiens ont successivement pris la parole tantôt pour défendre la salinisation, tantôt pour l’accabler. C’est une véritable joute verbale qui est alors née entre l'avocat de l’accusation, ayant assigné la salinisation en justice à la demande de la Camargue, et l'avocat de la défense, intervenant aux intérêts de la salinisation. D’autres comédiens ont également endossé des rôles incontournables du système judiciaire français. C’est le cas d’une greffière, intervenue pour demander le silence au début du spectacle, et d’une procureure, intervenant pour la société des humains. Petite originalité : l’existence d’un second parquet, celui de la nature, représentée par trois interprètes.
Des témoins ont aussi été interrogés à la barre par les deux avocats. Pêcheur, viticulteur, éleveuse, directeur de la réserve naturelle de Camargue, producteur de sel et tant d’autres ont tour à tour pris la parole pour raconter leur quotidien et les effets de cette salinité sur leurs activités respectives. Irrigation, entretien des digues, gestion des étendues d’eau douce ou encore coopération avec les institutions publiques figurent notamment parmi les sujets qui ont été abordés par ces témoins.
Musique, dance, chant et surtout humour
Introduit par trois chanteurs et musiciens camarguais, le spectacle a mélangé sonorités et langue locale au travers de moments musicaux et poétiques. Un interlude de danse a également été proposé par le parquet de la nature. Un moment hors du temps où l’art a rejoint l’information et l’écologie. L’humour a aussi eu une grande place dans cette représentation. Utilisation de mots inexistants, frasques des avocats ou blagues de la présidente, le tout a permis aux spectateurs de vivre le procès comme une scènette de vie réelle.
Bien que ludique, l’expérience gratuite est avant tout une manière de rendre compte d’une enquête menée sur le territoire et d’en tirer des données concrètes. C’est pourquoi, avant le début de la représentation théâtrale entre jeu fictif et informations réelles, un questionnaire a été distribué à l’ensemble des spectateurs. Rapport au territoire de la Camargue, problèmes connus, solutions éventuelles à ces problèmes ou encore attentes avant le spectacle sont autant de questions posées par le biais de cette étude. En fin de représentation, un second questionnaire a été distribué. Cette fois, il a interrogé les spectateurs sur leur ressenti à chaud.
Comme lors d’un procès pénal plus traditionnel, les questions des avocats des deux parties ont finalement laissé place au réquisitoire de la procureure des humains (et de la nature), puis à un verdict, savamment prononcé par Sarah Doraghi. « La salinisation n’est pas une faute, mais un signal d’alerte, lance-t-elle. Aucune sanction ne sera donc prononcée ». La juge du jour a tout de même énoncé plusieurs axes de recherche pour permettre une meilleure prise en compte de cette alerte, comme la rédaction d’un plan de trajectoire à l’horizon 2050. « Le sel n’est ni coupable, si innocent », conclut-elle, invitant les acteurs du secteur à œuvrer ensemble pour prendre soin de ce si beau territoire.