Ce lundi 6 octobre, la cour d’assises du Gard a ouvert le procès en appel de l’affaire dite des “viols de Mazan”. Un seul des cinquante et un accusés condamnés en première instance, Husamettin D., 44 ans, a maintenu son appel. L’homme conteste la durée de sa peine de neuf ans de réclusion criminelle prononcée en décembre 2024 à Avignon, mais pas sa culpabilité.
Husamettin D. face à la cour
Devant une salle comble, Gisèle Pelicot, la victime, est entrée en silence. Quelques minutes plus tôt, le président de la cour Christian Pasta avait repoussé une partie des photographes d’une voix ferme, au fond de la salle, laissant les autres entassés devant le box de la défense. Comme lors du premier procès, Gisèle Pelicot a refusé le huis clos. Elle avait alors estimé que “la honte devait changer de camp”.
Le ministère public est représenté par l’avocat général Dominique Sei. Dominique Pelicot, son ex-époux et principal condamné de l’affaire, sera entendu ce mardi après-midi en tant que témoin, escorté depuis sa prison.
À la barre, Husamettin D., ancien ouvrier plaquiste né en Turquie, s’exprime d’une voix hésitante. Casquette et masque retirés, béquille à la main, il répète qu’il n’a “jamais voulu violer cette dame”. “Je n’ai jamais su qu’elle était droguée, son mari ne me l’a jamais dit. Je l’ai appris en garde à vue.” Il reconnaît néanmoins avoir pénétré la victime et participé à la scène filmée par Dominique Pelicot.
Il raconte avoir rencontré ce dernier sur le site libertin coco.fr. “Il m’a dit que sa femme aimait bien les rebeus, il m’a demandé si j’étais bien membré, alors j’ai envoyé des photos.” L’accusé dit avoir bu plusieurs verres de whisky ce soir-là, ne pas avoir compris qu’il était filmé et avoir eu peur de l’hôte. “Il me menaçait. Après une demi-heure, j’ai vu que ce n’était pas normal. Alors je suis parti.” “Je regrette”, a-t-il ajouté, avant que le président annonce que quatorze vidéos du viol seraient diffusées demain.
Itinéraire d'un enfant pas gâté
Les experts psychiatres, dont Anabelle Montagne, psychologue à l’hôpital de Montfavet (Vaucluse), et Laurent Layet, psychiatre à Carpentras, ont décrit un homme “fragile, anxieux, sans pathologie psychiatrique”. Enfant timide, hospitalisé très jeune, il a connu la précarité, un incendie familial, la violence d’un père et un parcours scolaire chaotique.
Marié en 2006 à Farida, plus âgée que lui, après avoir tout essayé pendant des années, le couple a finalement eu un fils, Taïp, atteint de trisomie 21. L’accusé se décrit comme un père “aimant et dévoué”, mais les experts évoquent un “clivage peu crédible entre le père de famille et l’homme libertin”, une “sexualité ambivalente et objectalisante”. Un homme paumé qui essaye de sauver les apparences comme il peut.
Libre arbitre ou emprise ?
Interrogé par Me Antoine Camus, avocat de la partie civile, sur la possibilité d’une manipulation exercée par Dominique Pelicot, le psychiatre Laurent Layet a été catégorique : “Aucun élément ne permet de penser que son libre arbitre ait été altéré. Il est entré dans ce scénario de plein gré et en avait la capacité intellectuelle.”
Mais quand l’avocate de la partie civile, maître Sylvie Menvielle, interroge l’expert sur la possible emprise qu’aurait exercée Dominique Pelicot sur ses invités, le psychiatre nuance. « Peut-on imaginer que cette manipulation s’est aussi exercée sur eux, non seulement pour les faire venir, mais aussi pour les retenir ? », demande l’avocate.
« Oui, c’est possible », répond l’expert. « Il a pu ne pas oser partir. Mais dans le même temps, un homme qui reste et qui est en érection manifeste une excitation, cela contredit l’idée d’une simple manipulation. »
Le psychiatre poursuit : « Un individu normalement constitué a peur de la justice. Dominique Pelicot, lui, a récidivé le soir même de sa garde à vue. Ne pas être impressionné par la justice, c’est le signe d’une personnalité hors normes. »
Le diagnostic Bensussan
Sollicité par la défense, le psychiatre versaillais Paul Bensussan a livré une analyse brillante du profil de Dominique Pelicot, décrivant chez lui “une figure dominante, presque paternelle” capable d’exercer une emprise sur ses “invités”. Il a estimé que Pelicot cumulait la totalité des huit paraphilies (perversions) recensées par une classification internationale récente : le fétichisme, le sadomasochisme, le candaulisme, la somnophilie, la pédophilie…
Selon Bensussan, Dominique Pelicot présente “une psychorigidité importante, un manque d’empathie vertigineux et un désir constant de maîtrise et de contrôle”, traduisant une déviance sexuelle consciente et méthodique, non une maladie psychiatrique. Ce qui pourrait, aux yeux de la défense, atténuer la responsabilité de l'accusé.
“Il savait qu’elle était sédatée”
Les débats ont rappelé les vidéos retrouvées au domicile des Pelicot : des images insoutenables d’une femme inconsciente livrée à des inconnus. “Les yeux clos, ronflant, parfois maintenue par la tête par son mari”, a rappelé un expert. Dominique Pelicot aurait précisé à Husamettin D. que son épouse “avait pris trop de relaxants”. La soumission chimique est parfaitement établie.
Interrogés par le président, les experts ont été clairs : “Le triolisme ne justifie pas une telle scène. Ce n’est pas du libertinage, mais un viol, puisqu’il n’y avait ni conscience, ni consentement.”
Suite du procès
Ce mardi 7 octobre, à 14 heures, la cour d’assises du Gard reprendra ses travaux avec l’audition de Dominique Pelicot, entendu sous escorte, suivie de celle des enquêteurs et des témoins. Mercredi matin, Gisèle Pelicot devrait témoigner à son tour.